Magazine Beaux Arts

HISTOIRES D'EAUX ... A MARIEMONT - 2. ALEXANDRIE (Première partie)

Publié le 30 avril 2013 par Rl1948

 

   Deux heures du matin

   Nous sommes arrêtés, l'ancre est jetée, et la célèbre Alexandrie est là, devant nous, mais enveloppée d'ombre. La nuit est douce et magnifique : Cassiopée est depuis longtemps allumée sur nos têtes, ainsi que les innombrables flambeaux qui éclairent les inconnues et mystérieuses profondeurs des cieux. (...)

   Lundi 4 janvier 1864, à l'aube du jour

   Je ne puis décrire le tableau que j'ai devant les yeux : Alexandrie la célèbre, la grande ressuscitée, lève enfin la tête, sort de son tombeau et montre à ses amis alarmés ses deux cent mille enfants, ses mâts, ses palais.

Pour moi du pont du Péluse je cherche des yeux ses palmiers et le désert ; je pense aux lointains souvenirs d'Alexandre, de Cléopâtre, de César, (...)

   Les grèves sablonneuses et plates se déploient comme un large ruban jaune. Le port a ses dangers, il est hérissé d'écueils et de bancs de sable ; on ne peut traverser les passes étroites et sinueuses qu'en plein jour, et avec un pilote du pays : nous l'attendons.



Marie-Cécile BRUWIER

Les aventures d'une comtesse en Égypte

Récit annoté et commenté du voyage de Juliette de Robersart,

décembre 1863, mars 1864

Bruxelles, Labor, 2005

p. 24.

   Ce qu'ignorait alors la comtesse montoise, c'est qu'existait une ville souterraine

MARIEMONT - Maquette-de-la-citerne-Ibn-Battouta.jpg

permettant à celle qui s'éveillait devant elle et que nous propose le médaillon central de cette lampe à huile en terre cuite appartenant au Musée royal de Mariemont (Inv. Ac.503 B), 

 

MARIEMONT - Lampe à huile avec vue d'Alexandrie

de vivre réellement.

   L'exposition qui s'est ouverte le 20 avril dernier au deuxième étage de ce musée de Morlanwelz, en province du Hainaut,

MARIEMONT---Musee-et-parc--24-04-2014.jpg

va notamment s'ingénier à nous l'apprendre puisque, comme que je vous l'ai signalé la semaine dernière, amis visiteurs, elle a pour thème central, ainsi que l'indique son titre,

 

MARIEMONT - Titre expo (24-04-2013)

les moyens qui permirent à la ville d'Alexandrie créée ex nihilo à la fin du IVème siècle avant l'ère commune par le fils de Philippe II de Macédoine, Alexandre III, dit "le Grand", (356-323), conquérant devenu pharaon, de s'approvisionner en eau douce. 

     Même si elle est itinérante, même si elle a déjà été vue en Suisse et en France les années précédentes, même si, probablement, d'autres en ont sur le Net déjà rendu compte, j'aimerais vous inviter à déambuler à Mariemont, un peu comme nous avons l'habitude de le faire de conserve vous et moi, depuis mars 2008 au Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre. Et cela, simplement parce que ce qui fait la spécificité de cette manifestation culturelle de prestige, ici, en Belgique, n'a été conçu à semblable échelle ni au Mans ni à Neuchâtel : j'évoque là bien évidemment les monuments et documents annexes élargissant la thématique de départ en posant un regard d'une acuité plus grande sur la civilisation égyptienne. 

   Mais cela, si vous le voulez bien, nous le découvrirons abondamment lors de futurs rendez-vous hebdomadaires car, pour l'heure, je voudrais vous emmener à Alexandrie, en un voyage qui remontera le temps et que nous effectuerons, deux mardis durant, sous un angle plus spécifiquement technique.

   Dans sa volonté d'unifier les territoires du royaume dont il venait d'hériter, et dans l'esprit d'en conquérir d'autres aux fins de constituer un vaste empire, le jeune Alexandre  - il n'a pas encore 25 ans ! -, décida d'édifier de nombreuses villes et garnisons en Asie, - plus ou moins septante, si j'en crois les auteurs anciens -, et ce, jusqu'à l'Indus.

     Qu'elles se nomment Alexandroupolis ou Alexandrie, certaines - dix pour cent d'entre elles - sont encore de nos jours parfaitement identifiables : je pense entre autres aux actuelles Kandahar, en Afghanistan et Iskenderun, en Turquie. Mais il nous faut bien reconnaître que la première, la plus connue parce que la plus prestigieuse d'entre toutes ses fondations fut l'Alexandrie d'Égypte, cité grecque à la conception fortement influencée par les théories d'Aristote, précepteur et maître à penser d'Alexandre, à plan hippodamien, orthogonal, c'est-à-dire dont les rues se croisaient à angle droit, au nom de laquelle, dès l'Antiquité fut adjointe la précision ad Aegyptum, "aux confins de l'Égypte", simplement parce qu'elle ne se situait ni sur le Nil ni le long de son Delta.

     On dit en effet, nous raconte Plutarque, qu'après s'être emparé de l'Égypte, le roi voulut y fonder une cité grecque, grande et bien peuplée, et lui donner son nom (...)

Lorsqu'il eut vu tout l'intérêt de ce site (c'est une bande de terre qui, tel un isthme assez large, sépare une vaste lagune et la mer, et qui se termine par un grand port), il (...) ordonna de tracer pour la cité un plan en harmonie avec le site. Comme on n'avait pas de craie, on prit de la farine et on traça sur le sol sombre une surface en arc de cercle dont le périmètre intérieur était fermé par des lignes droites qui resserraient symétriquement l'espace, lui donnant la forme d'une chlamyde se rétrécissant à partir des franges.

   Le roi contemplait ce plan avec une grande satisfaction, lorsque soudain, venus du fleuve et du lac, une foule innombrable d'oiseaux de toute espèce et de toute taille s'abattirent sur cet emplacement comme des nuées et ne laissèrent pas un grain de farine. Alexandre fut troublé par un tel augure. Mais les devins le rassurèrent en lui disant que la cité qu'il fondait  serait très riche et nourrirait des hommes de tous les pays.     

   Nous sommes en janvier 331 avant notre ère. 

   Dès la fondation de cette "seconde Athènes" voulue par le jeune Macédonien judicieusement assisté par l'architecte Deinokratès de Rhodes, par Diasès et Kharias, ingénieurs militaires de son armée et qui, grâce aux trois premiers souverains succédant à Alexandre - Ptolémée Ier Soter "le Sauveur", entendez : du joug perse, Ptolémée II Philadelphe "celui qui aimait sa soeur" et Ptolémée III Évergète "le Bienfaiteur" -, deviendra pour trois siècles la capitale de la dynastie des Ptolémées, incontournable centre économique, culturel et cultuel du monde méditerranéen, la gestion de l'eau constitua un problème majeur, crucial.

Vital, pour l'indiquer d'un mot.

Et le demeura constamment, que ce soit aux époques romaine et arabe, et, en définitive, jusqu'à la mise en place du réseau moderne actuel. 

   Dès l'abord, vous l'avez compris, stricto sensu le Nil ne coulait pas à Alexandrie : la ville n'avait pas été construite sur les rives d'un des bras du fleuve se ramifiant au niveau du Delta mais en bordure de la Méditerranée. C'est d'ailleurs cette vue côtière que vous montrait ci-avant, rappelez-vous, le premier plan du tableau central de la lampe à  huile.

   A vrai dire, le Nil - ou, pour être plus précis, sa branche canopique, - entendez : celle sur laquelle se situait la ville de Canope -, se trouvait à une trentaine de kilomètres vers l'est ! Certes, me rétorquerez-vous, mais, à l'opposé de la mer, au nord, Alexandrie était néanmoins bordée au sud par le lac Mariout (ou Mariotis, pour lui donner son appellation d'origine.

   Oui, je vous l'accorde. Sachez toutefois qu'il s'agissait d'un lac d'eau salée !

Convenez avec moi que ce n'est pas vraiment l'idéal pour une consommation régulière.

   Le premier geste consista donc à puiser dans la nappe phréatique par l'intermédiaire de puits aménagés un peu partout dans la ville avant que le pharaon Ptolémée Ier, en 305, entreprenne de faire creuser par les Alexandrins - qui n'avaient fort heureusement pas deux mains gauches ni, comme on le croit trop souvent, douze pieds ; (merci Michel de m'avoir soufflé ce jeu de mots !) -, un canal qui, s'inscrivant sous une partie du réseau viaire, sous la monumentale voie Canopique notamment - 5 kilomètres de longueur -, comme ci-dessous l' "imagine" la magnifique aquarelle de l'égyptologue Jean-Claude Golvin,

 

MARIEMONT - Alexandrie - Voie canopique - Aquarelle Golvin

relierait leur ville au Nil, l'alimentant ainsi grâce, dans un premier temps, aux hyponomes, comprenez : aux canalisations drainantes aménagées dans ce grès dunaire qui, d'une certaine manière, faisait office de filtre, permettant ainsi aux habitants d'être pourvus d'eau douce par l'intermédiaire des puits dont ils disposaient dans leurs maisons ; et, dans un second temps, suite à une expansion démographique certaine, aux premières citernes souterraines de petite taille, creusées à même le roc.

   Jusqu'à ce que, en juillet 365 de notre ère, un immense raz-de-marée venu du large non seulement détruit quasiment un tiers de la cité hellénistique mais l'inonde de façon telle que nappe phréatique et canalisations regorgent de sel marin ! 

   Comment dès lors les Alexandrins vont-ils résoudre leurs nouveaux problèmes hydriques ?

   C'est ce que je me propose de  vous faire découvrir mardi prochain 7 mai, lors de notre deuxième et dernier rendez-vous consacré spécifiquement à l'exposition itinérante de Jean-Yves Empereur, avant de visiter, les semaines suivantes, les salles voisines qui, débouchant sur une perspective élargie, vous permettront de notamment admirer quelques-unes parmi la centaine de pièces antiques qu'a choisies l'égyptologue Arnaud Quertinmont pour nous faire comprendre le rôle primordial joué par l'eau au sein de la civilisation égyptienne pharaonique et gréco-romaine.

(Aufrère/Golvin/Goyon : 1997 ; Empereur : 1998, 90-1 ; Plutarque : 2001, 1250-1


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