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[anthologie permanente] Alain Helissen

Par Florence Trocmé

On joue la nuit 
dans un théâtre d’ombres 
Toujours ce long convoi 
dont on épingle au passage 
quelques mots marchandises 
achalandés sur papier blanc 
format Acomme l’autoroute 
un peu plus loin 
D’autres déplacements 
On pense au pronostic vital 
engagé sur la voie 
d’arrêt d’urgence 
au bout de vingt minutes, plus à se préoccuper du prochain  
péage – 
On ramène quelques mots 
dans la nasse 
On les range sur la ligne 
avec assez d’espace entre 
pour que le vent s’y infiltre 
et les sèche 
jusqu’à les faire craquer 
comme des châtaignes oubliées 
au fond du four 
• 
On joue tout seul 
des cartes du hasard 
sur le Pont des Arts 
ticulé 
On joue sondé 
à en découdre 
de toutes les opinions 
On joue le soir 
enfin sorti 
des bouchons diurnes 
de tout ce temps perdu 
à œuvrer pour sa 
social security 
On écrit bien après 
le journal de vingt heures 
oublieux des écorchures 
d’un monde télévisé 
giclant son sang impur 
maculant tout l’salon 
On nettoie les images 
d’un torchon imbibé 
d’un peu d’alcool 
On a le geste vif 
de qui veut effacer 
le fond de paysage 
• 
On a perdu son nid 
et comme coupé ses ailes 
avant la migration 
On a raté le dernier car 
de ramassage 
et on serre contre soi 
un billet pour nulle part 
On s’écrit des poèmes 
se sachant seul à lire 
ses fautes d’orthographe 
On joue tout seul 
la fin du dernier acte 
– Le quatrain sifflera 
trois fois – 
• 
On joue en retrait 
une dernière partie 
avant la nuit 
On joue comme ça 
le temps qui reste 
encore un peu collé 
à nos os entêtés 
On joue son inventaire 
de mots qui n’en finissent pas 
de se décomposer 
Comme chair nouée 
au bout de la ficelle 
On joue trop près de la sortie 
même lui tournant le dos 
On vide encore 
les derniers vers 
d’un poème trop long 
qu’on voudrait abréger ainsi : 
Mille mots dits 
Soient qui les inventent 
• 
On a toujours un livre 
d’avance et plusieurs 
en retard 
On a noté les titres 
sur une page de cahier 
Avec le temps peut-être 
resteront-ils ainsi 
vidés de leur substance 
comme au bas d’un tableau 
qu’on aurait oublié de peindre 
Alain Helissen, On joue tout seul, éditions Corps Puce, 2010, pp. 22, 33, 54, 110 et 119 


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