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Dance with (her)

Publié le 18 avril 2008 par Gregory71

Dance With Me

Il y a des centaines de jeunes adolescentes, principalement américaines, qui dansent sur Internet. C’est un étrange phénomène. Elles réalisent une chorégraphie sur un morceau de R’n'B mimant le clip original. Elles se filment, le plus souvent avec une webcam et diffusent le résultat sur Youtube. Elles sont productrices et diffuseuses. Elles sont le circuit des médias contemporains. Une nouvelle forme de cinéma indépendant?

On peut bien sûr railler de telles pratiques, en dénoncer le conformisme, démontrer que le réseau fait circuler des pratiques du corps de plus en plus standardisées parce que de plus en plus informées les unes des autres. Critiquer aussi le voyeurisme (vieille culpabilité de celui qui pour critiquer a dû devenir lui-même un voyeur, échange des rôles dans la logique de la représentation) et l’exhibitionnisme de ces (pauvres) jeunes filles se donnant à notre regard, se conformant à un désir grégaire. Sur le réseau, les corps ne sont pas seuls.

Par de telles réflexions, on aura évité bien sûr l’essentiel: se pencher vraiment sur ces images, non comme un reflet mais comme une action. Ces images ne produisent pas des représentations qui risquent toujours d’être pensées sur le modèle original-copie, vrai-faux, moral-immoral, mais des modes d’action sur et dans le monde.

Ces jeunes filles sont des adolescentes, elles sont au seuil, parfois franchi, de la séduction. Peut-être n’ont-elles pas agit, mais elles vont le faire, bientôt, elles y pensent. Déjà les images sont là, le désir d’un baiser, d’une caresse, le frisson qui monte quand on sent cette chaleur là, les corps qui se rapprochent. Qu’est-ce que ce moment précis de la vie a à voir avec la standardisation des corps diffusés sur Internet?

C’est toujours la même histoire en art, surtout au cinéma. L’histoire d’un adolescent un peu mal foutu, timide, qui arrive dans un endroit qu’il ne connaît, rempli de désir, incapable de les assumer comme immobilisé par le trop et le pas assez, une congestion du possible. Regardez le cinéma américain et la figure récurrente de ce jeune perdant qui ne parvient pas à agir, qui voit les autres agir comme si la vie défilait devant ses yeux sans qu’il puisse y entrer, sans doute le cinéaste, Scorsese et Spielberg et tant d’autres. Godard à sa manière qui a rêvé dans les années 60 une autre vie, celle de Welles et de ses actrices, une vie désirante, libre, comme le flux du désir.

Nous connaissons cette figure du teenager mal dans sa peau. En face, il y a ces adolescentes. Ont-elles tout le pouvoir de séduction? Que fait ce jeune homme timide, n’osant les aborder? Souvenez-vous réellement de cette émotion, de cette hésitation et du conformisme des soirées, des premiers baisers. Chacun fait la même chose à peu près au même âge, et pourtant, vous le savez, c’est singulier, c’est votre histoire. Vous avez embrassé comme chacun, votre corps a bougé comme d’autres, cherchant la bouche, effrayé à l’idée de mal embrasser, vous aviez quoi?, 11, 12 ans? La palpitation chaude qui prend à la gorge, l’émotion si vive, à couper le souffle.

Il y avait ces jeunes filles si désirables dans votre école. Qu’est-ce que ça voulait dire pour elles de supporter tous ces désirs, c’est-à-dire finalement ces images, ces projections qui, répétons-le ne sont pas des représentations mais des actions? Comment une adolescente peut-elle répondre à une image? N’est-ce pas à son tour en produisant une autre image? Par exemple, anoxerique ou encore en dansant devant une webcam et en s’offrant au regard de l’anonyme qui est sur Internet? Il s’agira alors de rentrer dans le rêve d’une femme, d’en faire partie et que peut-être au matin elle vous raconte ce rêve de vous.

La passion des anonymes, titre d’un article que je suis en train d’écrire, est cette circulation du désir sur Internet qui vient répondre à toutes ces projections intensives que nous faisons les uns sur les autres.

Regardez bien Dance With Me, il y a des jeunes filles belles d’autres moins. Et c’est vrai qu’on les juge ainsi, trouvant le plus souvent grotesque la danse d’une ado un peu grasse, puis étrangement désirable (qu’on convertira en l’obscène d’une fillette voulant trop vite devenir femme vulgaire) le mouvement déhanché d’une jeune fille répondant aux critères de beauté. Mais qu’est-ce que cela veut dire pour cette première fille de se diffuser sur Internet? N’y-a-t-il pas là un éclat profond de rire détournant la standardisation de notre regard? Et si certaines jeunes américaines semblent assez stupides pour adopter le lapin de Playboy en intériorisant le regard réducteur de certains hommes, cela ne signale-t-il plus profondément, dans le tissu du réseau, la normalisation désirante de notre regard, comme si le désir ne fonctionnait qu’à cet échange entre la norme et la singularité. Souvenez-vous encore dans cette chaleur à couper le souffle d’un des premiers baisers, l’hésitation et le frémissement, les mains moites, le coeur qui va exploser.


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