Quand on vient d’un monde d’Idées, la surprise est énorme sort au moment
même où deux autres titres, très récents, très vigoureux et très souples, sont
réédités (toujours conjointement : Éditions VVV et William Blake &
Co.) : Placer l’être en face de
lui-même et Stupeur et joie de
devoirs nouveaux. La traduction de ces trois livres bilingues nous parvient
grâce aux efforts de Michael Bishop, critique, comme on le sait, dans les
domaines de la poésie et des beaux-arts contemporains, éditeur, poète et
traducteur également de Yves Bonnefoy, André du Bouchet, Salah Stétié, Gérard
Titus-Carmel et de maintes poètes femmes des quarante dernières années.
Ensemble, ces trois ouvrages qui viennent de paraître permettent de pénétrer
profond dans ce monde à la fois brillamment combatif et rigoureusement médité,
lucide et exaltant, que la post-présentation que Bishop nous offre dans Quand on vient d’un monde d’Idées
réussit à explorer de façon élégamment compactée.
Un livre écrit donc à deux mains dans l’amitié du traducteur et de l’auteur. Un
texte loin de toutes les modes, de tous
les attendus. Un texte de l’éclat hölderlinien et de la lumière, servi
remarquablement par une traduction fulgurante. Quarante poèmes de Jean-Paul
Michel sont choisis, puis traduits en anglais par Michael Bishop dans un
recueil qui remet d’emblée en question dans son titre la pensée platonicienne
et nous ramène à l’habitation de ce monde-ci. L’humour dont le titre n’est pas
exempt semble ouvrir la disponibilité, la possibilité de l’épars, de l’accueil
de l’événement poétique ; et de sa surprise. Et cela n’est pas de tout
repos. C’est un ébranlement. C’est un arrachement : « Aime la fougue. Défends-la. Les poètes qui
terrifient plaisent » (p. 73). Le poème de Jean-Paul Michel frappe le
regard et s’en empare. Il s’impose aux yeux comme une fragmentation et donne
l’image d’un poème déchiré, d’un poème éclaté qui acquiert la force d’un
clignotement de lumière. La parole du texte ne s’écoule pas d’un seul tenant,
elle émerge violemment d’un conflit brutal entre la parole et le silence, entre
le jour et la nuit, entre la vie et la mort, entre le bien et le mal :
« Le Bien et le mal luttent dans
l’île / – de force égale – d’égale beauté » (p. 9). C’est une parole
d’appel qui se présente à l’état brut, jaillissement d’énergie pure, parole
projetée, jetée qui n’est pas une possession mais un dessaisissement, un rapt
essentiel : « Quand nous
croyons nommer, seulement nous appelons et nous éloignons » (p. 73). Nous
portons en nous la blessure de la destruction, victime et auteur que nous
sommes d’une fente à double face, d’une déchirure. La seule chose dont il faut
parler, c’est l’indicible. Aucune pâte rhétorique, aucun artifice ne vient
creuser artificiellement ce vide ou tenter d’en atténuer l’impact :
« Tracer des signes ici n’est pas
décrire C’est appeler Lever / bornant le sans nom une / pierre ». lire la suite en cliquant sur le lien ci-dessous