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Le « multiculturalisme » est le contraire du métissage

Publié le 18 avril 2008 par Roman Bernard
Dans mon précédent billet, j'avançais l'idée selon laquelle nombre de Français, qui ne maîtrisent que très imparfaitement la « langue de Shakespeare » (dans leur cas, il s'agit plutôt de celle de Britney Spears), en sont les plus ardents thuriféraires, au point d'en justifier avec passion et aveuglement la substitution à celle d'Aimé Césaire, et cela même en France.
Il est un mot anglais pourtant qui, bien que d'usage courant dans la vulgate bien-pensante, est totalement incompris par ceux qui l'emploient : le melting-pot. Je ne l'apprendrai pas aux métallurgistes, le melting-pot, en français creuset, est la pièce, dans la forge, où sont coulés différents métaux à l'état liquide pour former un alliage. C'est ainsi qu'en coulant ensemble du cuivre et de l'étain, on obtient du bronze, qui est résistant comme le premier et maléable comme le second, tout en constituant un nouveau matériau parfaitement homogène.
Si ce mot est employé dans sa version anglaise, c'est parce qu'il était utilisé pour décrire la politique d'intégration des Etats-Unis aux XIXe et XXe siècles, lors des grandes vagues européenne, hispanique et asiatique d'immigration. Dans les usines Ford de Detroit, au début du siècle dernier, une véritable cérémonie du melting-pot avait lieu, où les ouvriers immigrés se présentaient comme des Américains à part entière. Par cette cérémonie, ils affirmaient non seulement leur attachement à leur nouvelle patrie, mais aussi le délaissement de leur pays d'origine.
Il est piquant de constater que chez les promoteurs français du « multiculturalisme » ou du « cosmopolitisme », le melting-pot, qu'ils devraient pourtant réprouver, ait si bonne presse. Même lorsqu'il s'agit de termes français, une semblable incompréhension demeure : les laudateurs de l'immigration de masse, même illégale, vantent simultanément, d'une part, une France « black-blanc-beur », « arc-en-ciel », bigarrée, bariolée, multiethnique, multicolore, multiculturelle, diverse, et d'autre part une France unie, métissée, égalitaire, solidaire, laïque, ouverte, pacifique.
D'où vient que ces idéologues en chambre amalgament des notions précisément contraires ? Comment expliquer, à l'inverse, que deux termes parfaitement synonymiques, les mots « assimilation » et « métissage », connaissent des interprétations opposées ?
Alors que le second est vanté par les partisans du multiculturalisme, le premier est considéré par eux comme une survivance néo-coloniale, un vestige de l'impérialisme européen, un reliquat du jacobinisme. Le procès en racisme n'est pas loin. C'est pourtant grâce à cette assimilation si décriée que la France a pu devenir une nation homogène, alors qu'elle n'était, à la veille de la Grande Révolution de 1789, qu'un « agrégat inconstitué de peuples désunis », selon le mot de Mirabeau. Il faut dire ici, comme le faisait Fernand Braudel dans L'Identité de la France, que la France est au carrefour des cultures latine et germanique, du Nord et du Sud de l'Europe. La France, pays du Sud pour les Européens du Nord, pays du Nord pour les Européens du Sud. Pays de langue romane, mais où ont longtemps dominé, dans le quart Nord-Est, des langues germaniques, dont notamment le flamand et l'alsacien.
La France, qui réunit des provinces, des régions, qui sans la volonté d'un État au départ circonscrit au Bassin parisien, n'avaient rien à faire ensemble : quoi de commun entre Lille, Strasbourg, Nice, Perpignan, Bayonne et Brest, pour prendre les six sommets de l'Hexagone ? C'est grâce à ce métissage entre des peuples divers que le rêve - l'illusion ? - jacobin a été possible, et que, sous la tutelle de Paris et de sa brillante culture, toutes les régions de France ont eu leurs enfants ayant réussi dans la capitale : la Corse, dont une poignée de mafiosi tente aujourd'hui de faire croire par la menace et la terreur qu'elle est une nation, n'a-t-elle pas engendré un nombre impressionnant d'hommes politiques et de journalistes, gérant même, pendant plusieurs années, la Ville de Paris et la direction du Monde ? N'est-elle pas, tout simplement, l'île natale du plus grand Français de l'Histoire ?
C'est un processus similaire qui a permis que les vagues d'immigration belge, italienne, polonaise, espagnole, portugaise, arménienne, grecque et russe soient spectaculairement assimilées, avec des ascensions sociales souvent fulgurantes, malgré des heurts parfois sanglants entre la première génération et les Français dits « de souche ». Pour les Arméniens, les Grecs et les Russes, qui étaient orthodoxes ou juifs, la religion catholique ne saurait être invoquée comme facteur d'intégration, comme elle l'est pour les Belges, Italiens, Espagnols, Polonais et Portugais.
La couleur de peau, dont Barack Obama -pour lequel je confesse une admiration certaine, bien qu'il me semble davantage charismatique que politiquement compétent - a rappelé l'importance dans son brillant discours sur la question raciale à Philadelphie, ne saurait non plus être excessivement invoquée, même si elle joue un rôle certain.
Petite parenthèse : comme pour Jo-Wilfried Tsonga, ce qui est réjouissant dans le succès de Barack Obama, c'est moins le fait que, comme le voudraient les bien-pensants, ils soient « Noirs », mais qu'ils soient métis. Ils sont des exemples de ce qu'est vraiment une intégration réussie, qui passe par des mariages mixtes.
Car, n'en déplaise aux identitaires d'extrême-droite, dont je suis équidistant des anti-français d'extrême-gauche, je n'ai jamais conçu la moindre fierté à l'idée d'être « Blanc » (d'ailleurs je ne me suis jamais défini que comme un Français, francophone Latin et Occidental), peut-être parce qu'une fois les premiers rayons de soleil du printemps venus, j'ai le teint aussi mat sinon plus que bien des personnes originaires du Maghreb et de Turquie. L'an dernier, une étudiante azérie en échange me demandait d'où je venais. À ma réponse évidente, « de France », elle me demandait alors d'où venaient mes parents. Même réponse. Plus récemment, dans une épicerie libanaise, alors que je demandais au commerçant où se situait le fameux houmous dans les rayons, il me l'a expliqué en arabe. Voyant que je ne comprenais pas, il m'a demandé, l'air étonné : « Mais... vous êtes de quelle origine ? » Encore et toujours la même réponse. Exemple anodin, insignifiant même, mais qui illustre bien ma conception de l'intégration : je récuse totalement la différenciation basée sur des critères liés au phénotype.
Les Français admirent avec raison le mouvement des droits civils initié dans l'Amérique ségrégationniste des années 1960 par Martin Luther King, mais ils ne s'étonnent pas que, dans un pays où Blancs et Noirs coexistent depuis plusieurs siècles, il y ait, justement, toujours des Blancs et des Noirs, alors qu'il ne devrait plus y avoir que des Métis si le melting-pot avait véritablement fonctionné.
Cela devrait nous rendre vigilants contre la volonté de certains, à gauche comme à droite, d'importer en France le prétendu modèle d'intégration anglo-saxon, qui cantonne des communautés distinctes et concurrentes dans des identités ethnico-religieuses. L'existence du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) et de son alter-ego le Conseil représentatif des associations blanches (CRAB), devrait faire écho aux prisons américaines, où la terrifiante Aryan Brotherhood (Fraternité aryenne) s'affronte à d'autres gangs racistes et suprémacistes, noirs et latinos ceux-là. Méfions-nous des court-termistes qui invitent la France à renoncer à son modèle assimilationniste d'intégration, sous prétexte que l'incorporation des populations musulmanes à la nation française est un travail de longue haleine. Je suis plutôt d'avis que c'est justement parce que la France a déjà partiellement renoncé à ce modèle que cette incorporation est terriblement difficile.
Que gagnons-nous à refuser d'imposer une culture commune à tous les nouveaux arrivants, quelles que soient leurs racines ? Sous prétexte de vouloir protéger des minorités dans leurs cultures d'origine, comme nous l'enjoignent de façon inconsidérée le Conseil de l'Europe et les Nations-Unies, on s'interdit de les intégrer à la grande communauté nationale. Pire, on ne profite pas des réels bienfaits de l'immigration, puisque les ajouts potentiels qu'apporteraient des populations venues d'ailleurs ne peuvent être absorbés par la société française. Du moins ils ne peuvent être reçus que comme étant d'essence étrangère, alors même qu'ils devraient devenir partie intégrante de notre identité et de notre culture. Et, c'est sans doute le plus grave, en refusant d'imposer un socle culturel aux nouveaux venus, par crainte de la violence symbolique que cela représente et des névroses que cela provoque - mais toute construction d'identité n'est-elle pas violente et névrogène par nature ? -, on interdit de fait l'ascension sociale des enfants d'immigrés, puisqu'on leur refuse l'accès à la culture dominante. Dans la France d'aujourd'hui, Albert Cohen, fils de juifs pauvres arrivés de Corfou, pourrait-il écrire Belle du Seigneur ? Aucune politique de discrimination dite « positive », aucun quota racial ne pourront jamais compenser la terrible injustice qu'inflige malgré lui le multiculturalisme aux minorités ethniques.
Mais une réaffirmation du modèle assimilationniste d'intégration, le seul valable à mon sens, serait vaine si elle ne s'accompagnait en parallèle d'une mise au pas des religions, qui sont des facteurs d'endogamie, et s'opposent ainsi au métissage par les mariages mixtes. L'islam, présent de manière significative en France depuis les années 1960 seulement, n'a pas subi le « traitement de choc » imposé au catholicisme, au protestantisme et au judaïsme entre la Révolution et la Troisième République. Il est pourtant indispensable, dussions-nous affronter des leaders religieux communautaristes, que la deuxième religion de France par le nombre soit « laïcisée », comme le furent la première, la troisième et la quatrième en d'autres temps.
Des propositions audacieuses, faites par des Français musulmans modérés, comme Mohammed Pascal Hilout, sont de mise à favoriser un tel processus : adoption du français comme langue liturgique du culte musulman de France et mixité de la prière.
Surtout, la liberté de changer de religion et de prendre son conjoint hors de sa communauté religieuse doivent être des conditions sine qua non à la reconnaissance par l'État des leaders des communautés religieuses. Cela devrait passer, comme je le pense, par la conclusion d'un nouveau Concordat, remplaçant ainsi une loi de 1905 à mon sens inadaptée à la nouvelle donne religieuse. Il est essentiel, pour que le métissage - ou l'assimilation, c'est exactement la même chose - opèrent, qu'aucune entrave aux mariages mixtes ne subsiste.
Si la France sait enrayer le séparatisme ethnico-religieux qui a lieu sur son sol, je crois - j'espère - qu'une réelle renaissance française sera possible dans le siècle qui vient. Comme, au pays de Beaumarchais, tout finit par des chansons, j'aimerais conclure ce long billet par l'évocation d'une chanson dont les paroles mièvres, niaises et cependant touchantes, s'accordent parfaitement à mon complexe propos. Elles font de surcroît plus pour le métissage, l'intégration, la lutte contre le racisme que les revendications victimaires et inquisitoriales des associations prétendument « antiracistes », qui cantonnent les communautés dans leurs crispations. Il s'agit du Fruit défendu, de Mystik, sortie en l'an 2000 si mes souvenirs sont bons :
On veut nous séparer, problème de religion,
Problème de culture, mais Dieu aime ceux qui s'aiment,
Ceux qui sèment l'amour,
A n'importe quelle heure, je suis super lover,
Dédicace à mon premier amour.

Roman Bernard
Le « multiculturalisme » est le contraire du métissage

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