Le dossier de BOOks N°43 sur les serial Killers
Le dossier de Books est particulièrement intéressant, comme souvent. Il profite de la sortie de plusieurs livres pour traiter un sujet en profondeur. Cette fois, il porte sur les Serial Killers, et rend compte de plusieurs hypothèses sur leur fonctionnement mental. Ce dossier entreprend d’abord de démonter l’a priori psychiatrique qui tend à nous présenter les tueurs en série comme possédant une spécificité (psychopathe, sociopathe, négativiste social…) et d’autre part de tâcher de comprendre le glissement de l’image du tueur en série qui est passé, dans les séries télévisées, du monstre qu’un intrépide profiler finit par découvrir au personnage principal et même au justicier (Dexter)…
Je ne crois pas cependant que le tueur en série soit en train de devenir sympathique, mais son image est de plus en plus intéressante. Je dirais qu’il est devenu un symptôme — mais de quoi est-il le symptôme ?
D’abord, de la série, justement ! Cette passion télévisuelle hebdomadaire ou même quotidienne, qui devient plus qu’une habitude ou un intérêt, une sorte d’addiction. Qui ne connaît ces personnes qui s’achètent une saison de « the Wire » ou de « plus belle la vie » et qui passent leur week end à la visionner. Alors, il semble que le tueur en série dans les séries de télé soit l’image projetée du téléspectateur de séries, tous les deux accros, incapables d’interrompre une activité compulsive.
Si c’est bien ce sous-texte, alors on pourrait dire que les programmateurs de séries télés ne manquent pas de cynisme, projetant à satiété la caricature du téléspectateur cible.
Mais je vois aussi dans la fascination qu’exerce le tueur en série, quelque chose de bien plus important, plus fondamental, l’image extrême d’une sorte de culte télévisuel qui pourrait tenir dans la formule : « ça peut arriver à n’importe qui ». C’est le dogme de l’information télé, du fait divers, des catastrophes diverses… Pourquoi ça intéresse tout le monde ? Parce que ça pourrait arriver à n’importe qui… Le tueur en série tue des personnes qu’il ne connaît pas — c’est précisément ce qui le définit — avec lesquelles il n’entretient aucun commerce particulier, envers lesquelles il ne nourrit pas d’animosité particulière… Vous, moi, lui… N’importe qui… Mais qui est donc ce n’importe qui ? C’est précisément aussi la cible de l’information télé (il faut qu’elle intéresse n’importe qui…) C’est aussi la cible des séries télés…
La télévision moderne, c’est le culte au quiconque !
Anthony Hopkins interprète Hannibal Lecter dans Le Silence des Agneaux — prototype du Serial Killer exceptionnellement intelligent et d’une perversité diabolique
Mais le tueur en série était protégé, jusqu’alors – lui n’était pas n’importe qui ! On lui attribuait jusqu’alors des caractères spécifiques, psychiatriques : l’incapacité à éprouver de l’empathie envers ses victimes, le clivage, les angoisses psychotiques. Or, ce qui apparaît dans les derniers livres parus aux USA, c’est que lui aussi commence à glisser non pas encore vers le n’importe qui (pas encore !), mais vers quelque chose d’assez répandu dans la société : la catégorie des « psychopathes infracliniques ». C’est évidemment le sens de l’article de Jack Levin et James Alan Fox : « Ces monstres qui nous ressemblent ». Peut-être est-ce la meilleur façon de se débarrasser de la fascination qu’il exerce sur le public…
Enfin, ce qui est la plupart du temps oublié dans les récits de serial killers, c’est la personnalité des victimes et ses métamorphoses pour celles qui ont réchappé à l’agression. Et je crois qu’ici, on a tort. Je dirais même que ce sont les personnages les plus intéressants du drame, passées du statut du « quiconque » à celui d’êtres exceptionnels qui ont participé un temps de l’inhumain.
Mais peut-être les écrivains de polars et les rédacteurs de scénarios sont-ils trop pris par l’idéologie ambiante pour percevoir le changement…
Pour (ré)écouter l’émission sur France Culture ici <—