Magazine Amérique latine
Les journaux argentins reviennent aujourd'hui sur l'intronisation du roi Willem-Alexander des Pays-Bas et son épouse, la reine Máxima, qui a eu lieu mardi 30 avril, fête de la Reine (désormais du Roi) dans ce petit pays de l'Europe septentrional.
Página/12, qui respecte scrupuleusement le caractére férié du 1er mai, n'a rien publié hier (il ne paraît pas), il n'en va pas de même de Clarín et de La Nación (qui ne vont tout de même pas se plier aux rites de cette fête gauchiste, encore que, ce matin, Clarín y allait de son petit couplet paradoxal sur l'intervention pontificale d'hier, à l'Audience générale, pour dénoncer les ravages sociaux de l'économie ultra-libérale, l'égoïsme du profit au détriment du travail et la dégradation de la condition salariale jusqu'à la réapparition d'une forme d'esclavage).
Página/12 avait donc devancé l'appel en publiant un premier article mardi à l'aurore (vu le décalage horaire, la rédaction n'avait pas encore reçu les informations en provenance d'Amsterdam au moment du bouclage de l'édition papier). Un article factuel sur le déroulé des célébrations, les invités présents, les enjeux vestimentaires du jour... Bref, pas de quoi casser trois pattes à un canard, sauf pour un paragraphe bien acide, consacré à la mode des parillas argentines (1) à Amsterdam, toutes plus authentiques les unes que les autres puisque les chefs en sont pakistanais et font travailler du personnel égyptien ou vice-versa, selon la complainte d'un vrai parillero argentin de 61 ans et installé aux Pays-Bas depuis la dictature militaire. Le brave monsieur ne décolère pas de l'offense faite à l'honneur de son pays d'origine et de sa tradition culinaire. Aujourd'hui, le quotidien raconte la journée d'hier avec à peu près autant d'erreurs sur la signification des cérémonies qu'il y en a dans nos journaux européens lorsqu'il s'agit de l'Amérique du Sud. Tout ou presque est à côté de la plaque, mais c'est dit sans méchanceté et c'est là l'essentiel.
Après avoir fait sa une d'hier sur la nouvelle reine, avec un choix de photo assez discutable (on la reconnaît mal et il s'agit d'un cliché datant du 29 avril et non du 30), Clarín nous offre aujourd'hui un album photo très nourri, entièrement acheté aux agences de presse européennes. C'est pittoresque, anecdotique, ça n'aide pas à rapprocher les peuples puisque ça n'explique rien mais au moins, ça ne fait de mal à personne, et puis dans l'ensemble, ce sont de jolies images.
La Nación parvient, quant à elle, à publier un éditorial sur les dangers que représente pour Máxima son grand charisme (c'est à mourir de rire, la journaliste parle de balivernes avec le même ton empesé que pour disserter des enjeux de la réforme de la Curie et des intrigues de la cour romaine). La même rédactrice se livre aussi dans la même édition à une critique détaillée des trois tenues portées par la reine durant la journée, au Palais pour l'abdication de la désormais princesse Beatrix, à Nieuwe Kerk pour la prestation de serment du roi et enfin lors de la promenade fluviale de la soirée et du méga-concert pop de la nuit... Mais là où le quotidien se dépasse, c'est quand il arrive à propos de l'avènement néerlandais à publier un éditorial acrimonieux contre la Présidente Kirchner, sous prétexte qu'elle n'aurait pas daigné se déplacer elle-même pour honorer de sa présence cette intronisation. Et sur un ton persifleur, il en déduit des significations politiques fantaisistes et haineuses (2) alors que même les chefs d'Etat de l'Union Européenne (ce qu'il se garde de dire) ne se sont pas rendus sur place, ni ceux des monarchies (sauf le Prince de Monaco, venu seul) ni ceux des républiques et pas même ceux du cercle étroit et historiquement très solidaire des six partenaires du traité de Rome (Bénélux, Italie, France, Allemagne).
Et pourtant il y a peu de pays en Europe qui ont su faire un si chaleureux accueil notamment aux musiciens argentins. Songez que presque tous les ans, dans les dix dernières années de sa vie, Osvaldo Pugliese, le dernier géant des pionniers du tango de la Guardia Nueva, était invité à Amsterdam (les Néerlandais ont surpassé les Français de ce point de vue !), que ce sont les Pays-Bas qui ont accueilli le concert historique où Pugliese et Piazzolla ont joué ensemble pendant toute une soirée (le disque est devenu un must pour tous les tangueros du monde entier), que c'est de ce pays que vient l'un des plus grands vulgarisateurs du tango dansé, le bien nommé El Holandés. Il y avait tellement d'autres choses à faire que de se livrer à ces querelles de chiffonniers !
Pour aller plus loin : lire l'article de Página/12 du 30 avril lire l'article de Página/12 du 2 mai lire l'article de La Nación du 2 mai sur les robes de Máxima lire l'éditorial de La Nación sur le charisme de Máxima et ses périls lire l'éditorial de La Nación sur Cristina versus Máxima consulter l'album photo de Clarín.
(1) Parilla : grill. Ne jamais traduire. On croirait qu'il s'agit de la même chose qu'ailleurs dans le monde et ce n'est pas du tout le cas. Je plaisante à peine. (2) Elle ne se serait pas déplacée parce que la majesté de sa présence aurait fait pâlir la reine du jour et autres âneries du même tonneau. On croirait lire la presse de droite française de l'entre-deux-guerres quand elle attaquait les ministres du Front Populaire. C'est vraiment en-dessous de la ceinture.