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Les faux-monnayeurs vus par André Billy

Par Blogegide

« En cet hiver 1906-1907, un scandale défrayait la chronique du Quartier Latin. L'affaire aujourd'hui oubliée et dont André Gide tira l'idée première d'un de ses romans les plus déconcertants*, l'affaire dite des faux monnayeurs du Luxembourg, avait éclaté au mois d'août précédent. Plusieurs de nos camarades y étaient compromis. C'est au Luxembourg que la bande avait établi le siège de ses opérations. Je ne m'en étais pas douté, et je dois dire que la plupart d'entre nous étaient dans la même innocence que moi. Si quelqu'une des pièces fausses mises en circulation dans des boîtes d'allumettes par les adeptes de cette sorte de bourse en plein air m'avait passé par les mains, je ne m'en étais pas aperçu. C'est la pièce d'or de dix francs à l'effigie de Napoléon III et au millésime de 1857 qui avait le plus de succès. Il y avait aussi des pièces de dix francs de la République (1906) et des pièces de cinq francs. Le cours en variait de deux à cinq francs. Elles étaient faites d'un alliage d'étain et d'antimoine mélangé à une petite quantité de cuivre. Au sortir du moule, elles recevaient une légère dorure. Leur prix de revient était d'environ vingt-cinq centimes. Ce commerce fit vivre assez longtemps une trentaine d'individus, parmi lesquels Mousset, repris de justice et faux monnayeur professionnel, et Lancelot, formé à l'école de Mousset, à qui celui-ci commandait jusqu'à cent pièces à la fois. Il en fabriquait une trentaine par jour. Son atelier n'était pas le seul, et l'on citait le mot d'un de ses émules : « La fausse monnaie est une question sociale comme une autre. »Cinquante arrestations avaient été opérées. Étudiants, artistes, acteurs, employés, ouvriers, le coup de filet avait ramassé un peu de tout. Sur la terrasse du Luxembourg, on ne s'abordait plus qu'à voix basse, pour se séparer aussitôt. Le vent qui balayait les feuilles mortes des marronniers avait dispersé tous les groupes. Aux pieds des reines de France, les chaises ne trouvaient plus d'amateurs. La chaisière n'avait plus à se gendarmer pour obtenir ses deux sous.Plus de vingt non-lieux mirent hors de cause les moins imprudents des clients racolés par Mousset, Lancelot, Torlet, Berthelon et compagnie. Lucien Nicole, le seul des inculpés dont je puisse dire que j'étais l'ami, s'en tira moins facilement. Il avait donné rendez-vous à son fournisseur habituel dans la cathédrale de Rouen et tenté de refiler une pièce fausse au sacristain. Le cierge qu'il avait eu l'idée de faire brûler à la Sainte Vierge ne fut pourtant pas perdu. La Cour d'Assises l'acquitta.L'affaire des faux monnayeurs porta à la bohème de la rive gauche un coup dont elle ne se releva pas. Une époque s'achevait, celle de l'anarchie, de l'antipatriotisme, de l'antimilitarisme, du dreyfusisme. Un air nouveau, soufflé de L'Action Française et des Cahiers de la Quinzaine, commençait à transformer complètement le climat intellectuel de la jeunesse. »
(André Billy, La Terrasse du Luxembourg, coll. C'était hier, Librairie Arthème Fayard, 1945, pp. 235-237)
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* Notons un tout autre qualificatif sous la plume du même André Billy dans un compte-rendu de L’Œuvredu 16 février 1926 :
« Les Faux-Monnayeurs non plus n'ont pas leur pareil, mais que dire pour les faire aimer ? C'est un livre haïssable, sur lequel je me garderai d'insister, reculant devant la difficulté qu'il y aurait à vouloir, dans un journal comme celui ci, rendre tous les aspects, indiquer toutes les pentes d'une œuvre si désagréablement immorale. Nous ne nous ferons pas, n'est ce pas, plus vertueux que nous ne sommes. Nous ne dénierons pas au vice ses attraits, mais nous mettrons nettement à part le vice pour lequel M. André Gide fait dans ses Faux-Monnayeurs une sorte d'apologie en action. Tel que nous le dépeint M. Gide, ce vice là relève beaucoup plus de la correctionnelle que de la littérature.
Aussi bien trouve-t-on dans Les Faux-Monnayeurs quelques tableaux de mœurs assez bien faits, un ou deux types curieux et des idées esthétiques discutables mais intéressantes à débattre en petit comité, vers une heure du matin dans la fumée des pipes. Je ne mettrai pas à la charge de M. Gide les fautes de français qu'on relève dans son roman, puisqu'il n'en a pas, m'assure t on, corrigé les épreuves. »

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