Quatrième de couverture :
Quelques semaines avant Noël, le roi d’Espagne disparaît, laissant derrière lui un mot dont personne ne comprend le sens : « Je vais chercher le petit garçon. Je reviendrai quand je l’aurai trouvé. Ou pas. Joyeux Noël. » Tout effort pour retrouver sa trace s’avère vain et l’on fait appel en dernier recours à un ex-flic, le détective Arregui, qui lui a sauvé la vie par le passé et qui, pour résoudre les cas qui se présentent à lui, doit chercher l’inspiration dans les cabines vidéo des sex-shops.
Poursuivi par son propre spleen, par des policiers corrompus et par les hommes de main d’un puissant personnage surnommé « le Chasseur », Arregui se perd dans une Espagne arriérée, traversée par des personnages aussi étranges qu’un voyant rétroviseur qui ne peut deviner que le passé, un chef d’orchestre ayant perdu la symphonie censée guérir tous les chagrins ou un roi déguisé en hippie et persuadé de vivre un film d’aventures.
Avec humour et mélancolie, Carlos Salem construit un road-movie ébouriffant bercé par le rythme doux et mortel d’une ranchera mexicaine.
Mon avis :
Un polar à la frontière de l’absurde, avec un jaillissement de fantaisie. Mais aussi un roman à deux niveaux, sur la peur de vivre et d’avancer dans la vie. Un détective (ancien policier) part à la recherche du roi d’Espagne, poursuivi par des bandits qui veulent sa (leur) peau.. Puis ensemble, ils traverseront une partie de l’Espagne pour rentrer à Madrid. Arregui part à la recherche du roi mais pas seulement… Il est à la poursuite de sa vie, de son passé, de qui il est. Il poursuit cette quête car vivre dans le passé ne lui permet pas de vivre le présent et l’avenir.Ce n’est qu’une fois qu’il aura dépassé ses peurs qu’il pourra vivre. D’ailleurs il désigne l’un des personnages qui les poursuit par le nom de « la Terreur » et qui cristallise pour lui les peurs qui paralysent sa vie, qui l’empêchent d’avancer et qu’il n’arrive plus à affronter. Il est tiraillé entre un amour passé et un amour à venir, rongé par la culpabilité suite à la mort de la femme qu’il aimait et dont il se reproche la mort. Leur parcours dans cette Espagne de l’ombre, leurs rencontres avec un devin qui lit le passé, avec un compositeur qui a perdu sa mélodie et la recherche au volant d’une voiture en roulant les fenêtres ouvertes pour retrouver ses notes, la quête de la route de Madrid qu’ils ne peuvent rejoindre qu’en traversant une rivière que personne ne sait situer…
J’ai aussi été sensible aux références discrètes en hommage aux policiers cultes, à l’Argentine.
Je pense que les personnes qui aiment les livres de l’écrivain Eduardo Mendoza, avec ses touches d’humour absurde devraient totalement adhérer. J’ai aimé la manière d’écrire, des chapitres courts, le rythme donné au roman. Un mélange d’inventivité, de surréalisme, d’ironie, de cynisme sur fond de polar noir, le tout mâtiné de tendresse, de crainte, d’amertume. J’ai trouvé la palette de personnage colorée et inventive, inoubliable.
Citations et extraits :
p. 86 « …Pour qu’ils croient que je suis celui de toujours. Mais à l’intérieur, je me sens celui de jamais. »
p. 94 « Il m’est impossible encore de choisir entre un passé qui ne reviendra pas et un futur qui ne sera peut-être jamais le mien. »
p. 98 « C’est comme s’il avait été privé du soulagement que procurent les bruits et qu’il n’ait plus que la douleur des paroles muettes. »
p.100 « Le passé, il faut aller à sa recherche, sinon il nous échappe. »
p. 133 « Ma mère seule traversait chaque jour cette cuirasse avec sa tendresse discrète, elle seule connaissait les passages secrets pour forcer cette forteresse, ouvrir les fenêtres et laisser entrer l’air qui rafraîchirait tant de sévérité. »
p. 134 «Dès lors, il se tissa entre eux une complicité à coté de laquelle je me sentais un trop petit poisson : même si j’essayais de rester à l’intérieur de ce filet de connivence, je passais à travers les mailles. »
p. 163 « Mais l’avenir n’existe pas, puisqu’il n’est pas encore arrivé. »
p. 164 « Le passé est la seule chose qui nous appartienne, le seul trésor d’un homme, c’est tout ce qu’il a été et aussi la graine de ce qu’il sera ! »
p. 216 « Nous cherchions le chemin du retour, mais je savais que pour moi, il n’y avait pas de retour possible. »
p. 218 «Je marchais lentement, mais à l’intérieur de moi je courais de toutes mes forces. »
p. 225 « Je n’étais plus un homme freiné et je fus inondé de compassion pour ce squelette qui avait passé sa vie à regarder derrière lui. »
p. 225 « Il était invincible, les yeux fixés sur l’aube, bien que l’aube fût une hallucination prolongée et démentielle. »
p. 225 « Depuis que Juan et moi avions commencé à sillonner cette région, nous n’avions rencontré que des gens à moitié faits, indécis entre un hier qui n’en finissait pas de disparaître et un avenir qui leur était étranger. »
p.350 « Ce qui te tue, ce n’est pas la trahison mais la méfiance. »
p. 355 « Chacun d’entre nous porte en lui la plus belle des symphonies, mais souvent, nous croyons que si nous baissons les vitres de la voiture elle nous échappera. C’est une erreur ; il faut rouler les vitres ouvertes pour entendre les symphonies des autres. »
Je reste roi d’Espagne de Carlos Salem. Éditions Actes sud
Date de parution : 07/09/2011