Je veux encore parler de ce
silence entre mes livres : j’aime vivre longtemps avec le livre que j’écris.
J’aime vivre avec lui pendant des années. Ce n’est pas que je fasse de la
rétention (ou peut-être un peu...) mais il me semble impossible de sortir, de
sortir de moi, un livre tous les deux ans par exemple. Le suivant serait trop
semblable au précédent, sans surprise, ni pour moi ni pour mon lecteur. Il me
faut, pendant l’écriture, accumuler des forces, des matériaux vitaux, avancer,
changer. Il faut bien que l’on vive pour écrire ! J’ai parfois d’ailleurs
l’impression que je vis une grande part de ma vie pour l’écrire : que je me
mets dans telle ou telle situation parce que je veux, dans mon prochain livre,
parler de telle ou telle situation. Je n’écris pas un livre sur la solitude
parce que j’ai, à un moment ou à un autre, vécu la solitude. Je me mets dans
une situation de solitude extrême pour pouvoir écrire un livre sur la solitude
extrême.
entretien
avec Liliane Giraudon publié dans Poezibao