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Encore une proposition formidable de Louis George Tin !

Publié le 16 mai 2013 par Vindex @BloggActualite

Bonjour à tous !
Nous brisons aujourd’hui presque deux mois de silence sur le blog par la critique de la dernière sortie époustouflante de Louis George Tin, président du Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN). Souvenez-vous, en décembre dernier, nous écrivions un article sur le concours Miss France et la discrimination raciale, dans lequel le militant anti-raciste accusait le manque de femmes de la diversité ethnique et culturelle dans ce concours alors même que son organisation a créé un concours de beauté uniquement réservé aux femmes noires. Cette fois-ci, le président du CRAN s’est exprimé sur un sujet croisant histoire et mémoire puisqu’il a demandé il y a quelques jours le dédommagement financier des descendants des populations ayant subi la traite négrière. La question des dédommagements n’est pas nouvelle, et nous en avions d’ailleurs parlé enoctobre 2012 à l’occasion du déplacement de François Hollande au Sénégal. Nous allons toutefois nous pencher plus attentivement sur la question financière qui ressort de plus en plus. Tout en rappelant la gravité des faits de cette page de notre histoire, ne peut-on pas toutefois remettre en cause cette demande au regard des problèmes qu’elle peut susciter à notre société actuelle dans son rapport au passé et son rapport aux communautés ? 
Encore une proposition formidable de Louis George Tin !-Louis Georges Tin, président du CRAN-
La traite négrière : un crime contre l’humanité.
Commençons par un simple rappel des faits et par une définition : la traite négrière est le commerce que les noirs ont subi en tant qu’esclaves. Elle fit des millions de victime et son étude historique est d’une grande complexité. En effet, elle fut aussi bien perpétrée par des européens que par des arabes voir même par des africains (la traite intra-africaine) et ce pendant plusieurs siècles et dans plusieurs régions d’Afrique. Elle fut étudiée notamment par Olivier Pétré Grenouilleau dans son livre Les traites négrières. Essai d’histoire globale publié en 2004. Plus globalement, l’esclavage fut une des composantes essentielles de nombreuses sociétés et civilisations depuis la plus haute antiquité.
Mais en l’occurrence, il s’agit très précisément de la traite négrière perpétrée par la France notamment dans le cadre du commerce triangulaire qui a impliqué des ports comme Nantes ou encore Bordeaux. Celle-ci fut très dure voir inhumaine, infligeant des conditions de vie et des conditions de travail forcé à ses victimes. La traite atlantique aurait fait environ 14 millions de mort selon Olivier Pétré Grenouilleau. Les populations étaient déportées d’Afrique Occidentale vers les possessions françaises aux Antilles pour travailler dans des plantations. Bien sûr, d’autres pays y ont à l’époque participé.   
Un loi reconnaît officiellement la traite négrière comme étant un crime contre l’humanité. Il s’agit de la loi Taubira votée le 23 mai 2001. Elle inclut même d’autres formes de traite : celle dans l’océan Indien, ainsi que l’esclavage contre les amérindiens (qui n’est pas une traite). De ce fait, il n’est pas possible de nier que c’est un crime contre l’humanité et cela établit un parallèle avec la Shoah durant la Seconde Guerre Mondiale. Dans ce cadre législatif, une demande de compensation est logique selon Louis George Tin : il y a eu crime, il doit donc y avoir une réparation. Mais ce n’est pas ce que prévoit la loi qui ne fait que reconnaître et organiser un enseignement de ce fait historique au travers des programmes scolaires et de la commémoration. De toute évidence, le contexte d’inflation mémorielle et de concurrence des mémoires fait de plus en plus ressortir des demandes de dédommagement et de reconnaissance, et la mémoire de l’esclavage ne coupe pas à cette règle. Déjà en 2005 des demandes avaient été formulées par le Mouvement International pour les Réparations et en janvier 2013, une descendante d’esclave, Rosita Destival, a porté plainte contre l’Etat pour crime contre l’Humanité. Cette possibilité de porter plainte contre l’Etat français semble être lié à la loi de 2001 et ce n’est pas la première polémique que cette loi a d’ailleurs engendrée, puisqu’elle avait donné lieu à des tentatives de poursuites judiciaires contre l’historien Olivier Pétré Grenouilleau en 2005.   
Une demande déplacée dans un contexte économique de crise.
La demande formulée par Louis George Tin me semble d’abord déplacée dans un contexte actuel de crise. En effet, le coût d’une telle réparation financière serait évalué à 16 milliards d’Euros. C’est une somme non négligeable, surtout dans un cadre économique de récession et de croissance du chômage et bien entendu, ce serait à l’Etat, donc aux contribuables de payer cette somme qui représente presque 20 pour cent de ce que fut le déficit public en France en 2012 (87 milliards d’euros). De même, faire payer les français aujourd’hui pour ce que leurs ancêtres ont fait n’est pas vraiment juste ni moral dans le sens où ils ne sont pas directement responsables de leur passé. La responsabilité d’un crime ne se transmet pas de génération en génération.Pour justifier cette demande, Louis George Tin évoque aussi le fait que les français ont profité de cette traite et que les esclaves n’ont pas pu transmettre de patrimoine puisqu’ils n’avaient pas de salaire. Selon lui, ce fait serait encore à l’origine des difficultés économiques dans les Départements et Régions d’Outre-mer français. Imputer les difficultés économiques des Antilles françaises à ce seul fait est un raccourci d’autant plus que l’esclavage étant aboli depuis 1848, on peut penser que progressivement au cours de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle les conditions de travail se sont améliorées et que des richesses économiques ont pu être accumulées par des populations de descendants d’esclaves. On pourra toujours rétorquer que le rapport colonial a pu ralentir le progrès économique des locaux et descendants d’esclaves, ce n’est pas la question puisqu’il s’agit de réparer l’esclavage.
S’attaquer aux inégalités économiques entre métropole et outre-mer mérite franchement mieux que cette proposition qui pourrait renforcer le communautarisme.
Une forme de communautarisme déguisé sous des aspects mémoriels ?
Tout d’abord, il faut dire que la mémoire étant le pendant affectif et communautaire de l’histoire, il ne peut être de mémoire que communautaire. La mémoire est toujours portée par une communauté qui souhaite se souvenir et mettre en valeur ce qu’elle a vécu. La mémoire peut-être complémentaire de l’histoire mais dans un contexte de concurrence mémorielle depuis quelques décennies, la mémoire nourrit de plus en plus un certain communautarisme. Et même si la demande n’est pas explicitement communautariste, elle se place toutefois dans un cadre mémoriel lié à la une communauté et dans un cadre associatif (le CRAN) qui n’est pas complètement innocent.  Selon Eric Derro, historien spécialiste de la colonisation, une telle mesure pourrait renforcer les clivages communautaires et le communautarisme. Quoi de plus contre-productif dans la lutte anti-raciste si chère à Monsieur Tin ? Eric Deroo rajoute que cette mesure ouvrirait une « boîte de Pandore » : en effet, pourquoi en ce cas ne pas indemniser tous les descendants de toutes les communautés ayant subit des malheurs au cours de l’histoire de France ? Enfin, Eric Deroo montre que la réparation financière serait très délicate à mener : la majorité des descendants des esclaves sont métis et ont même pu aussi avoir des ancêtres esclavagistes. Les critères à établir pour recevoir seraient complexes et aboutiraient sans doute à des contradictions.
En conclusion, si les intentions de Monsieur Tin sont sans doute louables, il n’en reste pas moins que l’enfer est parfois pavé de bonnes intentions et que sa proposition n’est ni juste ni bonne pour l’équilibre de notre société. Ce qui est fait pour la mémoire de l’esclavage est déjà important et s’inscrit dans la durée. Malgré toute l’attention que nous portons déjà à ces questions, trop de polémiques ressortent et tendent encore la société autour d’une mémoire qui fait pourtant consensus.Aucune décision ne semble encore prise, mais Christiane Taubira, très sensible à ces questions, s’est déjà positionnée : elle ne souhaite pas vraiment de réparation financière, mais prône une « politique foncière » en faveur des descendants de l’esclavage. Force est de constater que cela ressemble à une compensation d’autant qu’elle le justifie par des arguments similaires à Louis George Tin. Mais la mesure serait plus juste et plus facile à appliquer et ne toucherait pas tout le contribuable mais seulement les propriétaires de terres aux Antilles, qui sont pour certains des descendants de maîtres. Encore faudra t-il qu’ils veuillent bien payer pour leurs ancêtres…   
Pour aller plus loin : 
-Louis George Tin-Olivier Pétré Grenouilleau-Traite négrière-Loi Taubira
Sources : 
Le FigaroLa CroixLe Monde

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