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Un cheveu dans la soupe…

Par Hubjo @conseilresto

La fabuleuse histoire de la cuisine française ( suite )

Marchand de fromages de Maroilles ' d'après Carle Vernet

Marchand de fromages de Maroilles ‘ d’après Carle Vernet « 

Un jour, Napoléon inspecte un cantonnement et demande à la « roulante » une assiette de « soupe de soldat ». On la lui sert, mais… il y a un cheveu dans l »assiette. Autour de lui les grognards, pétrifiés d’admiration et de respect, le contemplent. Stoïque, il mange la soupe et en réclame même une seconde fois.

 » Le plus extraordinaire, raconte Constant, est que, dans cette seconde assiette, il y avait aussi un cheveu ».

Cependant, auprès de Napoléon, se trouve un fin gastronome : Préfet du Palais et Intendant Principal de la maison de l’Empereur, le marquis de Cussy est l’auteur d’un « Art Culinaire » à peu près introuvable aujourd’hui.

Il a dilapidé une immense fortune avant d’en être réduit à travailler. Napoléon l’aime beaucoup et l’appelle  » sa nourrice! « . C’est lui qui veille à l’approvisionnement de la cour ainsi qu’au remplacement des vêtements et des meubles. On dit même qu’il exerce sa vigilance sur les jeunes femmes que l’Empereur reçoit nuitamment… Cussy raconte qu’il a préservé son maître plusieurs fois du  » mal de Naples « . C’est lui qui est chargé d’accompagner Marie-Louise à Vienne, c’est lui qui accueille Napoléon aux Tuileries à la fin des Cent-jours. Après Waterloo, Louis XVIII lui redonne une charge en apprenant qu’il est l’inventeur des fraises à la Cussy, à la crème et au champagne.

Napoléon institue aux Tuileries les  » Distributions d’armes d’honneur « . En ces occasions, un grand banquet est offert aux braves que l’Empereur veut distinguer. Officiers et soldats sont mêlés à la même table et servis par des laquais.

Partant d’excellents sentiments et considérés comme faveur insigne, ces banquets sont cependant des échecs complets. Les simples soldats n’ont jamais vu de serviette, ni de fourchette ; intimidés, paralysés, la plupart n’osent même pas approcher leur chaise de la table et leurs assiettes repartent intactes aux cuisines.

Soupe populaire pendant la Révolution

Soupe populaire pendant la Révolution

Gouache de Lesueur. Paris, musée Carnavalet, collection Bidault de Lisle. Photo Hubert-Josse

Si Napoléon n’a jamais été amateur de bonne chère, deux hommes se chargent d’illustrer son règne, deux amphitryons demeurés célèbres : l’Archichancelier Cambacérès et Talleyrand.

 » Recevez à ma place et que votre table fasse honneur à la France  » dit l’Empereur au premier.

 » Recevez, donnez un dîner de trente six couverts quatre fois par semaine. Que tout ce que la France compte d’hommes de valeur et d’amis étrangers y soient conviés.  »

Chez Cambacérès, qui a fait de gros progrès depuis qu’il organisait la popote du Comité de Salut Public, les grands dîners ont lieu deux fois par semaine, les mardis et samedis, toujours pour une cinquantaine de convives. Les samedis sont réservés aux hauts dignitaires français et étrangers. On y sert seize ou dix-huit plats répartis en quatre services. Les dîners commencent à 5 heures 30 sous le Consulat, à 6 heures sous l’Empire. Jamais le maître de maison n’a retardé l’instant de passer à table. Aucun convive ne doit arriver en retard sous peine de se voir fermer les portes de la salle à manger.

Pareille mésaventure advient au Prince Guillaume de Bavière alors qu’il est à Paris pour la première fois et que son cocher a été pris dans les embouteillages. Le dîner est servi dans une vaste salle-à-manger dont les portes, donnant sur les trois salons, sont fermés. Une grand lampe en bronze doré et dix flambeaux à trois branches éclairent la longue table recouverte de nappes en dentelles de Bruges. Dans les salons, des buffets sont prévus pour ceux qui ne sont pas conviés à dîner.

Le repas dure deux heures en moyenne, mais parfois jusqu’à cinq heures. Cambacérès exige que l’on parle bas afin de ne pas troubler la dégustation. Peu de femmes autour de la table, bien que l’archichancelier, célibataire, soit connu pour ses aventures féminines qui font jaser ; mais les élues doivent être parées des plus somptueuses toilettes, des plus beaux bijoux. Un soir où il trouve trop simple la tenue de la Duchesse de la Rochefoucauld, il lui lance :

 » Vous avez là Madame un bien charmant négligé »

Mais la Duchesse à la répartie facile :

 » Monseigneur, réplique-t-elle, je vous conjure de m’excuser… Je sors de chez l’Impératrice et n’ai point eu le temps de me changer ! ».

Le dîner terminé, les portes des salons s’ouvrent. Cambacérès passe entre les groupes, s’arrête auprès des uns, ignore superbement les autres, se tourne vers son secrétaire et lui parle à voix basse. Alors celui-ci se dirige vers la personne que son maître vient de distinguer et à très haute voix s’écrie :

 » Son altesse Sérénissime vous convie à dîner pour mardi « .

Pourtant, voici le jugement grinçant de Carême sur les dîners de l’archichancelier:

 » Cambacérès s’occupait avec un soin minutieux de la table, mais seulement pour en discuter et en resserrer les dépenses.

On remarquait chez lui au plus haut degré ce souci et cette inquiétude des détails qui signalent les avares.

A chaque service, il notait les entrées qui n’avaient pas été touchées ou qui l’étaient peu ; et le lendemain, il composait le menu avec cette vile desserte.

Quel dîner ! juste ciel…. Je ne veux pas dire que la desserte ne puisse pas être utilisée ; je veux dire qu’elle ne peut pas donner un dîner à un Prince et à un gastronome éminent. C’est un point délicat que celui-ci : le maître n’a rien à dire, rien à voir ; la probité et l’habilité du cuisinier doivent seuls connaître des faits.

La desserte ne doit être employée qu’avec précaution, habileté et surtout en silence.

L’archichancelier recevait des départements des cadeaux sans nombre en comestibles et les plus belles volailles. Tout cela allait s’enfouir dans un vaste garde-manger dont le Prince avait la clé. Il prenait note des provisions, de la date des arrivages et donnait seul l’ordre d’employer les pièces. Les aliments en paraissaient jamais sur la table qu’après avoir perdu leur fraîcheur.

Cambacérès n’a jamais été un gourmand dans l’acception savante de ce mot : il était gros mangeur et même vorace. Pourrait-on croire qu’i préférait à tous les mets le  » pâté chaud aux boulettes  » plat lourd, fade et bête ! …. Quelle parcimonie ! quelle pitié! quelle maison ! « .

Repas républicain en l'an 1794

Repas républicain en l’an 1794

Les Parisiens fraternisent en prenant ensemble des repas civiques ; des tables sont dressées dans toutes les rues : on les orne de fleurs, de bustes, d’arbres, de guirlandes et rubans tricolores ; le riche apporte son rôti et son vin de Bourgogne, le pauvre sa bouillie et son fromage.

Paris, musée Carnavalet, collection Bidault de Lisle. Photo Jean Dubout, Tallandier.


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