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ICPE: encadrement des possibilités de recours contre les autorisations d'exploiter

Publié le 07 mai 2013 par Arnaudgossement

conseil-detat.jpegLa question de la lutte contre les recours abusifs ou malveillants est d'actualité. Le Conseil d'Etat, par un arrêt récent rendu ce 30 janvier 2013, a utilement rappelé que les conditions de recevabilité du recours tendant à l'annlation de l'autorisation d'exploiter une installation classée (ICPE) ont été redéfinies de manière à prévenir des recours sans rapport avec la protection de l'environnement et de la santé publique. Le fait d'être concurrent ne donne pas en soi intérêt à agir. 


Il convient de rappeler qu'avant l'entrée en vigueur de la loi "Grenelle 2"n°2010-790 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, l'article L.514-6 du code de l'environnement disposait : 

"I.-Les décisions prises en application des articles L. 512-1, L. 512-3, L. 512-7-3 à L. 512-7-5, L. 512-8, L. 512-12, L. 512-13, L. 512-20, L. 513-1 à L. 514-2, L. 514-4, L. 515-13 I et L. 516-1 sont soumises à un contentieux de pleine juridiction. Elles peuvent être déférées à la juridiction administrative :
1° Par les demandeurs ou exploitants, dans un délai de deux mois qui commence à courir du jour où lesdits actes leur ont été notifiés ;
2° Par les tiers, personnes physiques ou morales, les communes intéressées ou leurs groupements, en raison des inconvénients ou des dangers que le fonctionnement de l'installation présente pour les intérêts visés à l'article L. 511-1, dans un délai de quatre ans à compter de la publication ou de l'affichage desdits actes, ce délai étant, le cas échéant, prolongé jusqu'à la fin d'une période de deux années suivant la mise en activité de l'installation.

Aux termes de ces dispositions, les tiers peuvent donc former un recours tendant à l'annulation d'une autorisation d'exploiter une ICPE, à la condition que leur recours soit motivé "en raison des inconvénients ou des dangers que le fonctionnement de l'installation présente pour les intérêts visés à l'article L. 511-1". En d'autres termes, le requérant doit démontrer qu'il agit, non pour défendre son intérêt particulier mais pour la protection de l'environnement en général.

Ces dispositions ont été renvoyées au règlement par l'article 211 de la loi du 12 juillet 2010. L'article R. 514‐3‐1 issu du décret n° 2010‐1701 du 30 décembre 2010 dispose :

"Sans préjudice de l'application des articles L. 515-27 et L. 553-4, les décisions mentionnées au I de l'article L. 514-6 et aux articles L. 211-6, L. 214-10 et L. 216-2 peuvent être déférées à la juridiction administrative :
-par les tiers, personnes physiques ou morales, les communes intéressées ou leurs groupements, en raison des inconvénients ou des dangers que le fonctionnement de l'installation présente pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 dans un délai d'un an à compter de la publication ou de l'affichage de ces décisions. Toutefois, si la mise en service de l'installation n'est pas intervenue six mois après la publication ou l'affichage de ces décisions, le délai de recours continue à courir jusqu'à l'expiration d'une période de six mois après cette mise en service ;
-par les demandeurs ou exploitants, dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle la décision leur a été notifiée".

Le sens de ces dispositions, désormais réglementaires est inchangé : le requérant doit démontrer qu'il agit au regard d'un intérêt général : la protection de la ressource en eau et la commodité du voisinage, la santé, la sécurité, la salubrité publiques ou la protection de la nature, de l’environnement ou des paysages, notamment, ou encore la protection de la nature, de l’environnement et des paysages.

De cette manière, la possibilité de former un recours contre un autorisation ICPE a été encadrée voire réduite et ce, de manière à prévenir la multiplication de recours dont l'objet est tout à fait étranger à la protection de l'environnement ou au respect du droit des installations classées.

Par arrêt rendu ce 13 juillet 2012 (CE, 13 juillet 1992, Société Moulin Soufflet, n°339592), le Conseil d'Etat a fait applicaton de ces dispositions à l'endroit d'un recours introduit par une personne physique.

L'arrêt rendu au visa des dispositons de l'article L.514-6 précité du code de l'environnement précise :

"3. Considérant qu'en application de ces dispositions, il appartient au juge administratif d'apprécier si les tiers personnes physiques qui contestent une décision prise au titre de la police des installations classées justifient d'un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour en demander l'annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour eux l'installation en cause, appréciés notamment en fonction de la situation des intéressés et de la configuration des lieux ; qu'en relevant, au terme d'une appréciation souveraine des pièces du dossier, que les consorts C occupaient des maisons situées sur la rive droite de la Seine, face au site d'exploitation situé sur la rive gauche, à une distance d'environ trois cent soixante quinze mètres du terrain d'assiette de celui-ci et que l'installation présentait, en raison de son importance et de sa nature, des risques pour la salubrité et la sécurité publiques susceptibles d'affecter un périmètre étendu, puis en déduisant de ces constatations que les requérants justifiaient d'un intérêt leur donnant qualité pour agir contre la décision litigieuse, la cour a exactement qualifié les faits de la cause et n'a pas commis d'erreur de droit ;"

C'est au cas par cas et de manière trés concrète que le Juge administratif apprécie donc l'intérêt à agir du requérant et, partant, la recevabilité de son recours tendant à l'annulation d'une autorisation d'exploiter ICPE. Au cas d'espèce, le Juge a pu relever que les requérants jusitifaient d'un intérêt à agir en raison de la proximité de leur domicile par rapport à l'ICPE en cause et de leur exposition aux risques liés à son exploitation.

Mais c'est davantage l'arrêt rendu ce 30 janvier 2013 par le Conseil d'Etat qui retiendra ici l'attention.

Dans cette affaire, l'exploitant d'une ICPE avait demandé l'annulation de l'autorisation préfectorale délivrée à une autre société pour l'exploitation d'une ICPE sur un terrain proche du sien.

L'arrêt de la Haute juridiction administrative précise :

"2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 514-6 du code de l'environnement relatif au contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté litigieux : " Les décisions prises en application des articles L. 512-1 (...) sont soumises à un contentieux de pleine juridiction. Elles peuvent être déférées à la juridiction administrative : (...) / 2° Par les tiers, personnes physiques ou morales, les communes intéressées ou leurs groupements, en raison des inconvénients ou des dangers que le fonctionnement de l'installation présente pour les intérêts visés à l'article L. 511-1 (...) " ; qu'au sens de ces dispositions, un établissement commercial ne peut se voir reconnaître la qualité de tiers recevable à contester devant le juge une autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement délivrée à une entreprise, fut-elle concurrente, que dans les cas où les inconvénients ou les dangers que le fonctionnement de l'installation classée présente pour les intérêts visés à l'article L. 511-1 sont de nature à affecter par eux-mêmes les conditions d'exploitation de cet établissement commercial ; qu'il appartient à ce titre au juge administratif de vérifier si l'établissement justifie d'un intérêt suffisamment direct lui donnant qualité pour demander l'annulation de l'autorisation en cause, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour lui l'installation classée, appréciés notamment en fonction de ses conditions de fonctionnement, de la situation des personnes qui le fréquentent ainsi que de la configuration des lieux ;"

Il convent de souligner qu'était ici en cause la recevabilité du recours exercé, non par une personne physique mais une personne morale. Le Conseil d'Etat juge que le recours exercé par cette personne morale ne peut être recevable au motif qu'elle agit en qualité de concurrente de celle qui est bénéficiaire de l'autorisation attaquée. Le recours contre l'autorisation ICPE ne peut donc servir à régler un problème concurrentiel. L'objet de la police des ICPE est distinct de celui du droit de la concurrence.

En réalité, la société requérante doit démontrer que inconvénients ou les dangers que le fonctionnement de l'installation classée présente pour les intérêts visés à l'article L. 511-1 sont de nature à affecter par eux-mêmes ses propres conditions d'exploitation. Elle doit donc rapporter la preuve, d'une part de l'atteinte aux intérêts visés à l'article L.511-1 du code de l'environnement, d'autre part de la perturbation de sa propre activité. 

Cette preuve sera parfois délicate à rapporter. Lorsque le requérant exerce la même activité que  le bénéficiaire de l'autorisation litigieuse, il sera peu aisé d'écrire dans un recours que ladite activité présenter des dangers ou inconvénients pour les intérêts ou inconvénients visés à l'article L.511-1 du code de l'environnement : protection de l'environnement et la santé publique.

Certes le pouvoir réglementaire puis le Juge oeuvrent ainsi à prévenir les recours dont l'objet est étranger au code de l'environnement. Pour autant cette solution présente elle-même des inconvénients.

En effet, le concurrent qui ne pourra plus agir directement - parfois même avec de bonnes raisons - contre l'autorisation d'exploiter ICPE - pourra tenter de le faire, non plus directement mais par personne interposée. Il est un secret de polichinelle que certaines entreprises attaquent ainsi les projets de concurrents en encourageant ou en proposant à des personnes privées, dont l'intérêt à agir est certain, de le faire, parfois à leur place.

Cette solution qui consiste à évaluer plus sévèrement l'intérêt à agir de l'auteur du recours contre une autorisation d'exploiter ICPE ne dispense donc pas d'une réflexion plus globale sur les conditions d'accès au Juge.

Le rapport de la mission confiée à Daniel Labetoulle par la Ministre de l'Egalité des territoires et du Logement devrait y contribuer.

Arnaud Gossement

Avocat


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