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Israël, l’autre pays des séries

Par Mickabenda @judaicine
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Derrière le carton Homeland , il y a Hatufim, sublime série israélienne, qui vient de débuter sur Arte le jeudi 9 mai. Une preuve de plus qu’Israël pourrait bien être la nouvelle terre promise des séries…

A faire le tour du monde des festivals, Sayed Kashua, le créateur de la série israélienne Arab Labor, a remarqué quelque chose : « En fait, les Arabes sont un problème pour tout le monde, pas seulement pour les Israéliens ! » Invité du festival Séries Mania en 2011, il épinglait : « D’ailleurs, on peut traduire littéralement le titre en français. Chez vous aussi, l’expression existe : «Travail d’Arabe»… » Un humour à couper à la machette, caractéristique d’Arab Labor, décapante comédie sur le quotidien d’Amjad, un journaliste et père de famille arabe qui vit à Jérusalem et s’allonge chez le psy pour tenter d’apaiser son conflit israélo-palestinien intérieur. Arabe et citoyen israélien (comme 17 % de la population en Israël), le scénariste Sayed Kashua, également journaliste et écrivain, jongle au quotidien avec le sentiment de schizophrénie, l’angoisse qui monte et l’humour qui sauve in extremis.

« Un humour de survivants »

Dans Arab Labor, point de boucs émissaires de prédilection, ça mitraille à tout-va, à coups de clichés méchamment drôles : le vendeur de voitures arabe est un arnaqueur et quand le meilleur ami (juif) d’Amjad se voit contraint de présenter sa petite amie (arabe) à ses géniteurs, il ne voit d’autre solution que d’engager de faux parents ! Quant à notre héros, obsédé par la réussite de sa fille, il tient plus que tout à l’inscrire dans un jardin d’enfants juif, au point de rétorquer placidement au directeur, qui lui raconte, pour le décourager, qu’on y fait jouer les gamins à la guerre contre les Palestiniens : « Laissons les enfants être des enfants. »

Humour juif ? « C’est surtout un humour de survivants, réplique Sayed Kashua, celui de tous ceux qui ont compris qu’on appuierait moins vite sur la gâchette s’ils sortaient une bonne vanne. » Diffusé sur Keshet, principale chaîne privée du pays, Arab Labor , aujourd’hui trois saisons à son actif, a remporté un vrai succès d’audience et réussi l’inimaginable : installer des Arabes plein cadre dans un paysage audiovisuel où ces derniers ne représentent que 2 % ( !) du temps d’antenne. Voilà pourquoi Sayed Kashua rêvait de télé : « C’est la seule façon de mettre des Arabes normaux, qui ne font pas sauter de bombes et mangent en famille le soir, au beau milieu du salon des Israéliens. »

Israël, nouvelle terre promise des séries ?

Après l’envol du cinéma israélien, voici venu celui des fictions télévisées. Un même élan qui entraîne sur son passage toute une génération de scénaristes, de réalisateurs et d’acteurs. Directeur du festival Regards sur le Cinéma israélien, Xavier Nataf analyse : « Il y a une énergie créée par l’urgence. La vie peut s ‘arrêter à tout moment, il faut créer, agir, se remettre en question… Et puis Israël, c’est un petit pays [7,7 millions d'habitants, NDLR], il n’y a pas de frontières entre le cinéma et la télévision. Les écoles de cinéma font une grande place à l’audiovisuel. » Le réalisateur Leon Prudovsky, auquel on doit A cinq heures de Paris, sorti l’été dernier, et qui vient de signer une mini-série baptisée Troika, constate d’ailleurs : « Les meilleurs auteurs sont captés par la télé. C’est une façon bien plus sûre de gagner sa vie que le cinéma. » Une effervescence qui n’a pas échappé aux Américains. Après avoir adapté les fictions britanniques, ceux-ci font désormais leur marché dans un pays deux fois plus petit que la Californie : Israël.

Bonnes affaires au rendez-vous, avec des séries à petits budgets et fort potentiel ! La première à avoir ouvert le bal a été Betipul (modèle d’économie avec son décor unique, celui du cabinet d’un psy), adaptée aux Etats-Unis par la prestigieuse chaîne HBO, sous le titre In Treatment (« En analyse »). Bouleversante d’intelligence, cette série est née sous la plume d’un auteur israélien, Hagai Levi. Filmée comme au théâtre (chaque épisode est un face à face dans un décor unique, celui d’un cabinet de psy), la série n’a pas coûté lourd. Quant à  Hatufim, le budget global d’une saison équivaut au pilote de Homeland, souligne Gideon Raff, créateur de la série israélienne qui a également participé à l’écriture de la version US ! Résultat, les projets d’adaptations se multiplient aux Etats-Unis. Si on attend toujours des nouvelles de The Naked Truth (HBO était intéressée par une version US de cette série israélienne et avait fait travailler sur le sujet Clyde Phillips, le père de Dexter), on parle déjà de l’adaptation de deux autres créations israéliennes : « Pillars of smoke » et Ta Gordin/Mice . La première s’ouvre sur la mystérieuse disparition des membres d’une secte, installée dans un kibboutz, tandis que la deuxième, placée sous le signe d’une affaire d’espionnage, est ancrée dans la communauté russe d’Israël.

Drag-queen, douche et politique

C’est l’histoire d’un jeune homme, en quête de sa mère, qui devient drag-queen dans un club de Tel-Aviv… A priori, « Mary Lou », comédie musicale tout en paillettes et en émotion, n’a rien de très politique. Quoique…« C’est le tournant de la décennie : on est en présence d’une génération qui s’est débarrassée des grands mythes fondateurs et refuse de jouer les porte-parole, commente Xavier Nataf. Ces nouveaux auteurs revendiquent de ne pas parler sans cesse du conflit, même si, en réalité, ils en parlent, à leur manière. » Derrière Mary Lou, on retrouve le cinéaste Eytan Fox (The Bubble, Tu marcheras sur l’eau). Malicieusement kitsch, sa série n’en est pas moins résolument anticonformiste, sur tous les plans. On pense à cette séquence où le jeune drag-queen se promène dans la rue, en tenue de lumière, avec un ami en uniforme. « Ca t’arrive souvent de te balader déguisé ? », lui demande ce dernier, et l’intéressé de répliquer : « Et toi ? » « Tsahal, pour les Israéliens, cela n’a rien d’un déguisement !, dit Eytan Fox. En deux lignes de dialogue, on laisse entendre que ce n’est pas moins dingue pour un gamin de 18 ans de passer l’uniforme qu’une robe du soir, d’aller se faire tuer que de monter sur scène… »

Tout est politique. Même une bonne douche. Dans Arab Labor, Amjad fait déménager toute sa famille dans un quartier juif de Jérusalem pour cette seule raison. Le scénariste Sayed Kashua confirme : « Dans les quartiers et dans les villages arabes, l’eau est sans cesse un problème. C’est une vraie question politique. » On évoque le pouvoir de l’identification, la puissance transgressive de l’humour, l’autodérision comme une chance d’imaginer un « vivre ensemble » … « Depuis le début de la diffusion, les choses vont de mal en pis, rétorque Sayed Kashua : il y a des membres de l’extrême droite à des postes-clés du gouvernement ; le comédien Juliano Mer-Khamis, fils d’une Juive et d’un Arabe, a été assassiné… » Il évoque une dichotomie déconcertante : « Les téléspectateurs sont très touchés par le copain juif d’Amjad et sa petite amie arabe, ils nous disent : «Mariez-les, mariez les !» Mais dans la réalité, c’est une autre histoire… » Son complice Shai Kapoon, réalisateur d’Arab Labor, avance : « Cela va faire son chemin dans les inconscients… Je travaille avec Sayed depuis le début, je suis juif et je regarde le trajet parcouru avec un peu plus d’optimisme! Il faut se rendre compte d’où l’on part : aussi incroyable que cela puisse paraître, pour certains Israéliens, la série est une toute première occasion d’envisager les Arabes comme des êtres humains… »

Écrit par Patrick Gerassi  pour www.nouvelobs.com


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