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Brèves réflexions sur le "Permis environnemental unique"

Publié le 12 mai 2013 par Arnaudgossement

Une idée neuve et trés intéressante pour le développement durable commence à faire son chemin en Europe et pourrait être bientôt débattue en France : le permis environnemental unique. Cette idée est de passer de la logique "Une législation/Une autorisation" à la logique "Un projet/Une autorisation". Une idée qui permet de mieux protéger l'environnement et la santé publique, de mieux assurer l'information et la participation du public tout en allégeant les contraintes administratives et en renforçant la sécurité juridique des projets.


Changer de logique

Le droit de l'environnement dans sa configuration actuelle est essentiellement un droit de polices. A chaque Livre ou presque du code de l'environnement correspond un corps de règles spécifiques (ICPE, déchets, eau, produits chimiques...) et à chacun de ces corps de règles spécifiques correspond une ou plusieurs obligations de solliciter une autorisation. A cela s'ajoute le fait que le code de l'environnement n'est que l'un des codes à respecter pour la réalisation d'un projet, par exemple industriel ou d'infrastructure. Dans certains cas, un permis de construire, une autorisation de défrichement ou une déclaration d'utilité publique seront également à solliciter.

La multiplication de ces autorisations alourdit les démarches administratives, allonge la durée des procédures d'instruction, mobilise des administrations, accroît le risque de vices de procédure, complique le financement des projets. C'est ainsi que les procédures d'autorisation des parcs éoliens par exemple peuvent atteindre dix ans voire plus. Pour quel gain environnemental ? L'objet de la procédure devient la procédure elle-même. Les services instructeurs passent souvent plus de temps à s'assurer que le dossier est complet plutôt qu'à s'assurer de la prévention et de la maîtrise des risques environnementaux du projet présenté. La multiplication des autorisations à obtenir oblige à une multiplication des dossiers, à la production de volumes de papiers toujours plus volumineux qui donnera le sentiment au public consulté que l'essentiel est caché. Plus grave, l'autorité administrative sera parfois appellée à statuer sur un dossier constitué des années avant qu'elle ne puisse prendre sa décision. Entre temps, les circonstances de fait et de droit auront pu évoluer voire complètement changer.

Cette empilement d'autorisations administratives à obtenir est le résultat, non d'une nécessité écologique mais de l'histoire. Le souci de codification est faible et chaque nouvelle loi est venue s'intégrer dans le code de l'environnement sans que soit étudiée et protégée la cohérence d'ensemble du code. Ce dernier ressemble parfois à un pain de mie en tranches ou certaines tranches n'ont plus grand chose à voir avec les autres. L'exemple de la codification des termes de la loi du 1er août 2008 sur la responsabilité environnementale en offre un exemple caricatural.

Le système actuel, fondé sur le principe "Une législation/Une autorisation" ne satisfait réellement personne. Et il produit des effets "pervers". C'est ainsi que pour simplifier certaines usines à gaz, l'Etat en vient..à créer de nouvelles procédures - à l'exemple de la procédure d'enregistrement ICPE. En pratique, le système actuel produit ses propres effets d'éviction ou effets rebonds : le contraire de ce qui est attendu se produit. En définitive, pour ne pas supprimer d'autorisation, on tente de supprimer des exigences.

Autre effet pervers : pour tenter de prévenir les recours malveillants qui bloquent des projets pour des raisons tout à fait étrangères à la santé ou à l'environnement, il est plus pertinent de repenser le cadre juridique applicable à la réalisation des projets plutôt que de prendre le risque de réduire exagément le droit au Juge et, par conséquence, des recours en justice tout à fait légitimes. Regrouper les autorisations administratives permet de regrouper aussi les contentieux.

Il est donc temps de changer de changer de logique et de passer, comme d'autres Etats - dont la Belgique et les Pays-Bas - au principe : Un projet/Un permis.

Au passage, je suis surpris que cette réforme, engagée dans d'autres pays, soit si peu discutée en France. Pourtant, regarder de ce qui se passe chez nos voisins peut s'avérer précieux pour faire évoluer notre droit dans le bon sens. Cela fait plusieurs années que j'échange sur ce sujet avec nombre de juristes ou de chefs de projet mais l'idée semble condamnée par le système des chapelles à rester dans un tiroir.

Comprenons nous bien, il est hors de question de dispenser un projet d'installation classée ou de déviation routière de l'ensemble des exigences environnementales et sanitaires actuellement définies, notamment par le code de l'environnement. Bien au contraire, certaines exigences pourraient être renforcées. Toutefois, toutes les autorisations à obtenir pourraient être fondues dans un même permis qui comprendrait ainsi plusieurs volets, selon les législations applicables au projet.

Une telle réforme a déjà été - timidement - amorcée dans le passé.  C'est ainsi que l'autorisation d'exploiter une ICPE vaut autorisation "loi sur l'eau" depuis la loi du 2 février 1995. Le demandeur d'une autorisation ICPE doit toujours étudier les conséquences de son projet pour le régime des eaux mais un seul arrêté préfectoral vaudra autorisation ou rejet de la demande d'autorisation.

Vers le permis d'urbanisme unique ?

A noter : Cécile Duflot, la Ministre de l'Egalité des territoires et du Logement vient de déposer à l'Assemblée nationale un projet de loi "habilitant le Gouvernement à légiférer pour accélérer les projets de construction".

L'article 1er de ce projet de loi propose une convergence sinon une fusion des différentes autorisations administratives à solliciter pour la réalisation de logements :

"Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance toute mesure de nature législative propre à :
1° Favoriser une production rapide de logements, grâce à la création d’une procédure intégrée pour le logement, soumise à une évaluation environnementale et applicable à des projets d’aménagement ou de construction comportant principalement la réalisation de logements au sein des unités urbaines :
a) En prévoyant les conditions et modalités selon lesquelles, dans le cadre d’une telle procédure, les documents d’urbanisme applicables à ce projet peuvent être mis en compatibilité avec ce projet ;
b) En prévoyant les conditions et modalités selon lesquelles, dans le cadre d’une telle procédure, d’autres règles applicables au projet peuvent être modifiées aux mêmes fins de réalisation du projet ;
c) En encadrant dans des délais restreints les différentes étapes de cette procédure ;
d) En ouvrant la faculté d’y regrouper l’instruction et la délivrance des autorisations d’urbanisme et des autorisations requises pour la réalisation du projet par d’autres législations ;"

C'est la logique du permis d'urbanisme unique : un même projet de construction supposera une demande d'autorisation, laquelle devra cependant démontrer la conformité du projet à plusieurs législations différentes. Si le principe est pertinent, le risque est de créer pluieurs permis uniques, ce qui contredirait l'idée de départ.

Le permis environnemental unique, tel qu'il est déjà appliqué dans d'autres Etats de l'Union européenne présente plusieurs avantages dont les suivants.

En premier lieu, le premier de ces avantages tient à ce qu'il importe de respecter le sens du principe de développement durable désormais inscrit dans la Constitution au moyen de la Charte de l'environnement : ce principe impose de ne pas penser l'économie, le social et l'écologie de manière séparée mais ensemble. La réforme du permis unique pourrait y contribuer.

En deuxième lieu, le permis unique permet de donner à l'administration et au public consulté une vision intégrée d'un projet dans son ensemble et du point de vue de toutes les législations et exigences applicables. Toutes les étapes de la réalisation d'un projet, toutes les mesures de prévention prises, toutes les mesures de surveillances réalisées ou à réaliser seraient présentées dans un même dossier, au cours d'une même enquête publique. Le fractionnement ou le morcellement - dans le temps et dan l'espace - d'une opération pour en miniminer l'impact seraient définitivement proscrits. Le risque qu'une autorité administrative compétente ne soit saisie en cours d'instruction que d'une partie du dossier ou d'une partie non complétée serait également réduit.

En troisième lieu, le permis environnemental suppose que le public soit effectivement consulté à un moment utile et qu'il soit tenu compte de ses observations. En clair, le public doit être consulté à un moment où l'avis exprimé peut encore influer sur le principe et la conception du projet. De même, il faudra bien étendre l'obligation de motivation des actes administratifs pour en renforcer l'intelligence et l'intelligibilité.

En quatrième lieu, le permis environnemental contribuerait bien sûr à simplifier les démarches des maîtres d'ouvrages et pétitionnaires tout en réduisant le risque contentieux. Le porteur d'un projet continuerait de devoir respecter l'intégralité des législations et exigenes applicables mais pourra ne solliciter qu'une seule autorisation ou permis. Dés lors, un seul recours en justice uniquement ne sera possible. On peut espérer que le débat se fera moins dans les prétoires mais que le dialogue environnemental sera renforcé en aval. L'adoption du principe du permis environnemental unique pourrait être couplée avec celle d'une réduction de la durée de la procédure d'autorisation. Ce qui suppose de donner des moyens à l'administration et de permettre à celle-ci de se focaliser, moins sur les risques de vice de procédure et plus sur les intérêts qui s'attachent à la protection de l'environnement et la santé publique. Une extension du principe des autorisations implicites ne serait cependant à l'avantage de personne.

La réforme du permis environnemental suppose aussi que certaines conditions soient réunies et que d'autres réformes soient menées.

La réforme du permis environnemental unique ne peut être pensée seule. D'autres mesures doivent permettre d'améliorer - qualitativement et non quantitativement - la participation du public, tout en évitant que des maîtres d'ouvrages perdent temps et argent à défendre des projets qui ne verront jamais le jour. La dématérialisation des procédures d'instruction et de participation, encouragée par la loi du 27 décembre 2012 peut y contribuer tout en veillant à ne pas élargir la fracture numérique. Le papier ne doit pas disparaître du jour au lendemain.

La réforme du permis unique ne doit pas se traduire.... par une nouvelle procédure. Il ne s'agit pas d'empiler un nouveau permis sur les autorisations existantes mais plutôt de partir des autorisations existantes pour créer des fusions-absorptions. Pour les activités industrielles, l'autorisation ICPE pourrait devenir le permis "tête de file" et absorber - sans les supprimer dans leurs exigences - les autres autorisations exigibles dont le permis de construire. Au demeurant, cela permettrait d'organiser un débat sur l'avenir du principe d'indépendance des législations urbanisme et environnement, profondément remis en cause depuis l'inscription de la Charte de l'environnement au sein du bloc de constitutionnalité.

La réforme du permis unique suppose aussi une réflexion sur la planification environnementale ou urbanistique : l'empilement des plans - nationaux, régionaux ou départementaux - des schémas, des directives et autres documents plus ou moins bien écrits devient réellement problématique. A l'exception sans doute des PLU, peu de monde ne s'intéresse aux documents de planification dont la qualité rédactionnelle - notamment juridique - laisse parfois à désirer. Certains documents pourraient être utilement fusionnés à l'exemple des SRCAE et des S3RENR pour éviter que des textes censés participer du même objectif ne se contredisent.

Enfin, la réforme du permis unique doit être pensée dans l'espace et dans le temps. Le permis unique doit devenir réellement devenir le "Livret de famille" d'une installation ou d'une opération. Plutôt que d'être vécue comme une contrainte ponctuelle et d'enterrer le dossier de demande d'autorisation sitôt l'instruction terminée, il faut enfin faire en sorte que les diagnostics et engagements pris par le pétitionnaire accompagnent le projet tout au long de sa vie. Encore une fois, cela serait à l'avantage et de l'environnement et du maître d'ouvrage mais aussi de l'autorité de police.

L'idée est lancée, le débat est ouvert !

Arnaud Gossement


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