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[Critique] LORD OF WAR

Par Onrembobine @OnRembobinefr
[Critique] LORD OF WAR

Titre original : Lord of War

Note:

★
★
★
★
½

Origine : États-Unis/France
Réalisateur : Andrew Niccol
Distribution : Nicolas Cage, Jared Leto, Ian Holm, Ethan Hawke, Bridget Moynahan, Eamonn Walker, Sammi Rotibi, Nalu Tripician, Lize Jooste…
Genre : Thriller/Drame
Date de sortie : 4 janvier 2006

Le Pitch :
Fils d’un immigré ukrainien, Yuri Orlov a grandi en Amérique avec son frère, Vitaly. Audacieux, opportuniste et fin négociateur dans le monde des affaires, il se fait une place dans le trafic d’armes. Les yeux toujours rivés sur la récompense, Yuri peine d’abord à gagner le respect des marchands de haut-rang. Aidé par son frère, Yuri va à contre-sens de la concurrence, devenant l’homme qui vend à tout le monde. Lorsque la Guerre Froide prend fin et le bloc soviétique s’effondre, c’est son style de business qui devient à la mode, et grâce à ses relations avec l’Est, il multiplie les coups toujours plus risqués et gagne de plus en plus gros, échappant sans arrêt de justesse à l’agent d’Interpol Jack Valentine, qui le pourchasse. Des luxueux immeubles new-yorkais aux palais des dictateurs africains, les exploits de Yuri font de lui l’un des plus grands vendeurs d’armes du monde, mais ses richesses ont un prix : Vitaly devient accro à la drogue, sa vie de famille souffre face à sa double vie explosive, et le destin et sa conscience menacent de le rattraper…

La Critique :
Non, c’est pas un film d’action à la Nicolas Cage ordinaire. Lord of War est une comédie noire et satirique qui emploie une souche tordue d’humour macabre pour communiquer un outrage moral sincère. Le cadre familier des sagas de la pègre qui voient l’ascension, puis la chute d’un malfrat à la sauce Les Affranchis, est à nouveau placé sur le tapis pour être retravaillé, et ô merveille, donne un autre film de qualité. Simple mais solide, le modèle typique de l’épopée du crime monumentale introduit par Martin Scorsese (en bref : un jeune ambitieux de la classe ouvrière gravit les échelons, atteint le sommet d’une entreprise illégale, va trop loin et voit enfin son empire s’écrouler, accompagné par des mélodies de musique populaire s’étendant sur des générations et avec des événements historiques comme toile de fond) a été marié avec succès à la pornographie (dans Boogie Nights), à la distribution de cocaïne (dans Blow) et au business des casinos (le Casino de Scorsese). Dans Lord of War, le récit de misère-à-richesse incarnant le rêve américain est le même, mais son héros est un trafiquant d’armes.

Nicolas Cage endosse le rôle de Yuri Orlov, le fils d’un immigré ukrainien devenu marchant de mort. En cours de route, le scénario lui donne l’occasion de jouer les notes clés du même livre de jeu que Les Affranchis : il épouse la belle nana, couvre sa famille de richesses, entraîne son petit frère (Jared Leto) dans son monde, fuit les poursuites d’un agent d’Interpol, et finit par se faire complètement dépasser par ses propres ambitions…ou peut-être pas, finalement.

Écrit et réalisé par Andrew Niccol, le film est ambitieux, intelligent, bien rythmé et porté par de très grandes performances. Il est également lugubre, glacial, largement dénué de message prêchi-prêcha, et cynique comme tout. Quelques-unes de ces qualités pourrait éteindre l’enthousiasme de certains, sans doute, mais il se trouve qu’elles sont une véritable douche froide : Niccol fait confiance à son public, espérant que la plupart d’entre nous comprennent déjà que le trafic d’armes illégal, c’est mal, et ne transforme pas son film en sermon politisé. Une blague de malfrat faite sur les élections américaines de 2000 et un texte nous informant des statistiques sur le commerce des armes par des membres de l’ONU, sont les seuls éléments à frôler ce territoire-là, et tous deux sont affalés dans le même cynisme « tout le monde est une pourriture » que le reste du film.

Niccol annonce ses intentions dés le début, alors que la séquence d’ouverture virtuose suit la vie d’une balle, de sa naissance sur la chaîne de montage d’une usine, à son voyage autour du monde, pour finir dans le crâne d’un jeune enfant africain. Employant une narration voix-off merveilleusement sardonique de la part du antihéros dépourvu de conscience incarné par Cage, Lord of War est très irrévérencieux et souvent monstrueusement drôle. Il est également à peu près aussi subtil qu’un marteau-piqueur, ce qui menace de devenir un problème au début, mais reste fun grâce à une consistance de ton : la chanson For What It’s Worth domine la séquence du générique citée plus haut. Le bruit des coups de feu d’un AK-47 se transforme en son « ka-ching » d’une caisse enregistreuse aux oreilles de Yuri. Un montage de consommation de cocaïne est accompagné par, oui, Cocaine, d’Eric Clapton. Ce genre de brusquerie tout-pour-le-tout est amusant en soi, mais c’est réjouissant de le voir contribuer au succès d’un bon film, pour changer. Ne riez pas confortablement, quand même : à chaque fois qu’on se marre un peu trop, Niccol nous frappe au ventre avec un acte choquant de violence.

Mais le film atteint un sommet terriblement dérangé lorsque Yuri commence les affaires avec le dictateur africain André Baptiste (Eamonn Walker qui pousse la menace au maximum) et son fils psychotique et cannibale armé d’une kalachnikov plaquée or, tous deux façonnés après Charles Taylor. Le cynisme bienvenue du film par rapport à son sujet principal s’étend ou s’accroît même, à la clientèle africaine, et les images de zones de guerre despotiques et tribales sont un véritable gourdin par rapport à The Constant Gardener, avec ses victimes du tiers-monde angéliques et ses martyrs occidentaux accablés de remords. À un moment, la solution remède-miracle de Yuri face à la capture imminente de son avion chargé de contrebande, frappe tellement avec son attitude politiquement incorrecte que ça mérite presque des applaudissements. Trop de films traitent le chaos en Afrique (qu’il soit déclenché par l’Occident, par le pays lui-même, ou autre) avec des gants tellement délicats, terrifiés de représenter des personnages d’origine africaine comme étant autre chose que des caricatures de noblesse sans profondeur, que c’est une véritable joie de voir un film qui leur accorde la même dimension et complexité morale que l’américain à la tête du récit…qui est, bien sûr, un mec complètement amoral, mais immédiatement agréable.

Dû à sa présence (opportune ou importune) dans autant de navets, il est facile d’oublier à quel point Nicolas Cage peut être un acteur débrouillard et attachant quand il se donne la peine de se mettre au boulot. Son Yuri Orlov est une créature reptilienne qui ment comme elle respire, mais Cage arrive à garder la sympathie du spectateur, laissant apparaître des signes discrets d’une conscience longtemps en sommeil derrière son tas de rationalisations flagorneuses. Yuri est le genre de personnage un peu compliqué dés le début, et ne cesse de le devenir alors que l’histoire se poursuit, mais on peut finalement le définir par une simple caractéristique : il fait ce qu’il fait parce qu’il aime être bon à quelque chose. Une infamie en forme de fierté, et comme n’importe quel antihéros qui grimpe au sommet pour ensuite toucher le fond, c’est à la fois sa puissance et son défaut fatal. Que l’on finisse par l’encourager dans sa démarche ou non pour voir s’il finira par s’en tirer, dépend du spectateur, mais il y a des chances que vous soyez divertis en le regardant essayer.

Ethan Hawke s’avère être un excellent antagoniste : ses airs de « génération extrême » apparemment évanouis. Tel que l’ont démontré Training Day et le remake d’Assaut sur le Central 13, il a grandi dans son jeu pour devenir un acteur très direct, sans chichis. Bridget Moynahan se voit malheureusement coincée dans un rôle sous-développé en tant que la femme trophée de Yuri, qui évite de poser trop de questions sur le fric gagné par son mari (ou pourquoi le président de Libéria vient déjeuner dans leur appartement). Étalé sur un tel nombre d’années, il arrive quelquefois que le film penche vers l’inégal et l’épisodique, mais il finit par se racheter avec une fin qui explose comme un obusier.

Niccol a touché le gros lot avec son scénario brillant pour The Truman Show de Peter Weir, et était aux commandes de l’excellent thriller de science-fiction Bienvenue à Gattaca, l’intéressant Time Out, et Simone, l’horrible comédie sur la réalité virtuelle. Lord of War est un moment de détachement de sa fiction typiquement spéculative, et dans ses meilleurs états le film convoque l’outrage absurdiste et turbulent des Rois du Désert de David O. Russell. Certes bancal dans sa structure, Lord of War reste le genre de divertissement chargé de politique et de bravoure qui semble avoir disparu ces derniers temps. Perdurera-t-il comme Les Affranchis et ses frères ? Le temps, comme toujours, nous le dira…

@ Daniel Rawnsley

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