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Trois films, trois bonheurs différents

Publié le 24 avril 2013 par Petistspavs

Chers non-lecteurs, qui êtes-vous, vous qui êtes de jour en jour plus nombreux ? Et chers lecteurs, ne me racontez pas que vous profitez du beau temps pour vivre dehors, loin de vos écrans. Je vous surveille, je vous vois en ce moment même, fascinés par vos smartphones so gorgeous.
C'est vrai, un blog c'est comme la vie même, avec ses hauts, avec ses bas, mais était-il nécessaire que le hasard poussât l'ironie jusqu'à m'imposer les notes basses partout. En deux mots, la fréquentation de ce blog a baissé ces derniers temps, comme il lui était arrivé, en d'autres temps pas si lointains, pour des raisons d'ailleurs aussi obscures, de s'élever tant qu'on en voyait la neige des cimes. Bref. Je ne peux vous dire de revenir si vous n'êtes pas là.
Quant aux commentaires... Non, ne parlons pas des absents. Mais si vous saviez, vous qui ne lisez pas ces lignes, à quel point un commentaire, fut-il critique, futile ou sérieux, amical ou interrogateur, ou tout ça tout ça, fait plaisir et encourage à de nouvelles écritures.

Ma crise de la quarantaine passée (non, je n'ai pas quarante ans, je me sens en quarantaine, et si vous saviez à quel point, vous me feriez porter des fleurs). Je vais vous parler des derniers films que j'ai vus, en essayant de ne pas m'étendre, d'exposer mon sentiment en quelques phrases.

D'abord le plus beau. Le film asiatique.

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Le mot est juste et précis, c'est un film qu'on peut trouver long, chiant, confus, tout ce que vous voulez, mais dire que ce film est dénué de beauté serait de la pire mauvaise foi. Il s'agit de The grand master du chinois de Hong-Kong Hong Kar-wai. C'est d'ailleurs de beauté qu'il parle à propos de son personnage principal, interprêté par le craquant Tony Leung :
"J’ai souvent filmé des femmes incroyables. Pour une fois, j’ai fait de la beauté d’un homme chinois mon sujet." (dans un entretien publié par Les inrocks). Récemment, il m'avait semblé que Derek Cianfrance, le réalisateur de The Place Beyond the Pines, filmait son acteur, Ryan Gosling, avec un fétichisme assumé, au plus près du corps body-buildé du beau Ryan. Après avoir vécu l'expérience quasi mystique du nouveau WKw, je révise mon opinion sur Cianfrance, qui a pratiqué avec The pines un fétichisme au petit pied.
Wong Kar-wai, lui, fétichise en écran large et en rafale. Non seulement son acteur est magnifié par sa caméra, mais son actrice, la somptueuse Zhang Ziyi est montrée comme une icone, une femme aux charmes tenant à la fois de la lumière céleste et des ténèbres les plus chargés de menace. Le sujet apparent du film, le kung fu, à la fois arme et philosophie (le cinéaste semble regretter que les arts martiaux soient devenus pour la Chine contemporaine de simples disciplines sportives), est représenté comme un objet de fascination et ses maîtres et disciples comme des êtres nietzchéens, suffisamment "supérieurs" pour savoir ne jamais le montrer, sauf au combat.

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Alors, j'ai entendu et lu deux critiques principales à propos de ce film, assez faciles d'ailleurs. La première est vraie : on ne comprend pas tout. WKw a une façon particulière de faire ses films, sans scénario préalable et dans la durée. Le tournage de The grand master s'est étendu sur deux années, des scènes ont été refaites ou complétées longtemps après la première prise et la vraisemblance n'est pas la préoccupation première du cinéaste. Donc, oui, il y a un côté elliptique dans le montage, des faux raccords à la Godard, une curieuse organisation de tout ça dans le temps (on nous trimballe pendant plusieurs décennies, avec des retours en arrière ou des accélérations bizarres). Mais tout ça est tellement BEAU, pas esthétisant, mais réellement, ontologiquement beau, comme si WKw avait développé une obsession de la beauté pure, qu'on en a rien à foutre des deux ou trois épisodes un peu obscurs. Vous comprenez tout à La Bible, vous ? Ou à L'étranger de Camus ?
La deuxième critique, très facile celle-là, concerne une scène particulière et elle traîne un peu partout. Il s'agit d'un combat essentiel qui se déroule bizarrement dans une gare. Et pendant que les deux prétendants à la succession se battent en un ballet sublime de précision chorégraphique, un train démarre et passe derrière eux, et passe et passe. Et l'ironie facile de s'acharner sur cette scène qui montre le train le plus long de l'histoire. Je cède (brièvement) la parole au réalisateur : "Nous avons tourné la scène centrale du film, un combat sur le quai d'une gare, pendant deux mois, la nuit, parfois par – 20°C. A cause du froid, Zhang Ziyi a eu des petites taches de sang dans les yeux. C'était dur pour elle mais c'est un plus pour le film, cela ajoute du mystère à son regard." Cette scène centrale montre l'engagement total des acteurs (qui sont quand même des stars, et qui se sont tenus pendant deux ans à la disposition de WKw, sachant qu'à l'écran, ils seraient mieux que jamais, ils seraient sublimes, ils sont sublimes). Et si, au montage, le passage du train n'a pas été coupé, je ne pense pas que ce soit par hasard, la scène est sublime (j'abuse de ce mot ?), dure ce qu'elle doit durer et montre que le cinéaste sacrifie la vraisemblance à son art, ce qui me rappelle une expo Chagall, qui fut un des bons moments de ces dernières semaines.

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La chorégraphie des combats, recherches d'une sorte d'absolue perfection, et, compte-tenu de la mélancolie nostalgique du film,  d'une recherche du temps perdu, souvent filmés la nuit dans la violence de torrents de pluie ou au contraire la douceur cotonneuse  de  la neige en virevolte, est d'une beauté confondante jusque dans son extrême précision.
Au final, mais sans dévoiler la fin, The grand master est un film d'amour triste, d'amour impossible, une histoire ratée pour de mauvaises raisons entre deux personnes qui auraient dû construire un avenir ensemble, plutôt que de célébrer chacun sa chapelle et sa solitude. Et absolument pas un "film de kung-fu".

Ensuite, le plus américain.

On peut s'étonner qu'un cinéaste aussi exempt de style que Gus Van Sant (Elephant, Harvey Milk et Restless relèvent de trois visions différentes du cinéma) soit capable de proposer des films, au bout du compte, aussi personnels. Je pense justement à Restless, celui qui m'avait jusqu'à présent le plus touché. Et depuis quelques jours, je pense avec tendresse à son petit dernier, Promised land.
Si on m'avait dit qu'une histoire tournant autour des dangers économiques, sociaux, humains, donc écologiques de l'exploitation des gaz de schiste serait capable de me toucher autant, j'aurais rigolé. D'autant que, comme avec le kung-fu chez WKw, on ne peut pas dire que la problématique du gaz de schiste n'est qu'un prétexte pour nous orienter vers d'autres voies, une sorte de Mac-Guffin. Le problème est posé et bien posé, celui des méthodes de multinationales et de leurs agents pour faire tourner la boutique et mettre le feu aux poudres en comptant sur La Miraculeuse Science à venir pour découvrir l'extincteur. C'est comme ça que ça marche et le film l'expose très clairement. Et le fait sans sacrifier la complexité des enjeux et sans nous infliger des personnages exemplaires et édifiants.

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Le secret du film réside dans sa profonde humanité, dans sa capacité à ancrer des problèmes cosmiques dans les petites vies des petites gens d'une petite ville américaine jusqu'au bout des drapeaux étoilés qui ornent les petites maisons de bois. Pas de démagogie, pas de simplification militante, le salopard de l'histoire semble porter l'humanité, l'honnêteté et la sensibilité du monde dans son beau regard bien droit, puisque c'est le toujours impeccable Matt Damon, flanqué dans sa quète au service du Grand Capital de Frances McDormand qui n'est pas mal non plus.
Je me suis engagé à faire court, donc je ne poursuis pas, Promised land est un très beau film, notamment sur l'Amérique, ses contradictions, ses grands espaces et ses esprits parfois étroits mais capables, d'un coup, de grandeur, à l'image de ceux qui débarquèrent en Normandie.
Juste un bémol concernant la fin, mais c'est dit, je ne poursuis pas.

Enfin, le plus français.

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Avec Le temps de l'aventure, Jérome Bonnel réalise un film d'une justesse et d'une sensibilité rare et offre à Emmanuelle Devos une occasion nouvelle de montrer la diversité de ses talents de comédienne. Mais au moment d'écrire sur ce film, je me rends compte que je n'y arrive pas. Quelque chose me retient, peut-être quelque chose lu ailleurs, qui me trouble et m'étreint le coeur. Donc, je me contenterai de conseiller ce film très beau et loin du schématisme que le sujet (une sorte de brève rencontre, mais est-ce vraiment le sujet du film ?) pouvait laisser craindre. Emmanuelle Devos est stupéfiante de vérité. Bouleversante par moments.

Et dans l'actualité ?

boris-vian
Je ne puis que me réjouir de l'accueil critique plus que mitigé réservé à L'écume des jours de Michel Gondry (L'enclume des jours pour Libé). Certains mettent en cause la lourdeur du bric à brac gondrien qui étouffe les acteurs, plus sûrement que le fameux nénuphar n'étouffe la pauvre Chloé (qui a maintenant la tronche d'Amélie Poulain ET de Thérèse Desqueyroux...), d'autres, au contraire, stigmatisent une distribution éléphantesque destinée à séduire les pigeons, personne n'aime vraiment (sauf Jacques Morice dans Télérama, d'ailleurs contredit dans le même Télérama par Frédéric Strauss, qui voit dans l'apport de Gondry à Vian "les fantaisies d'un cinéaste qui en rajoute dans le farfelu bricolé, jusqu'à étouffer L'Ecume des jours sous un amas de trouvailles bordélique". Je pense que Critickat a trouvé la formule consensuelle : "Un film harassant dont le récit est sans cesse parasité par une course effrénée, celle qui pousse Gondry à vouloir se mesurer à l'exubérante imagination de Boris Vian."
Ceci étant, quand bien même le film croulerait sous les éloges unanimes, je ne serais pas allé le voir car trop, c'est trop. La crise du scénario n'excuse pas tout. L'écume des jours n'est pas un chef d'oeuvre de la littérature (Boris Vian n'a jamais été un grand écrivain, ni un grand musicien, ni un grand poète, ni un grand auteur théâtral) mais ce livre extrèmement attachant et inventif est, comme quelques autres de Vian, mais sans doute plus que les autres (disons L'automne à Pékin, L'arrache-coeur, Vercoquin et le Plancton) une formidable machine à faire travailler l'imaginaire du lecteur, surtout du jeune lecteur, à créer, par l'agencement des mots sur le papier, des images mentales en rapport avec une sensibilité adolescente en construction, des images mentales qui contribueront à permettre à l'adulte de se reconnecter, parfois, à son adolescence, si proche de son enfance morte.
Ces images mentales, produites par mes lectures successives de L'écume des jours, je veux les garder pour moi. Elles font partie de moi, de mon imaginaire, de mon rapport au romantisme, à la sentimentalité et à ma propre histoire. Je ne veux pas qu'on y substitue sur un écran des images fabriquées par un autre, ni surtout bricolées à la Gondry. En particulier quand les acteurs principaux ont deux fois l'âge de leurs personnages.

Et que pense le bon Docteur Kaganski de tout ça ?

J'ai trouvé marrant de diffuser ici les Trois raisons d'aller voir The grand master et les Trois raisons de ne pas aller voir L'écume des jours. A vous de voir maintenant, ou de ne pas voir.

Bons films, bonne vie. Ce billet aurait été publié plus tôt si mon P*** d'ordinateur l'avait voulu. Mais c'est décidé, je le remplace. A bientôt.


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