Par Oddjob
- Poulain, tu ne vas pas le dénoncer, n’est-ce pas ?
- Ce serait trop vil !
- Mon Dieu ! Je… Je ne sais plus où est mon devoir !
- De… De toute façon, la blessure de ce malheureux est trop grave pour que nous puissions le… le soigner nous-mêmes…
- On trouvera un médecin ! Il est notre hôte, il a requis notre aide !
- Que faire ? Seigneur, inspirez-moi !
- Oh ! Et si nous demandions conseil à Monsieur le Curé ? Lui saura ! Il nous guidera !
Vous auriez tort de vous fier, amis lecteurs, à la bondieuserie qui pourrait transparaître de cet échange. Amoureux du grand air, des sacs Lafuma, des chaussures Galibier, de l’odeur des fougères au petit matin, de la tente canadienne, des sentiers de montagne… ne passez pas votre chemin !
Nous sommes en 1959, année de publication dans le beau journal de Spirou, du Hameau Maudit, huitième (et sans doute l’une des meilleures) aventure de la Patrouille des Castors, du duo Charlier/Mitacq.
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Pour tout vous dire, je n’ai, moi-même, jamais fréquenté le monde du scoutisme. Partagé, au début de mon adolescence, entre une pleine fascination (le prestige de l’uniforme de certains mouvements) et une totale incompréhension (guitare et pantalons longs chez d’autres groupes).
Bref, le scoutisme passait pour moi par la lecture assidue des exploits de Poulain, le charismatique Chef de Patrouille, Chat son ingénieux second, le très réfléchi Faucon, le "petit gros" gaffeur Tapir et Mouche, le cadet timide (dont les traits sont inspirés de ceux du fils de Pierre Joubert). Un sixième équipier, Lapin, ne partagera leur bivouac que pour le temps des deux premiers albums, Le Mystère de Grosbois et Le Disparu de Ker-Aven.
Car si en littérature, le genre a fait florès avec les ouvrages du Signe de Piste et ses hérauts, Foncine et Joubert, en bandes dessinées, le scoutisme n’a guère essaimé. Hergé nous gratifiera certes des exploits (anecdotiques) de Totor C.P. des Hannetons. Mais mis à part les Castors chez Dupuis, seules les éditions du Lombard tenteront une riposte poussive (comme, malheureusement, beaucoup d’histoires du journal Tintin, publiées par la suite à la va-vite dans les collections Jeune Europe ou Vedette…) avec les 3A, dessinés par Mittéi (fortement secondé par Tibet) et animés au scénario par Duchâteau.
Par contre, le passé scout sera régulièrement mis à l’honneur dans les enquêtes du Colonel Clifton créé par Macherot. Et notre fameux Héron Mélomane de rempiler dans Kidnapping pour prendre la route avec sa troupe et redevenir "le grand dadais en culottes courtes" !
Enfin, Yann et Hardy nous dévoileront la version trash d’une patrouille de guides – les fameuses Libellules – pendant la dernière guerre, avec en prime un Prince Eric plus aryen que jamais !
Alors, oui, ici ou là, l’on retrouvera l’esprit scout – loyauté, honnêteté, don de soi – dans bon nombre de bandes dont les plus symboliques seront celles de Jijé : Jerry Spring, Valhardi ne sont-ils pas animés de ce courage chevaleresque, de cette débrouillardise toute scoute. Et puis, qui d’autre que Jijé pouvait raconter avec autant de brio la biographie dessinée du père du scoutisme… Baden Powell ?
Mais revenons à nos Castors. La série connaîtra son apogée au milieu des années soixante. Le Trophée de Rochecombe, Le Traître sans Visage, La Couronne Cachée, L’Autobus Hanté… autant de morceaux de bravoure tant scénaristiques qu’au niveau du dessin, Mitacq (Toucan Bénévole) nous livrant notamment des illustrations de couvertures d’une efficacité toute "maraboutienne". Pourtant, la fin des 70s laisse déjà transparaître un essoufflement, la patte de Charlier se faisant un peu lourde et le dessin s’académisant. En 1980, Charlier jette l’éponge et Mitacq poursuit seul (parfois assisté au scénario par Wasterlain) les destinées des Castors. Prisonniers du Large sera la dernière péripétie (à peu près) digne de ce nom. Leurs aventures suivent ainsi les vicissitudes du mouvement scout : le tiers-mondisme a débarqué, le sac à dos se fait trop lourd et la guitare a définitivement remplacé le béret et le chapeau à quatre bosses !
Cependant, à côté de cette série phare, il ne faudrait pas oublier les autres productions de Mitacq. A commencer par Jacques Le Gall toujours en compagnie de Charlier. Créé dans Pilote dès son premier numéro (les planches y seront réalisées au lavis et publiées bien plus tard en grand format chez Dupuis), ce "scout" solitaire connaîtra six aventures d’excellente facture, dont le point culminant sera Le Lac de l’Epouvante. Depuis l’Alt Ausseer See, dans les Alpes autrichiennes jusqu’au Lac Toplitz, en passant par le Berlin de la Guerre Froide, notre jeune ami va se retrouver aux prises avec d’anciens nazis, de nouveaux communistes et d’espions occidentaux… tous partis à la chasse au trésor de guerre du défunt Reich ! S’étalant sur 65 planches, ce joyau franco-belge d’aventure est sans aucun doute celui de la paire Charlier-Mitacq : mystère, rebondissement, suspense, action, paysages grandioses, souterrains claustrophobiques… rien ne manque !
Nous ne nous étalerons guère sur son personnage de Stany Derval, reporter de télévision dans les 70s, plus proche du vieux garçon (collier de barbe compris) que du boy scout intrépide ! Surnagent, tout de même, d’histoires plus ou moins longues et ineptes, deux enquêtes dignes d’intérêt : Les Galops de l’Enfer (à la tonalité proche des New Avengers…) et Les Deux Trésors de Montorgueil (où l’on retrouve des grottes, la montagne, une organisation criminelle… c’est traditionnel et carré à souhaits !)
Mais aujourd’hui, plus de Castors, plus de jeunes gens fougueux épris d’aventure, plus de totem, sauf, peut-être, à Fury Magazine… Avouez que Hong Kong Fou-Fou en Chef de Patrouille, l’élève Moinet en jeune éphèbe apprenti louveteau ou Wally Gator en impétueux second dans son short bien repassé, ça a, tout de même, une certaine prestance !