L’Autorité

Il y a de ces mots qu’on n’aime pas, qui attirent l’antipathie et éveillent la méfiance, comme les mots « Pouvoir » ou « Autorité ». On n’aime pas en subir l’exercice, car il semble que ce soit toujours au mépris de notre intégrité : au fond de nous règne notre conscience qui supporte mal les injonctions à laquelle on la soumet.

C’est ce que Rousseau appelle la liberté. Si l’autorité nous révolte, c’est qu’elle heurte en nous quelque chose d’inaliénable, un vrai pouvoir de juger, de dire oui ou non, d’accepter ou de refuser. Chacun sent en lui cette voix qui consent et rejette, admire ou méprise. Quoi qu’on nous dise et quoi qu’on fasse, qu’on obéisse en silence ou qu’on claque les portes, cette conscience intime veille et décide.

D’où l’idée qu’il n’y a pas d’autorité naturelle d’un homme sur un autre. Celle-ci est toujours acceptée ou refusée. Je juge qu’une personne est supérieure, admirable, qu’elle mérite d’être écoutée. Ou je condamne celui qui m’impose de faire ce que je juge être n’importe quoi. Même obéissant, on peut se révolter. Même fasciné, on peut reconnaître la supériorité d’un être, ou vouloir s’y soustraire.

Ainsi la volonté d’appartenir à un autre, de se soumettre entièrement à lui, est-elle toujours hypocrite. Une fois adulte, on garde son souverain pouvoir de juger et la domination totale est impossible. Mais sur la base d’une telle liberté, quel pouvoir peut être reconnu comme légitime ?

On voit bien qu’il y a au moins deux sortes d’autorité et que le même mot peut renvoyer à des attitudes très différentes. Tous les rapports de domination ne sont pas les mêmes, et on peut être « chef » sans être un « maître ». On peut commander, sans humilier ; donner des ordres sans rabaisser. La condition de l’autorité légitime, c’est qu’elle soit accessible, intelligible, partageable.

L’Autorité légitime est un Pouvoir qu’on aurait pu vouloir. C’est ce que je fais contraint, mais que j’aurais pu faire sans l’être. On voit alors que pour reconnaître la légitimité d’une autorité, il faut être devenu très, très raisonnable… Car cela suppose de juger ce qui a une valeur commune, indépendamment de l’intérêt personnel.