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LA tragédie d'HAMLET

Publié le 10 mai 2013 par Pascale72

POur celles et ceux qui me suivent sur le Café des Sciences, je suis désolée des problèmes de serveur... Je remets donc tous les billets publiés là-bas, sur cet espace...

Je vous avais déjà parlé de la fameuse molécule HAMLET, il y a déjà quelques temps, une molécule découverte en 1995 dans le lait humain par des équipes suédoises .

La molécule baptisée HAMLET (qui signifie « Human Alpha-lactalbumine Made lethal to Tumor cell ») est en fait une protéine (alpha-lactalbumine) dénaturée, car partiellement dépliée (voir ici les explications sur les liaisons dans les protéines) s’enroulant autour de l’acide oléique (acide gras de l’huile d’olive) : une sorte de complexe protéine/lipide

 En général, une protéine dénaturée induit une modification de son activité biologique. Dans le cas d’HAMLET, il s’avère qu’elle a la capacité de tuer les cellules cancéreuses et de préserver les cellules saines. Elle agit en déclenchant l’apoptose (un programme qui engendre la mise à mort des cellules (voir les explications de l’apoptose ICI).

Des essais in VIVO sur une dizaine de patients avaient montré d’excellents résultats (en 2007) : par exemple la réduction de la taille d’une tumeur de la vessie [1]

En préalable, comme il va être beaucoup question de la cellule et de ses constituants : un petit rappel à ce niveau s’impose.

Une cellule, c’est quoi ? je vous renvoie à l’article rédigé à destination des enfants sur KidiSciences  (ICI). En résumé, on peut dire qu’il s’agit d’une petite usine qui doit produire ou rendre un service, s’agrandir, se multiplier … Pour cela, elle a donc tout un tas d’ateliers à sa disposition. EN particulier, un noyau (la tête pensante, là où sont stockées toutes les informations), des murs d’enceintes (le cytosquelette), une centrale énergétique (les mitochondries) permettant de récupérer l’énergie à partir du glucose, des ateliers de transformation des matières premières (les lysosomes par ex. qui sont des systèmes de digestion internes)

Depuis longtemps, on cherche à comprendre comment HAMLET agit exactement. Ainsi depuis 2007, de nouveaux résultats ont été publiés (liste non exhaustive) :
- Hallgren et al., Adv. Exp. Med. Biol. 2008 (2]
- Gustafsson et al. , PLoS ONE 2009
Trulsson et al., PLoS ONE 2011
- La dernière publication en date : J. Ho et al., Future Oncol. 2012

Tous les mécanismes mis en jeu pour cette action tumoricide (et leurs interactions) ne sont pas encore entièrement élucidés mais on commence à voir où sont localisés les champs de bataille.

Ce qu’ont mis en évidence les chercheurs :
Il semblerait qu’HAMLET joue sur plusieurs plans (une hydre à plusieurs têtes, expression employée par les auteurs) en profitant des spécificités métaboliques des cellules cancéreuses.

Ainsi, les cibles se situent au niveau de la membrane cellulaire, du cytosquelette, des mitochondries, des protéasomes (fournit les enzymes permettant de dégrader les protéines dénaturées), lysosomes (petites structures permettant d’effectuer la digestion dans la cellule) et le noyau. Toutes ces cibles sont atteintes au fur et à mesure qu’HAMLET passe d’une interaction membranaire jusqu’à son internalisation dans la cellule maligne : donc de l’extérieur de la cellule vers ses constituants les plus intimes.

Action au niveau des mitochondries
C’est dans ces petites centrales énergétiques de la cellule que se déroulent les dernières étapes de la respiration cellulaire.
Lorsque la molécule HAMLET envahit les cellules cancéreuses, elle provoque la dépolarisation des membranes mitochondriales, et la libération du cytochrome C (protéine associée à la membrane mitochondriale) : le premier effet empêchera la récupération d’énergie, le second déclenchera l’apoptose de la cellule.
Explication : La respiration cellulaire passe par un gradient de protons à travers les membranes , gradient qui va servir à fabriquer la molécule énergétique (ATP). HAMLET en dépolarisant la membrane, bloquera la production de l’ATP.
Lorsque le cytochrome C d’abord accroché à la  membrane, passe vers l’intérieur de la cellule (le cytosol) : il déclenche très rapidement des réactions (libération des caspases, enzymes tueuses) qui aboutissent à l’apoptose, et une fois la « cascade de réactions » activée par les caspases, le phénomène d’apoptose est irréversible.

Action au niveau des protéasomes
Les protéasomes fournissent des enzymes qui font le ménage à l’intérieur de la cellule, en particulier pour se débarasser des protéines dénaturées. HAMLET est donc à priori en ligne de mire.
Or, il a été montré in vitro [4] que la molécule HAMLET se lie à certains protéasomes et les inhibent (en les fragmentant), assurant ainsi sa propre persistance afin de poursuivre son but : tuer l’ennemi.

Les chercheurs pensent qu’en bloquant ce type de service de nettoyage, cela crée un effet toxique sur la cellule tumorale en cours de développement.

Action au niveau des lysosomes
Grâce à des travaux sur la molécule BAMLET (l’équivalent d’HAMLET chez les bovins, avec la même efficacité sur les cellules malignes) [5], il a été mis en évidence que la molécule s’accumule dans le compartiment lysosomal, déstabilise la membrane et laisse échapper son contenu : cela provoque la libération du cytochrome C, conduisant là encore àl’apoptose.

Action au niveau du cytosquelette
Le cytosquelette est l’ensemble de longues chaînes de protéines (souvent appelées filaments) qui confèrent à la cellule ses propriétés physiques mécaniques : sa forme, sa structure, son architecture, mais aussi sa faculté de déplacement et de division. L’intégrité, la cohésion des cellules, leur adhésion sur le support sont essentielles pour l’organisation tri-dimensionnelle du tissu.

Il apparaît qu’HAMLET s’attaque au cytosquelette des cellules malignes de façon à modifier leur morphologie et les rendre moins adhérentes les unes aux autres [3].
Les résultats de l’étude suggèrent qu’HAMLET interagit avec l’alpha-actinine, une sorte de molécule « échafaudage » (qui maintient la cohésion des filaments de protéines appelées actines) : l’échafaudage s’effondre, la structure du cytosquelette est désorganisée, la morphologie de  la cellule tumorale est modifiée (de plate elle devient plutôt ronde) :  elle n’adhère plus,  se détache, et meurt !

NB: la viabilité a bien été étudiée, parce que dans le cas des cellules cancéreuses, on craint toujours la métastase : la cellule se détache, voyage et va adhérer ailleurs. Traitée avec HAMLET, la cellule qui se détache a changé de morphologie et est en train de mourir !

Au niveau du noyau
La molécule se positionne au niveau du noyau de la cellule tumorale, s’associe avec les histones et désorganise la chromatine (la forme sous laquelle se présente l’ADN dans le noyau) : la transcription de l’ADN ne se fait plus, la cellule ne peut pas se reproduire. C’est ce qu’on appelle des modifications épigénétiques (lien ICI)
Les études ont montré qu’HAMLET s’active sur le noyau environ une heure après avoir envahi la cellule tumorale.

COnclusions et perspectives :
Cette molécule est donc à priori géniale (sans jeu de mot) : les mécanismes mis en jeu sont multiples et complexes. L’hydre à plusieurs têtes est effectivement une bonne image des modes d’action synergiques mis en oeuvre par HAMLET ce qui en fait une excellente candidate pour les thérapies anti-cancers. Les perspectives pour les recherches actuelles concernent : – la méthode la plus simple pour la production industrielle de molécules type HAMLET – la compréhension de la sélectivité de la molécule.

 Par rapport au lait humain, posons nous la question  : est-ce un hasard si cette molécule tueuse se trouve dans le lait humain? ou y a-t-il un avantage particulier : des bébés étant quand même plus rarement (rarement ne veut pas dire « jamais ») menacés par le cancer que des adultes ? ou bien découvrira-t-on en plus un mécanisme épigénétique agissant préventivement, en apportant un effet protecteur jusqu’à l’âge adulte ? A suivre donc …

NB : Rappelons qu’en 1988, une équipe (Davis et al) montre que l’incidence de tumeurs sur des enfants (âge jusque 15 ans) était moindre chez les enfants ayant été allaités. L’effet était particulièrement prouvé dans le cas de lymphomes (6].

Références et autres ressources :

[1] Mossberg AK et al., « Bladder cancers respond to intravesical instillation of HAMLET » (2007), International Journal of Cancer, Sep 15;121(6):1352-9

(2] « Apoptosis and tumor cell death in response to HAMLET » (2008)

[3] Trulsson M, Yu H, Gisselsson L, Chao Y, Urbano A, et al. (2011) « HAMLET Binding to α-Actinin Facilitates Tumor Cell Detachment » PLoS ONE 6(3): e17179. doi:10.1371/journal.pone.0017179

[4] Lotta Gustafsson, Sonja Aits, et al. (2009)  »Changes in Proteasome Structure and Function Caused by HAMLET in Tumor Cells », PLoS ONE 4(4): e5229.

[5] Zhang Y., Wu W., Ding W. (2010) « From HAMLET to XAMLET: The molecular complex selectively induces cancer cell death », African Journal of Biotechnology Vol. 9 (54), pp. 9270-9276

[6] Davis MK, (1998)   »Review of the evidence for an association between infant feeding and childhood cancer. » Int J Cancer Suppl. Vol 11:29-33.

Ressources internet :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Filament_d’actine
http://www.med.lu.se/english/labmedlund/mig/research_groups/the_svanborg_group/the_hamlet_project
http://www.erudit.org/revue/ms/2005/v21/n2/010534ar
http://biologyforeveryone.blogspot.fr/2010/06/mysterious-magical-milk.html
http://www.medscape.com/viewarticle/774344_5
http://mct.aacrjournals.org/content/9/1/24.full.pdf
http://www.academicjournals.org/ajb/PDF/pdf2010/29Dec%20Special%20Review/Zhang%20et%20al.pdf


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