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L'harmonie du trait et du coloris. Élisabeth, Antoine, Louis et les autres par l'Ensemble Consonance

Publié le 14 mai 2013 par Jeanchristophepucek

 

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Ensemble Consonance, 3 mai 2013
Photographie de Rémi Angéli

 

Les musées français seraient-ils lentement en train de commencer à comprendre ce qui est une évidence pour la majorité de leurs confrères européens, comme le démontrent l'exposition Watteau, la leçon de musique organisée depuis février 2013 à Bruxelles sous la direction de William Christie ou Vermeer and music qui ouvrira ses portes à la National Gallery de Londres à la fin du mois de juin, deux manifestations qui explorent les relations étroites qu'entretiennent peinture et musique ? Certes, nous n'en sommes pas encore, dans cette France dont une majorité d'esprits prétendument éclairés ne voit dans l'art des sons au mieux qu'un aimable divertissement permettant d'aventure d'assurer un vague arrière-plan à ses dîners en ville, à nous voir proposer le concert hebdomadaire dont ont bénéficié nos voisins de Belgique ou les trois par semaine promis à nos cousins d'Angleterre, mais il faut saluer les initiatives comme celles dont je souhaite vous entretenir aujourd'hui.

 

L'exposition Disegno & Couleur, organisée par le Musée des Beaux-Arts de Tours du 16 mars au 27 mai 2013, lui a fourni l'occasion de proposer, le 3 mai 2013, un concert en rapport avec cet accrochage de dessins italiens et français du XVIe au XVIIIe siècle. On a donc pris place dans un des somptueux salons XVIIIe de l'ancien palais de l'Archevêché qui abrite aujourd'hui les collections afin de pouvoir écouter le programme alléchant concocté pour la circonstance par l'Ensemble Consonance. Il n'a fallu que quelques instants aux musiciens réunis autour de leur directeur, la basse François Bazola, que ceux qui ont suivi l'aventure de William Christie et de ses Arts Florissants connaissent bien, pour installer l'atmosphère raffinée et complice que l'on imagine être celle qui pouvait régner lorsqu'une société choisie se réunissait jadis pour goûter les charmes de la musique.

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La première partie du concert était dédiée à l'air de cour avec un choix de pièces signées par quelques fines plumes ayant illustré cet art intime et pétri de subtilités frôlant parfois la préciosité, le Campinois Michel Lambert et le Blésois Antoine Boesset, bien sûr, mais aussi le plus confidentiel et non moins talentueux Sébastien Le Camus, tous rivalisant d'habileté pour décrire les affres et les joies de l'amour, sujet principal de ce genre très codifié dans lequel les amants, rarement heureux (Pleurez mes yeux, Le Camus), sont prompts à se réfugier au sein d'une nature idéalisée (songez aux paysages classiques qui faisaient florès au même moment en peinture) pour lui confier leurs peines (Forêts solitaires et sombres, Le Camus) et quelquefois leurs bonheurs (Le Printemps et l'Amour, Lambert), dessinant une sorte de carte du Tendre où s'expriment tous les degrés du sentiment, des plus folles espérances à la plus douloureuse mélancolie. Interprétée avec un goût très sûr et une belle maîtrise tant technique que rhétorique par les trois chanteurs, fins connaisseurs de ce répertoire plus complexe à animer qu'on le pense, et ponctuée par les Sylvains transcrits au théorbe par Robert de Visée d'après François Couperin, évocation des frondaisons toute de légèreté songeuse restituée avec une juste poésie par Étienne Galletier, ce parcours s'achevait sur deux pièces d'un autre Couperin, l'oncle Louis : on entendit sonner avec un raffinement certain sous les doigts de Sébastien Wonner, hélas desservi par un clavecin pauvre en couleurs et en personnalité, l'un de ses Préludes célèbres pour leur inventivité capricieuse, ici à l'imitation de Froberger, et se déployer les volutes de sa Chaconne ou Passacaille.

La seconde moitié du programme entraînait l'auditeur dans un autre univers tout aussi passionnant et, hélas, négligé que l'air de cour : la cantate française. Ce genre, qui connut une véritable vogue durant les trente premières années du XVIIIe siècle, offre de courtes scènes composées d'airs, de récits et parfois de pièces instrumentales – symphonies, sommeils, tempêtes, etc. – qui en font de véritables miniatures d'opéra destinées à être données dans les salons. Les sujets en sont divers, parfois tirés de l’Écriture, comme dans la Jephté pour deux dessus et basse continue (1711) d’Élisabeth Jacquet de La Guerre, dont Noémi Rime et Betsabée Haas ont livré une lecture très réussie par son parfait équilibre entre théâtralité de la forme et sérieux du propos et dont la flamme se situait heureusement aux antipodes des exécutions exagérément précautionneuses et gourmées que l'on entend encore trop souvent dans ce répertoire, parfois de la mythologie classique, comme dans Polyphème pour basse, violon, flûte et basse continue (1710),

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parabole sur la jalousie amoureuse interprétée par François Bazola avec un abattage totalement maîtrisé et sous-tendu par un humour très en situation dans cette pièce dont l'ironie n'est jamais absente. Accompagnées par des instrumentistes très réactifs et participant pleinement à l'action en la soutenant et en la relançant sans relâche, ces deux cantates ont ravi le public, preuve que, contrairement à ce qui se raconte, ces musiques peuvent parler à l'auditeur d'aujourd'hui, sous réserve, bien sûr, d'être servies par des interprètes ayant, comme l'Ensemble Consonance, consenti les efforts nécessaires pour s'approprier leur langage et possédant l'enthousiasme et les moyens techniques indispensables pour les défendre. Agrémenté d'une Suite pour le violon de Jean-Féry Rebel, très en place mais dans laquelle un rien de souplesse d'archet supplémentaire aurait été la bienvenue, ce programme se refermait sur un motet de Charpentier, Bone Pastor, parfaitement exécuté mais peut-être pas complètement à sa place dans un tel contexte — il aurait probablement été possible de proposer un air profane voire un extrait d'un divertissement piochés dans la production du compositeur. L'impression qui demeurait après l'extinction des derniers applaudissements était bel et bien celle d'avoir assisté à un très beau moment de musique où tous les éléments s'harmonisaient naturellement pour offrir, grâce au dialogue des arts et du lieu, un saut dans le temps plein d'un charme certain et d'une justesse troublante.

Souhaitons maintenant à l'Ensemble Consonance de trouver rapidement l'écho que la qualité de son travail mérite et espérons qu'il saura vaincre la fatalité qui veut que nul ne soit prophète en son pays ainsi que les réticences des organisateurs de concerts et des éditeurs discographiques pour continuer à servir avec la même vitalité cette musique baroque française pour la défense et l’illustration de laquelle il reste encore tant à faire et dont il a visiblement les capacités d'être un excellent serviteur.

 

Disegno & Couleur Musée des Beaux-Arts de Tours
Élisabeth, Antoine, Louis... et les autres, petit lexique de musique française baroque : airs de cour de Michel Lambert (c.1610-1696), Sébastien Le Camus (c.1610-1677) et Antoine Boesset (1586-1643), Jephté, cantate biblique d’Élisabeth Jacquet de La Guerre (1665-1729), Polyphème, cantate de Louis-Nicolas Clérambault (1676-1749), Bone Pastor (H. 439), motet de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704). Robert de Visée (avant 1680-c.1732), Les Sylvains de Mr. Couperin, Louis Couperin (c.1626-1661), Prélude à l'imitation de Mr. Froberger, Chaconne ou Passacaille, Jean-Féry Rebel (1666-1747), Première suite pour le violon.

 

Tours, Musée des Beaux-Arts, vendredi 3 mai 2013

 

Ensemble Consonance :
Noémi Rime et Betsabée Haas, dessus
Yuki Koike, violon
Xavier Richard, basse de violon
Étienne Galletier, théorbe
Sébastien Wonner, clavecin
François Bazola, basse & direction

 

Évocation musicale :

 

Robert de Visée, Les Sylvains de Mr. Couperin

 

José Miguel Moreno, théorbe de pièces en ré

 

Robert de Visée Pièces de théorbe José Miguel Moreno
Robert de Visée, Pièces de théorbe. 1 CD Glossa GCD 920104, réédité sous référence GCD C80104. Ce disque peut être acheté sur le site de l'éditeur en suivant ce lien.

 

Louis-Nicolas Clérambault, Orphée, cantate extraite du Premier Livre de Cantates françaises à I et II voix avec symphonie, et sans symphonie (Paris, 1710) :

 

Air fort lent et fort tendre : « Monarque redouté » (fin)
Air tendre : « Vous avez ressenty la flamme »

 

Cyril Auvity, ténor
L'Yriade

 

Orphée Clérambault Rameau Cyril Auvity L'Yriade
Orphée. 1 CD Zig-Zag Territoires ZZT071002. Ce disque peut être acheté sur le site de l'éditeur en suivant ce lien.

 

Crédits photographiques :

 

Tous les clichés illustrant ce billet sont de Rémi Angéli, utilisés avec autorisation.


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