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[note de lecture] Max Jacob, "Oeuvres", par Antoine Emaz

Par Florence Trocmé


JacobIl est toujours intéressant de repasser par ce tournant du XX° siècle, les années 1910, et Apollinaire, Reverdy, Cendrars, Jacob, sans compter Tzara, Valéry, et les surréalistes qui arrivent… Il y a peu, les éditions Flammarion nous offraient en deux imposants volumes les Œuvres complètes de Reverdy ; c’est au tour de Gallimard de proposer un robuste « Quarto » de 1800 pages qui rassemble les Œuvres de Max Jacob. Cela représente un travail de bénédictin (il en reste, heureusement !) pour le travail de présentation et les notes. Mais Antonio Rodriguez est un familier de longue date de l’œuvre de Jacob, et c’est tout à fait précieux quand il s’agit d’établir par exemple la paternité de l’Art poétique, faussement attribuée de façon conjointe à Jacob et Radiguet. La biographie liminaire, d’une grosse soixantaine de pages abondamment illustrées, est aussi un plaisir de lecture. Ensuite, on se partage entre retrouvailles et découvertes des textes, dans une œuvre aussi profuse que complexe dans sa façon de mêler les genres (poésie, théâtre, roman, notes…) et les plans (religieux, esthétique, critique, éthique…). Antonio Rodriguez montre bien la cohérence d’ensemble, par exemple lorsqu’il compare l’Art poétique de 1922 et les Conseils à un jeune poète de 1945. 
Mais pour un lecteur non familier de cette œuvre, cet ouvrage est surtout l’occasion de revoir (éventuellement) son jugement sur Jacob. Indéniablement, c’est une œuvre très singulière, forte, qui ouvre des voies distinctes de celles du surréalisme ou d’Apollinaire, Reverdy, Cendrars… 
Est-ce à dire que c’est une œuvre encore décisive, pour moi, maintenant, comme peuvent l’être les premiers livres de Reverdy ? Force est de répondre non. Et je crois, relisant Le Cornet à dés que ma réserve tient à ce qui pourrait faire l’adhésion d’un autre lecteur, ou en tout cas ce qui fait l’importance historique de cette œuvre, son caractère unique. Jacob use de sa maîtrise technique pour mêler sérieux et dérision, fantaisie et humour, pur jeu sonore, absurde… Je le vois comme un maître du farfelu, ce qui n’exclut au bout ni la mystique ni le tragique, mais en passant par des voies si étranges qu’elles me deviennent peu pénétrables. Autrement dit, et pour être un peu polémique puisque cette période 1910-1920 l’était diablement, je retournerais contre Jacob ces deux formules sans concession de l’Art poétique : « Les auteurs qui se font obscurs pour forcer l’estime obtiennent ce qu’ils veulent et pas autre chose. » (p.1348), ou « Si bien écrit, si bien écrit qu’il n’en reste plus rien. »(p.1355) 
Voilà qui, en bonne logique jacobienne, devrait inciter tout lecteur à se précipiter sur ce « quarto » pour se faire sa propre opinion sur cette œuvre attachante autant qu’épineuse, trop peu maniable pour être facile, mais certainement risquée, tout autant que certaines œuvres expérimentales d’aujourd’hui. En ce sens, Jacob a gagné : à cent ans de distance, il reste « moderne ». 
[Antoine Emaz]  
Max Jacob,  Œuvres, Editions Gallimard, collection Quarto, 1824 pages, 29,50€ 
 


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