Lors de sa conférence de presse organisée ce 16 mai, le Président de la République a confirmé la poursuite du "choc de simplification" et a annoncé une "révolution" dans les relations entre administration et administrés : le silence de la première vaudra autorisation des seconds. Pas si simple. Simplifier c'est (très) complexe.
Il n'a jamais été autant question de "simplification" et de son "choc". Le "choc de simplification" est un engagement du Président de la République et il a de nouveau été confirmé ce 16 mai, à l'occasion d'une grande conférence de presse qui s"'est tenue dans les salons de l'Elysée.
Dans son allocution introductive, le Chef de l'Etat a ainsi déclaré :
"Et puis, une autre législation va être prise dans le domaine des relations entre l’Administration et les entreprises, parce que nous voulons favoriser les implantations, aller plus vite, raccourcir les délais. On peut diviser par trois le temps pour implanter une entreprise, si nous harmonisons l’ensemble des procédures. Et pour les particuliers, je propose une forme de révolution. Dans de nombreux domaines, pas tous, le silence de l’administration vaudra désormais autorisation et non plus rejet. Ce sera effectivement un changement considérable. Il doit être limité à des domaines. D’autres, forcément, exigent des délais d’instruction. Eh bien, ces délais sont eux-mêmes limitatifs, connus à l’avance. Lorsqu’ils ne sont pas respectés, l’autorisation sera donnée.
Ce mouvement de simplification pour les entreprises, pour les particuliers, se poursuivra tout au long du quinquennat. C’est une réforme structurelle comme l’on dit, mais c’est surtout un facteur de croissance".
Ce n'est pas la première fois, loin s'en faut que l'Etat annonce un renversement du principe selon lequel le silence de l'administration vaut rejet de la demande présentée par un administré.
Ce principe est actuellement défini à l'article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations :
"Sauf dans les cas où un régime de décision implicite d'acceptation est institué dans les conditions prévues à l'article 22, le silence gardé pendant plus de deux mois par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet.
Lorsque la complexité ou l'urgence de la procédure le justifie, des décrets en Conseil d'Etat prévoient un délai différent".
Le principe est donc le suivant : le silence gardé pendant plus de deux mois par l'administration sur la demande présentée par l'administrée vaut rejet de ladite demande. Toutefois, cet article 21 ajoute immédiatement une exception : lorsque la loi le prévoit, le silence de l'administration vaut accord. Tel est le cas pour certaines demandes de permis de construire exonérés de procédure d'enquête publique : le demandeur peut être titulaire d'un permis de construire tacite au terme du délai d'instruction de son dossier dans les conditions mentionnées sur le récépissé de sa demande de permis.
L'article 22 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 ajoute :
"Le silence gardé pendant deux mois par l'autorité administrative sur une demande vaut décision d'acceptation dans les cas prévus par décrets en Conseil d'Etat. Cette décision peut, à la demande de l'intéressé, faire l'objet d'une attestation délivrée par l'autorité administrative. Lorsque la complexité ou l'urgence de la procédure le justifie, ces décrets prévoient un délai différent. Ils définissent, lorsque cela est nécessaire, les mesures destinées à assurer l'information des tiers."
La loi du 12 avril 2000 prévoit donc bien un régime de décision implicite d'acceptation. D'ores et déjà le silence de l'administration peut valoir accord dans des cas par décret du Conseil d'Etat.
Toutefois, ces décrets ne peuvent instituer un régime de décision implicite d'acceptation lorsque les engagements internationaux de la France, l'ordre public, la protection des libertés ou la sauvegarde des autres principes de valeur constitutionnelle s'y opposent. De même, sauf dans le domaine de la sécurité sociale, ils ne peuvent instituer aucun régime d'acceptation implicite d'une demande présentant un caractère financier.
Il n'y a donc pas de révolution à prévoir que le silence de l'administration vaut accord, tel est déjà le cas dans de nombreux cas. La révolution serait de systématiser la règle selon laquelle le silence de l'administration vaut accord. ce n'est pas ce que propose le Président de la République qui propose uniquement d'étendre cette règle s'agissant des demandes adressées à l'administration par des particuliers, non par des entreprises. Pour ces dernières, le chef de l'Etat propose d'abord de réduire les délais d'instruction de leurs demandes.
Fort heureusement car la systématisation du régime de la décision implicite d'acceptation n'est pas souhaitable.
Prenons un exemple, celui de l'autorisation d'exploiter délivrée par le Préfet au titre de la police des installations classées. Il est difficile d'imaginer qu'une entreprise puisse bénéficier de l'autorisation de créer une usine, un incinérateur ou une carrière en raison du seul silence gardé par l'administration. En réalité il est de l'intérêt de l'environnement, de la santé publique mais aussi de l'exploitant que l'administration de contrôle de son activité fasse clairement état des prescriptions de fonctionnement qui encadrent le fonctionnement de l'installation classée autorisée. Il n'est donc pas souhaitable d'étendre le principe de la décision implicite d'acceptation dans tous les domaines, sans bilan coût avantage préalable.
De manière générale, je l'avoue, j'ai un peu de mal avec l'expression "choc de simplification". Certes le droit est parfois trop compliqué. Mais il convient de s'interroger sur les causes qui ont conduit à cette situation. Théorie du complot mise à part, c'est rarement le résultat d'une volonté délibérée de ronds de cuir qui seraient réunis un soir de pleine lune pour jeter un mauvais sort aux forces vives de la nation, désormais entravées dans leur créativité par une kyrielle de règles et de normes, comme la mouche dans la toile d'araignée.
En réalité, la complexité du droit a plusieurs causes : multiplication des sources mais aussi énorme demande de règles de la part de la société elle-même. La véritable cause de la prolifération des règles c'est bien notre schyzophrénie collective : le piéton ne traverse jamais assez vite lorsque nous sommes au volant d'une voiture mais la voiture va toujours trop vite lorsque nous traversons la rue.
Nous voulons plus de règles et moins de règles à la fois.
Pour en sortir, il faut une "modernisation" de notre droit, terme plus adapté à celui de "simplification".