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Le temps du capital et le temps de l'homme

Par Alaindependant
mercredi 15 mai 2013

 LE TEMPS DU CAPITAL ET LE TEMPS DE L'HOMME

 « L'histoire ne fait rien, c'est l'homme, réel et vivant, qui fait tout. »

Ce disant, Marx aurait-il tout explicité? Que nenni! Ce serait trop simple, sinon simplet. Par exemple, il ajoute lui-même: « La production des idées, des représentations et de la conscience, est d'abord directement et intimement mêlée à l'activité matérielle et au commerce matériel des hommes: elle est le langage de la vie réelle. »

La vie, c'est le mouvement, rien n'est éternel, tout naît, grandit, se développe, vieillit et meurt...

Mais la race humaine subsiste et ses acquis se cumulent, et l'homme concret est toujours un être différent de ceux qui l'ont précédé.

Ainsi va l'histoire des hommes et sans doute faut-il remercier Marx d'avoir poursuivi le chantier de l'approfondissement de la compréhension du rôle des hommes dans la construction de leur humanité.

Les extraits ci-dessous ne se veulent pas exhaustifs, l'apport de Marx est bien trop riche, mais ils peuvent certainement apporter quelque compréhension à nos questionnements sur nous-mêmes dans les relations que nous avons dans la société dans laquelle nous vivons et ses évolutions.

Michel Peyret.

L'UNIVERSALISATION DE LA MARCHANDISE ( DESTRUCTION DE LA NATURE )

La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s'annonce comme une immense accumulation de marchandise.

(Capital)

Vint enfin un temps où tout ce que les hommes avaient regardé comme inaliénable devint objet d'échange, de trafic et pouvait s'aliéner. C'est le temps où les choses mêmes qui jusqu'alors étaient communiquées, mais jamais échangées ; données mais jamais vendues ; acquises, mais jamais achetées - vertu, amour, opinion, science, conscience, etc., - où tout enfin passa dans le commerce. C'est le temps de la corruption générale, de la vénalité universelle, ou, pour parler en termes d'économie politique, le temps où toute chose, morale ou physique, étant devenue valeur vénale, est portée au marché pour être appréciée à sa plus juste valeur.

(Misère de la philosophie)

La grande influence civilisatrice du capital a haussé la société à un niveau au regard duquel toutes les époques antérieures font figure de formes infantiles, marquées par l'idolâtrie de la nature.

La nature devient enfin un pur objet pour l'homme, une simple affaire d'utilité, elle n'est plus tenue pour une puissance en soi. L'intelligence théorique de ses lois autonomes apparaît simplement comme une ruse pour la subordonner aux besoins humains soit comme objet de consommation, soit comme moyen de production. En vertu de cette tendance, le capital aspire à dépasser les barrières et les préjugés nationaux aussi bien que la divinisation de la nature et la satisfaction des besoins existants, légués par le passé et enfermés dans les limites d'un contentement borné et dans la reproduction du mode de vie traditionnel. Il est destructif à l'égard de tout cela, il est en révolution permanente.

(Grundrisse)

La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire. Là où elle prit le pouvoir, elle détruisit toutes les relations féodales, patriarcales, idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissaient l'homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser d'autre lien entre l'homme et l'homme que le froid intérêt, les dures exigences du "paiement comptant". Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité à quatre sous dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange et, à la place des nombreuses libertés si chèrement acquises, elle a substitué l'unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, aride. La bourgeoisie a dépouillé de leurs auréoles toutes les activités qui passaient jusqu'alors pour vénérables et que l'on considérait avec un saint respect. Médecin, juriste, prêtre, poète, homme de science, de tous elle a fait des salariés à gages.La bourgeoisie a déchiré le voile de sentiment et d'émotion qui couvrait les relations familiales et les a réduites à n'être que de simples rapports d'argent.

(Manifeste)

LE PRODUCTIVISME CAPITALISTE

Par le rapide perfectionnement des instruments de production et l'amélioration infinie des moyens de communication, la bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation jusqu'aux nations les plus barbares. Le bon marché de ses produits reste la grosse artillerie qui bat en brèche toutes les murailles de Chine, et contraint à capituler les barbares les plus opiniâtrement hostiles aux étrangers. Elle force toutes les nations à adopter le style de production de la bourgeoisie - même si elles ne veulent pas y venir ; elle les force à introduire chez elles la prétendue civilisation - c'est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle forme un monde à son image.

La bourgeoisie a soumis la campagne à la ville. Elle a créé d'énormes cités, elle a prodigieusement augmenté la population des villes par rapport à celle des campagnes et par là, elle a arraché une importante partie de la population à l'abrutissement de la vie des champs.

(Manifeste)

La production pour la production - la production comme fin en soi - apparaît certes déjà avec la subordination formelle du travail au capital, dès que le but immédiat recherché est de créer le maximum de plus-value en grandeur et en quantité, dès qu'en général la valeur d’échange du produit devient le but décisif. Cependant, cette tendance inhérente au système capitaliste ne se réalise de manière adéquate - et n'en devient une condition nécessaire, même du point de vue technologique – qu’au moment où le mode de production spécifiquement capitaliste et, avec lui, la subordination réelle du travail au capital ont connu un certain développement.

Ayant déjà abordé ce point plus haut, nous serons ici très bref. Il s'agit d'une production qui n'est pas liée à des besoins préalablement limités ou qui lui imposent des limites. (Son caractère antagonique implique des limites qu'elle tend constamment à franchir; d'où crises, surproduction, etc.) C'est là un des côtés – disons : le côté positif - qui la distingue des modes de production anciens. Le côté négatif réside dans son caractère antagonique : la production opposée au producteur, indifférente à l'égard du producteur réel, qui apparaît comme simple moyen de production, tandis que, devenant une fin en soi, la richesse matérielle se développe contre l'individu et à ses dépens. Productivité du travail = maximum de produits obtenus avec le minimum de travail, partant, marchandises au prix le plus bas possible. C'est une loi du système de production capitaliste, indépendante de la volonté des capitalistes.

Elle en implique une autre : ce ne sont pas les besoins existants qui déterminent l'échelle de la production, mais, inversement, c’est la masse des produits qui est fonction de l'échelle sans cesse croissante de la production, elle-même déterminée par le système capitaliste. Le but, qui est d'obtenir des produits contenant le maximum de travail non payé, ne peut être atteint que par une production qui est sa propre fin.

Ce fait se présente, d'une part, comme une loi dans la mesure où le petit capitaliste matérialise dans le produit une quantité de travail supérieure au quantum socialement nécessaire ; c'est la manifestation adéquate de la la loi de la valeur, qui ne se développe complètement que sur la base du mode de production capitaliste.

Mais, d'autre part, c’est l’instinct même de chaque capitaliste qui, pour violer cette loi ou la tourner par la ruse à son profit, cherche à abaisser la valeur individuelle de sa marchandise au-dessous de sa valeur socialement déterminée.

(Grundrisse)

Ce qui est de la plus-value pour le capital est pour l'ouvrier du surtravail au-delà de ses besoins immédiats nécessaires à le faire vivre en tant qu'ouvrier. Le grand rôle historique du capital est de produire ce surtravail, travail superflu du point de vue de la simple valeur d'usage, de la simple subsistance.

Le capital a accompli sa fonction historique lorsque d'une part, les besoins sont assez développés pour que le surtravail en sus de ce qui est nécessaire soit devenu lui-même un besoin général et découle des besoins de l'individu lui-même ; et d'autre part, que le zèle au travail imposé par la sévère discipline du capital aux générations successives soit devenu le bien commun de l'humanité nouvelle ; enfin, que les forces productives du travail dont le capital accélère le progrès à coup de fouet, dans la frénésie d'enrichissement sans limites et dans les conditions qu'il pourrait seul réaliser, soient développés au point que la possession et la préservation de la richesse générale exige :

1° que la société tout entière se fixe un temps de travail moindre ;

2° que la société travailleuse affronte scientifiquement le procès de sa reproduction sans cesse croissante, dans une plénitude toujours plus grande.

Autrement dit : l'homme ne fera plus les travaux qui peuvent être faits à sa place. Le capital et le travail ont un rapport semblable à celui de l'argent et de la marchandise : l'un est la forme générale de la richesse, l'autre uniquement sa substance destinée à la consommation immédiate. Dans sa course éperdue à la forme générale de la richesse, le capital pousse le travail au-delà des limites de ses besoins naturels et crée de la sorte les éléments matériels pour le développement d'une individualité riche, aussi universelle dans sa production que dans sa consommation, et dont le travail n'apparaît plus comme travail, mais comme plein développement de l'activité : sous sa forme immédiate, la nécessité naturelle y a disparu, parce qu'à la place du besoin naturel a surgi le besoin produit historiquement. C'est pourquoi le capital est productif, autrement dit, il a un rapport essentiel au développement des forces productives sociales. Mais, il cesse de l'être à partir du moment où le développement de ces forces productives trouve une barrière dans le capital lui-même.

(Grundisse)

LA FIN D'UN MONDE

Dans les crises, on voit se répandre une épidémie sociale qui, à toute autre époque, aurait semblé absurde : l'épidémie de la surproduction. La société se trouve subitement ramenée à un état de barbarie momentanée ; il semble qu'une famine, une guerre d'extermination, lui aient coupé ses moyens de vivre - l'industrie et le commerce semblent anéantis ; et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d'industrie, trop de commerce.

(Manifeste)

Quand le prolétariat annonce la dissolution de l'ordre du monde existant jusqu'alors, il ne fait qu'exprimer le secret de sa propre existence, car il est la dissolution effective de cet ordre du monde.

(Critique de la philosophie du droit de Hegel)

La société ne peut plus vivre sous sa domination; c'est dire que l'existence de la bourgeoisie n'est plus compatible avec l'existence de la société. La condition essentielle de l'existence et de la domination de la classe bourgeoise est l'accumulation de la richesse entre les mains des particuliers, la formation et l'accroissement du capital ; la condition d'existence du capital, c'est le salariat. Le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux.

(Manifeste)

Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers. Ils n'ont pas d'intérêts qui les séparent de l'ensemble du prolétariat. [..]Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui entraîne toutes les autres : théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat, l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien.

(Manifeste)

LA REALISATION DE LA LIBERTE ET DE L'EQUITE: LE TEMPS LIBRE

Dans la société bourgeoise, le capital est indépendant et personnel, tandis que l'individu qui travaille n'a ni indépendance, ni personnalité. Et l'abolition d'un pareil état de choses, la bourgeoisie l'appelle l'abolition de l'individualité et de la liberté !

(Manifeste)

A la vérité, le règne de la liberté commence seulement à partir du moment où cesse le travail dicté par la nécessité et les fins extérieures; il se situe donc, par sa nature même, au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite. Tout comme l'homme primitif, l'homme civilisé est forcé de se mesurer avec la nature pour satisfaire ses besoins, conserver et reproduire sa vie; cette contrainte existe pour l'homme dans toutes les formes de la société et sous tous les types de production.

Avec son développement, cet empire de la nécessité naturelle s'élargit parce que les besoins se multiplient; mais, en même temps, se développe le processus productif pour les satisfaire.

Dans ce domaine, la liberté ne peut consister qu'en ceci : les producteurs associés - l'homme socialisé - règlent de manière rationnelle leurs échanges organiques avec la nature et les soumettent à leur contrôle commun au lieu d'être dominés par la puissance aveugle de ces échanges ; et ils les accomplissent en dépensant le moins d'énergie possible, dans les conditions les plus dignes, les plus conformes à leur nature humaine.

Mais l'empire de la nécessité n'en subsiste pas moins. C'est au-delà que commence l'épanouissement de la puissance humaine qui est sa propre fin, le véritable règne de la liberté qui, cependant, ne peut fleurir qu'en se fondant sur ce règne de la nécessité. La réduction de la journée de travail est la condition fondamentale de cette libération.

(Capital)

En dépit de ce progrès [à travail égal, salaire égal], ce droit égal reste prisonnier d'une limitation bourgeoise. Le droit des producteurs est proportionnel au travail qu'ils fournissent. L'égalité consiste en ce que le travail fait fonction de mesure commune. Toutefois, tel individu est physiquement ou intellectuellement supérieur à tel autre, et il fournit donc en un même temps plus de travail ou peut travailler plus longtemps. Le travail, pour servir de mesure, doit être calculé d'après la durée ou l'intensité, sinon il cesserait d'être un étalon de mesure.

Ce droit égal est un droit inégal pour un travail inégal. Il ne reconnaît aucune distinction de classe, puisque tout homme n'est qu'un travailleur comme tous les autres, mais il reconnaît tacitement comme un privilège de nature le talent inégal des travailleurs, et, par suite, l'inégalité de leur capacité productive.

C'est donc, dans sa teneur, un droit de l'inégalité, comme tout droit. Par sa nature, le droit ne peut consister que dans l'emploi d'une mesure égale pour tous; mais les individus inégaux (et ils ne seraient pas distincts, s'ils n'étaient pas inégaux) ne peuvent être mesurés à une mesure égale qu'autant qu'on les considère d'un même point de vue, qu'on les regarde sous un aspect unique et déterminé ; par exemple, dans notre cas, uniquement comme des travailleurs, en faisant abstraction de tout le reste. En outre: tel ouvrier est marié, tel autre non ; celui-ci a plus d'enfants que celui-là, etc..

A rendement égal, et donc à participation égale au fonds social de consommation, l'un reçoit effectivement plus que l'autre, l'un sera plus riche que l'autre, etc. Pour éviter tous ces inconvénients, le droit devrait être non pas égal, mais inégal.

Or tous ces inconvénients sont inévitables dans la première phase de la société communiste, quand elle ne fait que sortir de la société capitaliste, après un long et douloureux enfantement. Le droit ne peut jamais être plus élevé que la structure économique de la société et le développement culturel qui en dépend.

Dans une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu l'asservissante subordination des individus à la division du travail et, par suite, l'opposition entre le travail intellectuel et le travail corporel; quand le travail sera devenu non seulement le moyen de vivre, mais encore le premier besoin de la vie ; quand, avec l'épanouissement universel des individus, les forces productives se sont accrues, et que toutes les sources de la richesse coopérative jailliront avec abondance - alors seulement on pourra s'évader une bonne fois de l'étroit horizon du droit bourgeois, et la société pourra écrire sur ses bannières : "De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins !" ...

(Critique du programme de Gotha)

A mesure que la grande industrie se développe, la création de richesses en vient à dépendre moins du temps de travail et de la quantité de travail utilisée, que de la puissance des agents qui sont mis en mouvement pendant la durée du travail. L'énorme efficience de ces agents est, à son tour, sans rapport aucun avec le temps de travail immédiat que coûte leur production. Elle dépend bien plutôt du niveau général de la science et du progrès de la technologie ou de l'application de cette science à la production.

(Grundisse)

La production s'automatise, la force de travail du producteur n'est plus exploitée. Mais lui-même trouve place à côté du procès de production, au lieu d'en être l'agent principal. Avec ce bouleversement, ce n'est ni le temps de travail utilisé, ni le travail immédiat effectué par l'homme qui apparaissent comme le fondement principal de la production et de la richesse; c'est l'appropriation de sa force productive générale, son intelligence de la nature et sa faculté de la dominer, dès lors qu'il s'est constitué en un corps social; en un mot le développement de l'individu social représente le fondement essentiel de la production et de la richesse.

Le vol du temps de travail sur lequel repose la richesse actuelle apparaît comme une base misérable par rapport à la base nouvelle, créée et développée par la grande industrie elle-même. Dés que le travail, sous sa forme immédiate, a cessé d'être la source principale de la richesse, le temps de travail cesse et doit cesser d'être sa mesure, et la valeur d'échange cesse donc aussi d'être la mesure de la valeur d'usage

Le surtravail des grandes masses a cessé d'être la condition du développement de la richesse générale, tout comme le non-travail de quelques-uns a cessé d'être la condition du développement des forces générales du cerveau humain. La production basée sur la valeur d'échange s'effondre de ce fait et le procès de production matériel immédiat se voit lui-même dépouillé de sa forme mesquine, misérable et antagonique. C'est alors le libre développement des individualités. Il ne s'agit plus dès lors de réduire le temps de travail nécessaire en vue de développer le surtravail, mais de réduire en général le travail nécessaire de la société à un minimum. Cette réduction permet ensuite que les individus reçoivent une formation artistique et scientifique, etc., grâce au temps libéré et aux moyens créés au bénéfice de tous.

Le capital crée une contradiction en procès : d'une part il pousse à la réduction du temps de travail à un minimum et d'autre part il pose le temps de travail comme la seule source et la seule mesure de la richesse. Il diminue donc le temps de travail sous sa forme nécessaire pour l'accroître sous sa forme de travail superflu. Dans une proportion croissante, il pose donc le travail superflu comme la condition - question de vie ou de mort - du travail nécessaire.

D'une part, il éveille toutes les forces de la science et de la nature ainsi que celles de la coopération et de la circulation sociales, afin de rendre la création de la richesse indépendante (relativement) du temps de travail utilisé pour elle.

D'autre part, il prétend mesurer les gigantesques forces sociales ainsi créées d'après l'étalon du temps de travail, et les enserrer dans des limites étroites, nécessaires au maintien, en tant que valeur, de la valeur déjà produite. Les forces productives et les rapports sociaux - simples faces différentes du développement de l'individu social - apparaissent uniquement au capital seulement comme des moyens, et des moyens pour produire sur une base limitée. Mais en fait ce sont les conditions matérielles capables de faire éclater cette base.

(Grundisse)

Quoi qu'il en soit, le capital crée une grande quantité de temps disponible, en dehors du temps de travail nécessaire à la société en général et à chacun de ses membres en particulier, autrement dit, une marge d'espace pour le développement de toutes les forces productives de chaque individu, et donc aussi de la société.

Cette création de temps de non-travail apparaît, pour le capital et les systèmes antérieurs, comme un simple temps de non-travail, du temps libre pour quelques-uns. Mais en ce qui concerne le capital, celui-ci augmente le temps de surtravail de la masse par tous les moyens de la science et de l'art, parce que sa richesse est directement fonction de l'appropriation du temps de surtravail, son but étant directement la valeur, et non la valeur d'usage.

Il est ainsi, malgré lui, l'instrument qui crée les moyens du temps sociaI disponible, qui réduit sans cesse à un minimum le temps de travail pour toute la société et libère donc le temps de tous en vue du développement propre de chacun.

Cependant, il tend toujours lui-même a créer du temps disponible d'un côté, pour le transformer en surtravail de l'autre. S'il réussit trop bien à créer du temps disponible, il souffrira de surproduction, et le travail nécessaire sera interrompu, parce que le capital ne peut plus mettre valeur aucun surtravail. Plus cette contradiction se développe, plus il se révèle que la croissance des forces productives ne saurait être freinée davantage par l'appropriation du surtravail d'autrui.

Les masses ouvrières doivent donc s'approprier elles-mêmes leur surtravail. De ce fait le temps disponible cesse d'avoir une existence contradictoire. Le temps de travail nécessaire se mesure dès lors aux besoins de l'individu social, et le développement de la force productive sociale croit avec une rapidité si grande que, même si la production est calculée en fonction de la richesse de tous, le temps disponible croît pour tous.

La Richesse véritable signifie, en effet, le développement de la force productive de tous les individus. Dès lors, ce n'est plus le temps de travail, mais le temps disponible qui mesure la richesse.

Si le temps de travail est la mesure de la richesse, c'est que la richesse est fondée sur la pauvreté, et que le temps libre résulte de la base contradictoire du surtravail; en d'autres termes cela suppose que tout le temps de l'ouvrier soit posé comme du temps de travail et que lui-même soit ravalé au rang de simple travailleur et subordonné au travail. C'est pourquoi la machinerie la plus développée contraint aujourd'hui l'ouvrier à travailler plus longtemps que ne le faisaient le sauvage ou lui-même, lorsqu'il disposait d'outils plus rudimentaires et primitifs.

(Grundrisse) 


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