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Demain il fera jour

Par Gjouin @GilbertJouin

Demain il fera jourThéâtre de l’Oeuvre55, rue de Clichy75009 ParisTel : 01 44 53 88 88Métro : Place de Clichy / Liège
Une pièce d’Henry de MontherlantMise en scène par Michel FauDécor de Bernard FauCostumes de David BelugouLumières d’Alban RougeAvec Léa Drucker (Marie), Michel Fau (Georges Carrion), Loïc Mobihan (Gillou), Roman Girelli (le Messager)
L’histoire : Paris. Juin 1944. Quatre années après leur séparation, Georges Carrion retrouve pour la seconde fois son fils Gillou et la mère de Gillou, Marie.Gillou désire s’engager dans la Résistance. Carrion oppose à ce projet toutes sortes de raisons. La mère, qui aime tendrement son fils, partage l’avis de Georges.Or Georges, avocat d’affaires, a entretenu des relations avec les Allemands, et il craint d’’avoir des ennuis à la Libération. Il a peur… Il reçoit des lettres de menaces. Aussi va-t-il lever l’interdiction et autoriser Gillou à devenir un résistant. A la grande frayeur de la mère qui pressent la catastrophe…
Mon avis : Il est évident que cette pièce devait avoir une toute autre portée lorsqu’elle fut créée en 1949 au sortir de la guerre. A cette époque, les mots de « collaboration », « commerce avec l’occupant » et « Résistance » étaient encore en pleine actualité et les sentiments étaient légitimement exacerbés.Reprendre Demain il fera jour plus de soixante après est donc une gageure. Pourtant, le pari est réussi car le drame humain que vont subir Georges et Marie est intemporel. Cette pièce est une tragédie ; une tragédie grecque avec son inéluctabilité. On pourrait la sous-titrer « L’Affrontement » tant la tension entre les deux ex-amants est vive. Ils se livrent à un duel à fleurets à peine mouchetés. Chacun ayant sa personnalité propre, le vocabulaire, les mentalités et donc les comportements ne sont pas les mêmes. Ce qui donne encore plus de force à leur opposition.
Demain il fera jourL’écriture d’Henry de Montherlant est dense, riche. Il aime les mots, il a le sens de la formule et il en use abondamment. Le style est daté, très (trop ?) littéraire, quelque peu ampoulé parfois, mais il est indéniablement brillant. Et puis il nous campe deux sacrés caractères… Georges nous apparaît comme un sale type. Il est méprisant, égocentrique, cynique et, cela va avec, misogyne. Il est odieux et injuste avec son fils. Il affiche une morgue dédaigneuse qui sied parfaitement à ses propos fielleux… Marie, qui a dû, au début de leur union, être une femme soumise et effacée, est devenue une louve. Elle est toute entière vouée à la protection de son fils, « le seul homme » qui ne l’a jamais déçue. Elle ne se laisse pas faire, elle argumente, elle a du répondant. Même s’il lui arrive encore de s’indigner devant la malhonnêteté intellectuelle du géniteur de Gillou.Chacun voit clair dans l’attitude de l’autre et le lui fait comprendre. La seule chose que Marie ne voit pas venir parce qu’elle ne détient pas tous les paramètres qui motivent Georges, c’est la manipulation. Quand elle la découvre, il est trop tard. Et la louve n’a plus qu’à hurler son désespoir…Il n’est pas sûr que, pour ces deux là, « demain il fera jour ». Ils vont être plutôt désormais voués à une longue et froide nuit…
Demain il fera jourPour tenir deux rôles aussi âpres, aussi durs, il faut de fameux comédiens. La performance de Michel Fau et de Léa Drucker est impressionnante. Lui, il est terrible. Monolithique, impassible pendant les trois-quarts de la pièce, se gargarisant avec ses formule qui blesse et qui fait mal, il se complaît dans la méchanceté. Il réussit l’exploit de provoquer en nous aucun sympathie, même à la fin… Une superbe prestation.Quant à Léa Drucker, elle est vibrante, frémissante. Elle ne s’appartient plus. Elle a sacrifié sa vie de femme pour n’être plus qu’une mère. Elle se défend farouchement, d’abord comme une louve puis comme la chèvre de Monsieur Seguin qui luttera toute la nuit. C’est un rôle fort, intense, éprouvant, extrême. Elle doit en sortir totalement vidée…
La pièce vaut donc essentiellement dans cet affrontement terrible avec un jeune homme pour enjeu. Mais il vaut mieux être bien éveillé pour savourer pleinement ce déferlement de mots et digérer cette écriture extrêmement roborative.Le décor est beau. Il nous restitue un intérieur cossu avec vue sur le Sacré Cœur. Et les costumes sont d’une grande élégance, particulièrement la superbe robe rouge qu’arbore Marie à la fin de la pièce.

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