La fonction des claquettes dans un spectacle ne doit pas être purement ornementale... Elles doivent jouer un rôle dans le spectacle, lui apporter quelque chose de particulier. C’est dans ce sens que les deux formes d’expression artistique peuvent étroitement collaborer.
Dans son œuvre fondatrice, « Sur la route », l’écrivain Jack Kérouac, apôtre de la génération beatnick, en même temps qu’il relate ses voyages au travers des Etats-Unis, part en quête d’un nouveau langage, « le beat », marqué par un rythme particulier, fondé sur des associations de sons et de mots proches de la réalité observée. La pièce « Jack Kérouac sur la route et sur les planches », réécriture de ce récit, utilise le motif des claquettes dans ce sens.
Ainsi, le rythme du train qui quitte la gare, se lance à la conquête des territoires immenses du « wild », roule, ralentit est-il souligné par la voix du narrateur doublée du ballet de claquettes...
Jack : Le train qui passe, boum, boum... L’énorme fracas de la machine noire… La route qui tape, tic, tac, tic, tac... Les hommes rouges et barbouillés sur la loco, ouah, ouah... Les conducteurs cyniques aux compteurs de vitesse, Cadillac, Pontiac, Ford Mustang, vroum, vroum... Tout défile à toute allure, gratch, gratch… Le monde entier défile… Rocs de l’étrange nuit tout illuminés… shit, shit, tic, tac, vroum, vroum, gratch, gratch…
Les danseurs portent des tenues en rapport avec la légende de l’ouest. Ils simulent des voyageurs à bord de la locomotive, mise en abyme du spectacle à venir...
De la même façon, au moment du prologue, lorsque l’écrivain s’efforce se rassembler ses souvenirs, les touches de la « vieille machine » à écrire produisent une première rythmique qui appelle le jeu des sons et des claquettes : « on the road Jack ! » fournit l’occasion d’un ballet qui prolonge la rêverie :
Jack (récitant) : Ta... Ta... Ta... Ta... Ta... Ta... Jack... Jack... Jack... Jackpot... Back... Back Jack ! Flashback… Parle vieille machine, parle ! Secoue-toi les tripes… Longue route du manuscrit, ligne blanche des mots, ramène-moi dans la patrie de Marcel Proust, d’Arthur Rimbaud et de mon lointain ancêtre, Lebris de Kéroack, tout là-bas dans le Far Ouest, en terre d’Armorique.
Un personnage, en l’occurrence Dean Moriarty, le « mentor » de Jack dans la pièce, est « le danseur de claquettes ». Il s’adonne à cet art par esprit de rébellion, c’est ce qu’il appelle, par référence à James Dean, « sa fureur de vivre ». Rappelons que James Dean est un pseudonyme façonné sur la référence à la figure du Dean de Kérouac.
Une certaine violence est donc sensible sur la scène du fait de la présence des claquettes. Dans une adaptation noire du « Macbeth » de Shakespeare, « le Ceilidh », celles qui les chaussent sont des personnages inquiétants, sanguinaires, diaboliques, inspirées des sorcières de la lande. Elles prédisent le destin mais elles utilisent le registre burlesque pour accentuer leur caractère inquiétant. Le ballet sur « Fuck them all » traduit assez bien cette tonalité.
Autre forme de violence marquée par les claquettes, c’est dans la pièce « Loft History 2084 » inspirée à la fois du « 1984 » d’Orwell et de l’émission de téléréalité : « Loft Story » qui passait sur M6 en 2004. Dans ce « loft » d’un genre particulier, les comédiens lofteurs étaient interrompus par de ridicules spots publicitaires accomplis par des danseurs de claquettes imbéciles, incapables de sortir d’une sorte de novlangue linguistique. Musique et claquettes, spots et slogans comme moyens de formatage de l’individu...
L’insertion dans la pièce de personnages pratiquant les claquettes est également un moyen facile de justifier la présence de ballets dans les pièces. Dans « le Tennessee Club » (pièce américaine inspirée de l’univers de Tennessee William), puis dans « le Ponton », (pièce inspirée de l’univers de Pirandello), deux des héroïnes sont des professionnelles. Dans « le Tennessee club », Sexy Sissi et Miranda sont deux sœurs ex membres du « Ziegfeld Follies » qui n’ont jamais voulu abandonner leur passion de la danse au point de sacrifier tout le reste. Elles n’ont plus de succès mais s’échinent, malgré le « détraquement du temps qui passe », à vouloir se produire en public là où on voudra bien les recevoir, notamment au « Tennessee club », bar perdu au fond du désert de Mojave à Bagdad Café...
Même lien à la danse et aux claquettes pour les deux sœurs du « Ponton », vieilles conteuses siciliennes qui se font appeler dans une petite ville de Sicile où chaque été elles « racontent des histoires de marionnettes » : « les Beffana sotto le stelle ». Leur spectacle est à base de légendes et de ballets.
Enfin, la présence des claquettes sur la scène crée également une atmosphère particulière, plonge le spectateur dans un univers traditionnel... Les musiciens de l’Ecole de musique qui collaboraient également aux spectacles réalisaient « en live » des morceaux sur lesquels dansaient les comédiens. Sur l’air de Franck Sinatra « I’m in heaven » atmosphère « à l’américaine » dans « le Tennessee Club » où se produisent Sexy Sissi, Miranda et leurs jeunes élèves. Sur un air de Run Rig atmosphère écossaise dans « le ceilidh » qui ouvre la pièce du même nom. La scène se passe dans un pub où a lieu comme c’est le cas en Ecosse un « ceilidh » dont la première attraction est la danse : jigs, claquettes irlandaises, chants gaéliques... Et pour terminer, du côté de chez Pirandello, sur la place du village de Santo Stefano di Camastra a lieu d’abord sur un rythme de « napoletana » un ballet claquettes simple auquel sont associés les enfants et les adultes. Et côté musiciens, on retrouve la mandoline ou le bandoléon.
Le Ceilidh. Edition Aléas (suite)
Tango argentin de Lou la sorcière intrigante dans ces Highlands où règnent la superstition et la terreur.
http://www.youtube.com/watch?v=s42WZRpkYl8