Magazine Culture
On s’attend, après les
premières lignes, à marcher beaucoup dans New York, et à découvrir la ville à
hauteur d’homme. Ce sera en partie le cas. On s’attend moins à marcher dans
Bruxelles. C’est pourtant ce qui arrive à Julius pendant les trois semaines
qu’il passe dans la capitale belge à la fin de 2006. Il en profite pour se
faire l’écho de tensions raciales qu’il découvre plus vives qu’à New York.
Nigérian de peau assez claire, il croyait connaître tous les registres du
mépris et du rejet. Et voilà qu’il est amené à les étendre à travers des
rencontres au spectre très étendu, puisque cela va d’une amie du baron Empain
au gérant d’une boutique de téléphonie. Celui-ci, Farouk, est farouchement
politisé mais son discours est parfois plus verbeux que construit.
Les soixante pages
bruxelloises, arrivées là parce que Julius a envie de retrouver sa grand-mère,
servent aussi de point de comparaison entre une vieille ville européenne
préservée des bombardements de la guerre et une immense cité nord-américaine
dans laquelle deux tours se sont écroulées.
A New York, Julius est
interne en psychiatrie. Les problèmes des personnes qu’il suit sont en lui
comme s’il était une éponge. Semblable à cela à V., une de ses patientes,
maître assistant à l’Université de New York et membre de la tribu Delaware, qui
étudie les combats entre les Indiens du Nord-Est et les colons européens au 17e
siècle. « La dépression de V. était
partiellement due à l’impact émotif de ces études ». La marche lui
permet de retrouver un équilibre, de voir la réalité autrement. Les oiseaux
dont il observe le vol lui servent à envisager la ville comme une entité
lointaine – et parfois dangereuse : ils sont nombreux à s’être écrasés sur
la statue de la Liberté.
L’homme est aussi fragile
qu’un oiseau. Le professeur Saito, que Julius voit souvent et pour qui il
éprouve autant d’admiration que d’amitié, est devenu un vieil homme qui avance
vers la mort avec sérénité. Julius sera moins serein quand il apprendra sa
disparition. Ebranlé par les chocs quotidiens, le jeune homme résiste cependant
parce qu’il a développé, depuis sa jeunesse au Nigeria, un instinct de survie
qui l’aide dans les moments difficiles. La littérature et l’art appartiennent
aussi aux moyens dont il dispose pour tenir, autant que possible, le monde à
distance. Même quand une de ses marches aboutit à une agression nocturne…
Teju Cole, dont Open City est le premier roman, est aussi photographe de rue. Il a
l’œil à des détails dont beaucoup nous échapperaient peut-être s’il ne les relevait
pas dans son livre. La biographie de son personnage, proche de lui sans être
tout à fait identique, la profondeur de sa pensée au milieu d’un mélange des
voix et des races qui ne le surprend plus depuis longtemps, font de Julius un
homme qu’on accompagne volontiers. Il ne se contente pas de vivre les
événements, il leur donne aussi du sens.