Un cramé nommé Daisy.
Oui. Je dois le dire. Même l’avouer. J’ai trompé Caroline, mon dictaphone. Et de la plus haïssable des manières. J’ai trompé mon dictaphone avec Facebook, et plus précisément le module de chat en ligne. Snobisme 2.0 oblige. C’est dur, c’est lâche, c’est inélégant mais c’est ainsi. Mon petit appareil à qui je parlais comme l’agent Dale Cooper dans Twin Peaks doit s’y résoudre. Qu’il se rassure, l’infidélité n’a pas été vaine. J’ai ainsi passé plus d’heure en « compagnie » de Daisy Lambert, songwriter aussi facétieux que talentueux. Un homme d’un goût exquis, à l’humour classieux, parfois je-m’en-foutiste mais toujours courtois. Chose logique venant de celui qui trône noblement dans un superbe fauteuil en osier tout droit sorti de la péloche moite de l’Emmanuelle de Just Jaeckin. Pendant près de quatre vingt six minutes nous avons chaté à bâton rompu, avec distance - 465 km de câbles numériques – mais en cultivant une réelle intimité comme si nous étions sur je ne sais quel site de rencontres s’étalant à la télé, dans les publicités, avec ses séniors bien coiffés, très dignes, visages marbrés par les UV, aussi lisses qu’une plage à marée basse. La vieillesse acceptable. Nous avons parlé, la séduction a opéré, oh, pas une séduction de l’ordre du charnel, plutôt de l’intellectuel bien que la puissance de son premier opus – Chic Type – provoque en vous ces réactions physiques bien connues, frisson, transe, chair de poule. Malgré la dimension hautement synthétique dans la recherche sonore. Car comme dans tous les projets musicaux réussis, il y a le propos. Un chanteur doit toujours avoir des choses à dire, qu’elles soient ancrées dans le réel ou purement imaginaires, dites dans un verbe simple, direct ou enluminées de poésie baudelairienne. Cette dimension fait partie du contrat de base et pourtant elle fut parfois reléguée au second plan. Nombreux furent ces disques à penser que des lieux communs pouvaient faire office de sujets, d’idées. Voilà pourquoi la Chanson Française a longtemps baigné dans un doucereux formol s’accommodant des pires banalités sémantiques et mélodiques. En quelques années seulement, sous l’impulsion d’artistes frondeurs, la chanson se déleste de ses complexes, ses petitesses, elle repense son verbe, fait sienne les codes de la pop anglo-saxonne pour se réinventer littéralement. Depuis 2012, les choses s’accélèrent. Singer-songwriters – pardonnez-moi cet anglicisme – et groupes, chacun assume désormais ses ambitions. Dans ce contexte nouveau où les cartes sont rebattues, Daisy Lambert fait une entrée discrète, sur le plan médiatique, mais fracassante d’un point de vue musical. Il en sera largement question dans cet entretien, de cette vision – le mot n’est pas de trop – qui irrigue chacune de ses chansons. Pour aller plus loin, la meilleure façon d’appréhender Daisy Lambert, au-delà de l’écoute attentive de son album, au-delà de l’interview à proprement parler que vous allez bientôt lire, la façon la plus juste de sonder le personnage, l’homme, est encore de le lire au travers de la concurrence, dans ces entrevues qui fleurissent un peu partout. Il est un des rares jeunes artistes à évoquer avec force et franchise son travail, sa création, ses ambitions, ses névroses. On navigue en permanence entre l’acide et l’acidulé, Daisy Lambert parle avec lumière tout en ménageant sa part d’ombre. L’être tend à devenir aussi insaisissable que l’œuvre, pourtant étonnante, cinglante, franche et éblouissante. Des qualificatifs familiers pour celles et ceux qui seront tombés sur le clip définitif, définitivement attachant de Ce Soir J’te Sors. Pour l’heure – et sans mauvais jeu de mots – Daisy et moi avons à discuter… Paroles & musique & autres considérations.
Shebam : Vous êtes un chic type, le vouvoiement sera donc de rigueur pour cette interview. D’accord avec le principe ?
Daisy Lambert : Comme tu veux.
Shebam : Daisy Lambert, nous dévoileriez-vous votre vrai nom ? Ou l’artiste préfère avancer masqué…
Daisy Lambert : Bien sûr. Mon nom, c'est Lambert. Le même que celui de mes parents (je ne voulais pas leur faire de peine, je l'ai gardé).
Shebam : Entrons dans le vif du sujet. Que répondez-vous au fantôme de John Lennon qui affirmait lapidairement « Le rock français… c’est un peu comme le vin anglais. »
Daisy Lambert : (J'adore cette citation, dès que je peux, je l'utilise en me l'appropriant) Je suis assez d'accord. Il faut reconnaître qu'on ne sait pas tout faire. On a Saint-Laurent et le Saint-Émilion, c’est déjà bien.
Shebam : Plus sérieusement, la variété, habillement parée du mot alternatif, n’aurait-elle pas supplanté définitivement la chanson à textes un tantinet variétoche ?
Daisy Lambert : De toute façon, les deux cohabitent, même si c'est dans des espaces différents et pour des publics différents. Je crois que le terme est de toi, n'est-ce pas ? Je le trouve parfait, il est contrasté et ambigu. En ça, je me reconnais dans ce mood.
Shebam : On a l’impression que la nouvelle génération dont vous faites partie a relégué en deuxième division des groupes parfois considérés comme ringards – les influences bastringues – je veux parler notamment de Noir Désir, La Mano Négra ou encore Louise Attaque…
Daisy Lambert : "Veuillez rendre l'âme..." est un bel album. Mais hors de question de réécouter ça. Le truc, c'est qu'une guitare sonnera toujours comme une guitare, idem pour la basse et la batterie. À partir de là, l'esthète va rechercher la texture. Je remercie chaque jour la Providence d'avoir créé le synthétiseur. D'ailleurs, en parlant de Dieu, le synthé, c’est l’instrument idéal pour faire le mini-Dieu. Tu peux créer un son. Du début à la fin. C'est le tiens, il est unique. Magique... Donc, pour cesser de digresser deux minutes, Louise Attaque, faut être limite SM pour écouter ça.
Shebam : Parlons de l’album. Combien de temps a duré sa genèse (Notez la référence mini-dieu) ?
Daisy Lambert : Ça s'est étalé un peu. Il y a eu quelques prises de sons en 2011, mais l'essentiel a été enregistré en 2012 -2013, entre Paris et Lyon.
Shebam : La Femme Fontaine et Tes Seins Tes Poignets distillent un érotisme moite. C’est votre tendance DSK qui s’affirme ? Ou alors un goût pour l’esthétique des « Emmanuelle » (dixit le fauteuil de la pochette) ?
Daisy Lambert : Je ne fais pas une fixette sur le sujet, mais j'aime assez quand la musique transpire. Et l'esthétique Sylvia Kristel, ouais... j'adore. L'érotisme des 70s, voilà encore un autre paradis perdu.
Shebam : Dans l’ensemble, il se dégage de l’opus une certaine noirceur doublée d’une mélancolie latente. Est-ce un risque pour un premier album ? D’autant que ce parti pris tranche par rapport à l’esprit de votre premier single, My Pearl.
Daisy Lambert : Une mélancolie douce, je dirais (car j'ai essayé d'y mettre de la lumière, sans quoi, aucun intérêt). Mais c’est une étape psychologique. J'ai fait avec les données du moment, ça ne durera pas...
Shebam : C’est-à-dire ? Pouvez-vous préciser votre pensée ?
Daisy Lambert : Ça veut dire qu'il y a un temps pour regarder dans le rétroviseur, et un temps pour rouler. Mais bon, je ne sais pas comment tout ça va évoluer... J'aime bien les accords qui touchent le cœur, quand même...
Shebam : Sans tomber dans la flagornerie, je dirais que le chef-d’œuvre, le classique de l’album est Ce soir J'te Sors. Impression partagée ?
Daisy Lambert : Ouais. Je n'ai jamais fait mieux. Mais j’aurais pu mieux la faire.
Shebam : En terme de production ?
Daisy Lambert : C’est ça.
Shebam : La chanson fait preuve d’une rare densité musicale, les paroles quant à elles catalysent de nombreuses émotions. Cette déprime étincelante, cet amour peut-être perdu, c’est du vécu ?
Daisy Lambert : C’est une chanson de bromance en fait, c'est une réflexion sur l'amitié. Le meilleur des potes ne résoudra jamais le fond des choses. Pour moi, outre le fait d'être une oreille (pendant un temps), la fonction principale de l’ami est le divertissement. Quand je dis "j’en sais rien tu vois", ça dit tout. Quant à "je te sors", ça dit le reste (enfin, ça dit la suite).
Shebam : Bromance ?
Daisy Lambert : BRO = romance between brothers. Chanson d'amitié, non homosexuelle.
Shebam : Entre Tes Seins Tes Poignets et la reprise Norma Jean Baker, l’ombre de Gainsbarre n’est jamais très loin…
Daisy Lambert : Ah merde... Encore lui... Norma Jean Baker, il l'a écrite. Il fallait que j'y aille carrément dès le début, et puis on n’en parlera plus jamais. Pour l'album suivant, j'envisage d'ailleurs de chanter plus aigu, et plus "pop". Tu connais l'originale de Norma Jean Baker ?
Shebam : Oui.
Daisy Lambert : Je l'ai faite crépusculaire (enfin, j'ai essayé) et comme Marylin était une héroïne, j'ai mis un guitar hero. Sur fond de grosse boîte à rythme analogique, je trouvais ça plutôt cool.
Shebam : Parlons technique. Avez-vous enregistré l’album seul en jouant de tous les instruments ou avec un groupe ? Quelle est votre part d’implication dans le processus de production, les arrangements ? Est-ce un aspect de la création que vous pourriez déléguer ?
Daisy Lambert : J’ai réalisé tout, excepté sur deux morceaux (c'est Frédéric lo qui s'en est chargé). Pour les instruments, quand je ne joue pas moi-même, je fais appel à des zikos sans problème (je n'ai aucun ego d’instrumentiste). Pour la réalisation, j'aimerais bien un jour (être capable de) tout léguer de A à Z. Me pointer avec un piano-voix et laisser le mec tout penser... Si Grand Marnier ou Rob me propose, je dis "oui" tout de suite, mais ils ne sont pas nombreux sur la liste à susciter mon attrait au point d’être dans le don, j’entends.
Shebam : À ce propos, quel est votre rêve de producteur : un deuxième album produit par… a)Phil Spector ? b)George Martin ? c)Martin Hannett ? d)Quincy Jones ?
Daisy Lambert : d). Je réécoutais l’autre jour thriller... C'est un trauma dans l'histoire de la musique, ce truc...
Shebam : Qui sont Grand Marnier et Rob ?
Daisy Lambert : Grand Marnier, c’est le mec de Yelle, il lui fait tout -si je puis dire- je ne suis pas fan absolu, mais je sens qu’il a un putain de potentiel. Et Rob, c’est le clavier de Phoenix, il avait lancé un projet super ambitieux qui a été tué en plein vol par la fermeture du label. Rob, c'est un petit génie.
Shebam : Quincy sans aucune hésitation.
Daisy Lambert : Yes. Comme interprète, je choisirais Nelson Montfort (vu que je parle anglais de façon très modeste). Ça pourrait faire des belles séances en studio... Le flegme et l’assurance de Quincy... La ferveur passionnée de Nelson... On toucherait les étoiles.
Shebam : Êtes-vous du genre maniaque, à peaufiner chaque son, ou préférez-vous l’urgence qui est l’apanage du rock ?
Daisy Lambert : J'ai un premier jet instinctif et immédiat ; j'enregistre. Et puis je laisse reposer. Puis je peaufine pour me rapprocher du film qu'il y a dans ma tête. Donc, l’ossature, la mélodie, ça ne met jamais très longtemps. L'aventure sonore, elle commence après. C’est ce que j’adore. Le son, quand il arrive, tu le reconnais, il existait déjà quelque part, et tu le rencontres enfin : c'est émouvant, mais rare. J'ai dû capituler quelques fois...
Shebam : Lors de la phase d’écriture, ce sont les mots qui viennent en premier ou les mélodies ?
Daisy Lambert : J'ai un carnet dans lequel j'ai des punchlines et des thèmes, ou des images un peu vagues. Il a son existence propre. Parallèlement, j’ai des tournes, des suites à quatre accords, des maquettes, des textures. Quand je justifie la présence du chant sur telle mélodie, je mâche un truc qui sonne en "é" ou en "ar", et si je trouve rien dans l’immédiat, je vais pêcher des choses dans mon carnet.
Shebam : Au fond, n’a-t-on pas atteint avec ce disque, comme d’autres à venir – je pense à Charles-Baptiste –, un équilibre parfait entre le verbe, dont la langue française est le vecteur idéal, et une musicalité pop fondamentalement anglo-saxonne ?
Daisy Lambert : Si, enfin... Attends, l'équilibre parfait, il réside surtout en ma satisfaction... C’est ma joie, le baromètre. Les autres, je ne m'en occupe pas vraiment. Ce que je peux te dire aussi, c’est que j’écris de cette façon parce que je ne sais pas écrire comme Souchon, Jean Fauque ou Bergman. J’ai dû me tailler une écriture sur-mesure. Plus onirique qu'untel, moins raffiné qu'un autre. Charles-Baptiste dit que l'enjeu c'est d’être radicalement soi. Eh bien dites-vous que c’est une phrase qu'il m’a volée J (rhhh... quand je fais un smiley, j’ai l’impression de me trahir...)
Shebam : Quel argument donneriez-vous aux programmateurs de France Inter pour les convaincre de diffuser Chic Type ?
Daisy Lambert : Je leur dirais que j ai eu une chronique dans Shebam, ça devrait les calmer.
Shebam : On arrive (presque) au bout de cette interview : quel type êtes-vous dans la vie ?
Daisy Lambert : Un bon gars.
Shebam : Quelle île déserte emporteriez-vous dans un disque ?
Daisy Lambert : Super dur comme question ! Tu connais des noms d’île déserte, toi ?
Shebam : Héhé… Une île ou un endroit...
Daisy Lambert : Je sais pas… Je peux peut-être reprendre celle de Vanessa et Johnny. Je pense qu’il y a encore deux ou trois meubles. Sinon… Je dirais Hawaii que je ne connais pas du tout, ce qui fait que c’est encore plus beau que la réalité.
Shebam : Hawaii, en référence à votre chemise sur la pochette ?
Daisy Lambert : je n'y avais pas pensé, mais si je la porte, c’est que ça me travaille. Je suis fan de Thomas Magnum. Je trouve que ce mec a une sorte de décontraction over classe. Et puis un vrai style.
Shebam : On inverse les rôles. Posez-moi une question ?
Daisy Lambert : (Haha!... Toi, tu veux être une vedette...) Ok… Je sais que tu es papa depuis peu. Est-ce qu'il t'arrive de te faire des sessions d'écoute d'un CD en entier depuis la naissance ?
Shebam : Alors, c'est une très bonne question et j'y répondrais de deux manières. Oui car il se trouve que ma fille semble disposée à aimer la musique. Pendant mon congé paternité j'ai passé pas mal de vinyles, les Beatles avec le double blanc, le premier album de Birkin - elle adore Di Dooh Da – et Day Of Future Passed – sorte de fantasia pop – des Moody Blues. Pas mal de classique aussi, Rachmaninov, Wagner, Weber. Deuxième élément de réponse : j'ai vécu un énorme retour en arrière, celui de mes années adolescentes, avec l'écoute (je ne devrais pas le dire) de Madness, des premiers Iron Maiden. D'autres amis ont vécu cette même expérience. Ce besoin de revivre une période révolue qui disparait un peu plus avec l'arrivée d'un enfant et l'installation définitive de l'âge adulte.
Daisy Lambert : Ok... Faut tout assumer, hein...
Oui, Daisy a raison. C’est sur cette pensée muette que finit notre interview digitale. Malgré la distance, les milliards de pixels, de câbles, d’octets qui nous séparent, j’ai comme l’impression d’avoir perçu au hasard d’un mot le son de sa voix, celle-là même découverte à l’écoute des dix chansons qui constituent la trame de Chic Type. Les phrases semblaient pesées, les idées aussi claires qu’un cristal de Baccarat. L’artiste m’apparut serein, décidé, désireux de poursuivre l’aventure – la deuxième chanson de l’album – et ce malgré le sort que lui réservera le Système. Mais l’avenir lui appartient, il ne s’envisagera pas sans Daisy. C’est une certitude. La variété alternative doit vivre l’alternance. Oubliez les tenants poussiéreux de l’ancienne chanson française. Ils n’étaient pas in qu’ils sont déjà out. Il est temps de changer de gouvernance ! Daisy Lambert au pouvoir
Chic Type, disponible sur vos plateformes de téléchargement adulées :
https://itunes.apple.com/fr/album/chic-type/id622568098
30-04-2013 | Envoyer | Déposer un commentaire | Lu 6 fois | Public Ajoutez votre commentaire