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Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

Publié le 27 avril 2013 par Chatquilouche @chatquilouche

Ta réputation s’étoffa d’un surnom théâtral : la Furie au genou brisé.

Tu engueulais sans fin les filles, faisais des crises de nerfs, méprisais ta collègue et pourtant tes chorégraphies étaient les plus ambitieuses, les plus

Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…
adorées.  Tu devenais divine et une once de sourire revenait peser sur ta jolie bouche.  Ta haine te rendait vénérable.  On te plaignait.  On te craignait.  Il y avait là encore un peu d’amour de la part des autres.  De fabuleux spectacles.  Des articles élogieux.  La furie de la Scala offre sa plus belle chorégraphie.  Son genou est brisé, son génie exalté.

Des interviews.  Des autographes.  Des fleurs.  Des louanges.  Cet amas d’amour craintif ne suffisait pas.  Rien ne suffisait, pas même cette reconnaissance que tu n’avais pas atteinte du temps où tu dansais encore.  Tout ce que tu voulais, c’était danser de nouveau, et tu jalousais jusqu’à la plus nulle de tes élèves.  Tu enviais ses jambes qui esquissaient des pas pour le moins maladroits.

Encore un peu humaine, tu contenais ta rage, mais la bête n’était pas loin.  Elle sortit un jour sous la forme d’une gifle monumentale que tu donnas à l’une de ces jeunes filles prêtes à tout pour y arriver.  Elle ne parvenait pas, malgré tous ses efforts, à faire un saut gracieux dans une chorégraphie moderne.  Elle sautait, ses pieds pointaient joliment comme la queue d’un poisson, mais tout cela restait trop mécanique : tu voulais plus.  Une fois, deux fois, mille fois peut-être elle s’essaya à voler légèrement – cela restait lourd.  Hypnotisée par ces longues jambes humaines qui, dans ta tête, auraient dû être les tiennes, tu enrageais.  Tu savais que, toi, dans le temps, tu avais pu faire mieux, et l’incompréhension face à son incapacité, la jalousie dévorante, la folie sûrement, te poussèrent à te lever, avec ta canne, en plein milieu du cours, pour aller coller une violente claque sur sa joue déjà rosie par l’effort.  Elle tomba en pleurant.  Tu devenais enfin le monstre qui sommeillait en toi, tapi dans l’amertume.

Notice biographique
Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments, et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai(Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/)

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