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Le bonheur de s’enmironner

Par Carmenrob

Si le grand ménage est le remède tout indiqué à l’encrassement, admettons que sa mise en œuvre n’a rien d’agréable. Lorsqu’il est public, comme la nécessaire commission Charbonneau, il ne faut pas s’étonner de son effet démoralisant sur les témoins de l’opération. Un antidote à l’écœurite aiguë qui peut en découler : une lecture exceptionnelle, une biographie qui vous permettra de passer quelques heures avec un personnage intègre à l’os, un croyant dans l’homme, dans sa capacité à advenir, envers et contre tout. Gaston Miron, La vie d’un homme, de Pierre Nepveu, paru en 2012, et lauréat du Prix du Gouverneur général.

Ce livre m’a émue, enthousiasmée, captivée.

Miron
C’est d’abord un formidable retour sur l’histoire récente du Québec observé de la fenêtre d’un poète natif de Sainte-Agate, dans les Laurentides, et citoyen engagé d’un Montréal terriblement anglicisé, à son arrivée, en 1947. On assiste, fasciné, au développement tous azimuts (politique, économique, culturel et social) d’un peuple en train de devenir adulte, presque un homme, presque un pays, ainsi qu’à l’éclatement des carcans d’une langue tributaire de celle de la mère patrie et qui cherche à dire son identité singulière de francophone au cœur de l’américanité.

Bien sûr, de langue, de langage et de mots, il en sera abondamment question dans cet ouvrage portant sur un poète, écrit par un autre poète. Car cette langue est au cœur de toute la démarche littéraire et politique de Miron, tout comme l’indépendance du Québec, les deux étant intimement liés. Si j’ose résumer sa pensée (quelle prétention!), je dirais que pour s’ouvrir aux autres, à l’universel, l’individu doit d’abord s’ouvrir à son être, devenir qui il est, et que cet accomplissement ne peut se faire en dehors d’une langue natale et d’un peuple dans lequel s’ancre son identité. Autrement dit, l’individu ne peut être libre dans une langue et un pays colonisé. Qu’on partage ou non son point de vue, ce livre permet de mieux saisir la pensée des militants de la protection de la langue et de la souveraineté du Québec.

L’histoire de la poésie et de son édition dans le Québec moderne constitue une autre ligne de fond de l’œuvre. Et c’est passionnant. Si comme pour moi, la lecture de la poésie ne va pas de soi, qu’elle vous effraie, vous déroute ou vous rebute, vous sortirez peut-être de ce livre avec un goût accru pour ce langage primordial et une meilleure compréhension de la poésie de Miron. C’est l’effet qu’il a eu sur moi et c’est la grâce que je vous souhaite.

Mais plus que tout, le bonheur de ce livre, c’est la rencontre avec l’homme, Gaston Miron, à la fois plus grand que nature et si humain, si fragile. L’homme porté par une intériorité si profonde et si douloureuse que seul un activisme essoufflant permet de supporter. L’homme de combat, de conviction et de foi dans ses principes. L’homme bourré de contradictions. L’homme fasciné par La femme, mais aux relations si tourmentées avec les femmes. Nous l’accompagnons dans sa maturation personnelle et sociale, poétique et affective, comme rarement une biographie n’arrive à le faire. Cela a sans doute à voir avec l’affection de l’auteur pour son sujet.

L’auteur, Pierre Nepveu, n’est pas le premier venu sur le plan littéraire. Il a publié, depuis 1971, de nombreux livres – poésie, romans, essais – et son cheminement est marqué de plusieurs reconnaissances littéraires. Il nous offre une œuvre fouillée et exhaustive. Disons pour illustrer ceci, que le bouquin compte plus de 100 pages consacrées aux remerciements, sources, abréviations, notes et index en appuie à 789 pages de texte! Littéraire par le sujet, cette biographie est également littéraire par le style, servie par une plume précise et élégante. Une œuvre sans complaisance, mettant en lumière tant la grandeur du personnage que son côté d’ombre, ses faux pas et ses erreurs. Ce qui d’ailleurs contribue à nous rapprocher de son sujet, de celui qui est à la fois un monument de notre littérature et un être de chair, pour ainsi dire un père spirituel.

Cette lecture m’a véritablement comblée, ne me laissant qu’un cuisant regret, celui de ne pas avoir assisté à une de ses performances publiques, d’avoir laissé passer des occasions d’entendre le message de la bouche du «forcené magnifique» qui savait porter sa parole avec tant de talent et de force. Me reste, pour me consoler, L’Homme rapaillé (l’unique livre d’un homme qui a consacré toute sa vie à la poésie!), ce don de lui-même, cette source inépuisable de réflexion sur l’être et sur les mots pour le dire.

En complément, je vous suggère, sur You Tube, en quatre volets, Les outils du poète, un film d’André Gladu, tourné en 1994, vers la fin de sa vie de Miron.

Pierre Neveu, Gaston Miron. La vie d’un homme, 2012, Boréal Compact, 900 pages


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