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Promised Land

Par Thibaut_fleuret @Thibaut_Fleuret

Promised Land

Gus Van Sant / Matt Damon. Voilà le retour d’un duo marquant dans le cinéma indépendant américain. Après un Will Hunting au succès inespéré (Oscar du meilleur scénario, box office exemplaire autant aux Etats-Unis qu’à l’international) et un Gerry plus expérimental mais non moins dénué de qualités, ce Promised Land marque la troisième collaboration entre le cinéaste et l’acteur. La relation est-elle toujours au beau fixe ?

Promised Land aurait pu être un projet casse-gueule dès sa mise en chantier et au regard des aléas de sa production. En effet, le scénario et la production tiennent davantage à un Matt Damon qui aurait dû, d’ailleurs, le réaliser. Pour une première mise en scène, le matériau était parfait pour le comédien tant on peut sentir, de tous les instants, son implication. Cette approche personnelle, presque intime, révèle une belle conscience cinématographique qui prouve que le cinéma est avant tout affaire de discours propre que d’aspect commercial. Par manque de temps, ou de confiance, l’acteur a décidé d’activer ses réseaux et d’appeler Gus Van Sant, ami de longue date depuis maintenant 15 ans, pour palier à sa propre défection. Cette décision était la bonne, le cinéaste étant capable de naviguer en différentes eaux et de s’adapter aisément. Cependant, avant d’entrer dans la salle, des interrogations se posent légitimement ? Quelle est la véritable identité de Promised Land ? Un film de, et pour, Matt Damon ? Gus Van Sant serait-il devenu un vulgaire « yes man » identifié au nom d’une amitié ? Heureusement, et c’est bien l’une des forces premières du film, ces interrogations sont balayées d’un revers de la main élégant par le réalisateur qui va recréer sa propre identité au regard des thématiques et de quelques séquences précieuses. Il faut dire qu’il a toujours su faire sien ces objets qui ne lui correspondaient pas au premier abord. C’est ce que l’on appelle le Gus Van Sant commercial, celui de Will Hunting, de A La rencontre de Forrester ou de Milk. Au lieu de croire à de vulgaires films de commande, les métrages se proposent d’être, en fait, de véritables objets de son auteur qui ne feront nullement tâche dans sa filmographie globale. C’est, bien évidemment, encore le cas ici.

Le sujet, pourtant, aurait pu être vicieux. Avec cette histoire de deux membres d’une grande compagnie énergétique, Global, cherchant à acheter des terres riches en gaz de schiste, le spectateur se dit qu’il va avoir le droit à un film politique dans la droite lignée des œuvres de Georges Clooney, Ben Affleck et de toute la bande habituelle à laquelle appartient Matt Damon. Aussi bons, intéressants, militants, consciencieux soient-ils, ces films ne font pas toujours preuve d’une grande originalité. A trop vouloir dénoncer, on finit, peut-être, pas se répéter et à lasser le spectateur. Pire, on risque d’autant plus de s’adresser les foudres du camp adverse et de se faire accuser de propagande libérale – le terme est à prendre au sens démocrate du terme. Rien qu’à la vision des instigateurs de Promised Land, on sait quel type de métrage le spectateur va avoir le droit de regarder. Ici, pourtant, la politique ne va servir que de prétexte, de base, de boyau autour duquel le métrage va se construire, même si le message va être bel et bien présent et qu’il sera énoncé très clairement. Gus Van Sant ne veut pas, non plus, dénaturé complètement le projet d’un Matt Damon qui veut quand même ouvrir polémiques et réflexions même si l’on se rend compte que ces pistes d’intérêt sont ailleurs. Dès l’introduction entre ces deux arrivées, l’une de Matt Damon et l’autre d’un habitant de cette petite ville, représentées en un montage parallèle aérien – le dispositif est sublime – le spectateur va, de suite, se rendre compte que la dualité des opinions va innerver le métrage. Il sait, également, quel est le camp qui va compter et peut-être même quelles idées vont triompher au final. Entre un méchant industriel à la solde du grand capital et un retraité besogneux, amical et empathique, le choix est, d’ordinaire, vite fait. Le métrage, s’il ne s’en tenait qu’à ce parti-pris vindicatif, aurait déjà été d’une importance à ne pas négliger. L’extraction du gaz de schiste pose réellement problème, les législations restent floues, les vérités et les mensonges s’entremêlent. Et tout le monde finit par être perdu. Promised Land pourrait donc remplir parfaitement son rôle éducatif à vocation écologiste. Il est, et c’est ici que l’on va retrouver Gus Van Sant en tant que cinéaste, plus que cela

Passées ces considérations politiques salvatrices et nécessaires mais pas toujours subtiles, Promised Land se veut être, avant tout, une plongée dans une communauté rurale. La route que suivent Matt Damon et Frances McDormand est bien celle qui amène également le spectateur vers cette petite ville de Pennsylvanie. Longue et droite, loin de la complexité d’un réseau urbain, elle est déjà un reflet de cette petite société. La vie y est simple, elle suit son cours naturellement, son avenir est tout tracé. Le spectateur va, de ce fait, se retrouver plongé dans les joies et les doutes de ces ruraux américains. Toujours aussi à l’aise pour filmer des personnes en marge, Gus Van Sant ne va pas changer de direction pour ce nouveau projet. Car oui, ces fermiers sont bel et bien des marginaux dans la société contemporaine en étant des exclus du rêve américain, ce rêve qu’il souhaite d’ailleurs toucher du bout de leurs doigts. Les réactions à l’annonce d’un possible pactole suite à la vente des terres en sont les plus manifeste des indices. La réussite matérielle n’est-elle pas une preuve, au XXIème siècle, que la société américaine dans son ensemble est saine ? Matt Damon ne fait, d’ailleurs, que de leur rappeler. Sans argent, la ville va disparaître. Mais cet argent ne fait pas tout ; surtout, il fait pas l’identité de ces gens. Pour lutter contre cette condition mortifère et pour rappeler que des personnalités fortes peuvent exister au naturel sans être corrompues, le cinéaste va proposer une mise en images tout à fait significative. Toujours à hauteur d’homme, la caméra se concentre sur les visages meurtris, sur les paroles d’hommes et de femmes à la sagesse à la fois réconfortante et déprimante. Cette population a conscience de son statut et c’est cette dignité identitaire que le capitalisme veut leur enlever sur l’autel de la réussite financière. Où est donc cette nature bienveillante dans le cœur et le corps de Global ? Nulle part, bien entendu, la corporation est passée « de l’autre côté » depuis bien longtemps. Mieux encore, sur fond de musique folk mélancolique, le récit s’arrête et le film prend le temps de redécouvrir les personnes qu’ils filment. Comme si le dispositif global n’était pas suffisant, le cinéaste veut enfoncer le clou. Nous tombons presque dans l’onirisme. La déclaration d’amour et de respect est évidente. La ruralité se révèle. L’existence est en route. Cette séquence est tout bonnement superbe et au-delà de l’identité de ces personnes, le spectateur retrouve toute la poésie de Gus Van Sant. Bien entendu, derrière cette virée, le spectateur peut encore sentir du politique mais ce dernier est tellement caché par l’humanité qui se dégage des personnages qu’il ne devient plus vindicatif. Le spectateur n’écoute plus un discours, il le ressent au plus profond de lui. Celui-ci fait, tout bonnement, partie du corps même du métrage.

Si Promised Land se refuse au politique frontal, il n’en demeure pas moins teinté d’une réelle conscience sur l’état de l’Amérique. Le premier dialogue du métrage n’en est qu’une parfaite introduction. Au cours d’un entretien, certes décontracté mais non dénué de tension, Matt Damon rappellent à ses supérieurs que le mythe américain basé sur la nature n’existe plus. Cette nature, autrefois racine de toute une civilisation, idéal des Pères fondateurs, recours mystique et religieux, s’est, d’après ses dires, engluée dans un passéisme primaire, dans une auto-complainte misérabiliste. La mythologie, le fantasme, la représentation n’existent plus pour les peu scrupuleux. Seul compte le pragmatisme. Ils ont, même oublié, que ces racines comptent pour une majorité de personnes. Si Matt Damon est si fier de ce terreau, c’est bien parce qu’il peut l’utiliser à mauvais dessein et non pour sa dimension philosophique propre. Le mythe n’est devenu qu’une valeur marchande. La convocation de la crise, évidente, n’est qu’un ressort utilisé à faire culpabiliser. Surtout, pour mieux lutter contre cette dépression, l’essentiel est dans le retour aux sources, pas dans la facilité pécuniaire. Le système s’en mordrait la queue et les solutions n’arriveraient jamais. Il ne faut pas voir une quelconque dimension réactionnaire dans ce discours. C’est juste que le réalisateur montre, tout simplement, un pays qui fait fausse route et qui, surtout, ne prend ni le temps, ni le recul pour protéger ses propres bannis. Les Etats-Unis ont perdu leur identité. Hélas, ou heureusement, Matt Damon va vite déchanter et va réagir. Lui qui se croyait être un pilier de cette nouvelle Amérique n’en était, finalement, que la plus triste invention cynique. Pourtant, il n’y croyait pas tant il se voyait comme un bon gars, il ne fait d’ailleurs que de le rappeler à toutes ses rencontre, qui voulait vivre avec son temps. Tout simplement. Presque trop simplement, d’ailleurs, car la chute va être terrible. Dans un habile renversement des personnifications, Gus Van Sant propose un capitaliste naïf et candide et des terriens ouverts et conscients. Cela devrait être l’inverse, les derniers devant être aveuglés par la mythologie américaine, le premier sûr de son coup. Si la conclusion quant à l’évolution des protagonistes reste connu, le réalisateur prouve que les constructions identitaires ne sont pas si faciles à faire émerger. Surtout, le peuple apparaît perdu. « Back To Basics », c’est une nécessité. En ce sens, Promised Land se veut être un objet filmique dans la plus pure tradition cinématographique américaine que l’on qualifiera aisément de classique. Le métrage, avec son discours politique et sa foi donnée à des représentations philosophiques de l’Amérique, pourrait être qualifié de western, genre naturaliste et mythologique par excellence que cela ne gênerait pas. Après tout, les costumes à base de chemise, de chapeau et de godasses dégeulassées par la boue permettent une telle identification et les thèmes rappellent les plus belles heures du genre.

Les petites touches qui serviront à décontenancer le personnage principal vont arriver de manière plutôt sporadique. Les différents contacts qu’il va nouer vont s’avérer précieux, bien plus que l’arrivée de ce militant écologiste dont le personnage ne servira qu’à une seule chose. Une rencontre avec une jeune femme, l’arrivée d’un bolide conduit par l’un des membres de cette communauté, un repas avec un couple de retraités sont autant de manière d’appréhender une nouvelle réalité et de se construire une mentalité refaite à neuf. Il devient celui qu’il doit être. Il ouvre les yeux et remarque, enfin, la profondeur de champ qui a été développée tout au long du film. Le running gag sur la race des chevaux cristallise cet élément. Il permet, non seulement, d’identifier la force comique du personnage incarné par Frances McDormand mais de représenter un aveuglement. Pourtant, l’image n’est pas plus floue qu’une autre. C’est bien le regard qui est embrumé. Celui-ci va alors, petit à petit, percé ce brouillard pour afficher une clairvoyance qui sera bienvenue. Cette représentation est superbe. Néanmoins, cette douceur toute maitrisée bute sur un obstacle de taille. L’écriture, à un moment précis, se radicalise dans une maladresse qui s’identifie à un choc dans la continuité scénaristique. On aurait, peut-être, préféré que le parcours se fasse moins brutal, plus dans une logique classique que le film ne cesse pourtant de convoquer tout au long de son déroulement. Une telle maladresse est d’ailleurs étonnante de la part de l’acteur / scénariste qui avait su, dans Will Hunting, montrer une belle capacité linéaire. Néanmoins, deux belles choses vont arriver par la suite. Elles vont rattraper brillamment cette faute de script. Le discours final et l’effet de style sur l’acteur ne viendront prouver qu’une chose : grâce à ce cheminement mental et identitaire, Matt Damon rendosse les habits de personnage luttant contre les errements et voulant une Amérique vivable, saine et sûre d’elle. Le héros américain peut, encore, être présent. Pourtant, la dernière séquence pourrait être déprécier sur l’autel du stéréotype, de la bonne conscience et du pouvoir américain. Elle est pourtant essentielle dans la construction d’une identité double. L’Amérique a retrouvé sa mythologie. La figure héroïque a retrouvé sa raison d’être. Le plan final peut alors parfaitement conclure le film. Les choses repartent dans l’ordre logique et naturel des choses.

Derrière ses oripeaux de film de commande, Promised Land se révèle être un beau film aux thématiques doublées. Il prouve une réelle conscience politique et offre un discours sur l’état mythologique américain, ce dernier élément étant le petit plus qui surprend. Gus Van Sant a joué un rôle de professeur et Matt Damon a su, on l’espère pour la suite, bien écouter les leçons d’un grand homme du cinéma américain contemporain.


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