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Du côté de chez Swann, de Marcel Proust

Par Leblogdesbouquins @BlogDesBouquins
Du côté de chez Swann, de Marcel ProustJe me suis récemment livrée sur ma fragile personne à une expérience des plus brutales : cinq heures de train, filant à travers la verte campagne française, pas sommeil, pas de copilote, et à peu près rien d’autre à lire que Du côté de chez Swann, le premier tome de A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust.
Je me suis mise à soupçonner un coup fourré la première fois où mon professeur de français, en classe de seconde, s’est mise à parler de « La Recherche » pour discuter Proust, comme on dit « Les Fleurs » pour causer Baudelaire.
Cette familiarité entendue, ce petit nom affectueux m’ont à la fois intriguée et inquiétée. 
Mais il n’y a pas de montagne impossible à gravir, décidai-je alors: et c’est à ce moment d’hubris adolescent, à cet étourdi défi lancé à la Création, que je dois ma première tentative de lire Proust.
Depuis, dans les neuf-cent ans qui séparent ce moment-ci d’aujourd’hui, j’ai bien dû essayer de lire « La Recherche » une bonne dizaine de fois. 
Telle la mouche vrombissant éperdument entre le rideau et la vitre, fonçant encore et encore contre le carreau, j’ai lamentablement échoué à chacune de ces tentatives. Mais je viens aujourd’hui enfin couverte de gloire, mesdames et messieurs. Car je vous rapporte un premier tome, Du coté de chez Swann, écorné d’avoir voyagé partout et dormis quelques fois sur mon oreiller ; mais fini tout à fait, même jusqu’aux Notes et à la Chronologie. Et voyez-vous cela : c’était plutôt bien, voire même beaucoup. Au point que –Gasp !- j’ai envie de continuer, et de lire les suivants.
L'avis de Camille
Ce n’est pas tellement de lire Proust qui pose problème, quoique, nous y reviendrons prestement, mais plutôt d’en parler. Car c’est cette année le centenaire de la publication de A la recherche du temps perdu, et le ciel est noir de pages et de pages de publications librairiales : Proust et Freud, Proust et sa maman, Proust à la plage, Proust pirate-robot-ninja et Dieu sait quoi.
C’est intimidant, surtout pour les troglodytes pratiquement crasseux qui, comme moi, terminèrent leur formation littéraire en première, et se contentent depuis de lire semi tout et n’importe quoi, en se tenant la plupart du temps sur un seul pied dans le métro.
Alors voilà comment c’est, de lire Proust :
  • c’est vachement plus facile à lire en public que Fifty Shades of Grey, ça aucun problème pour l’ouvrir à tout bout de champ à des terrasses de café.
  • c’est mentalement envahissant, et là j’ai besoin d’être rassurée : vous arrive-t-il, quand vous lisez longtemps quelque chose de diablement bien tourné, que votre cerveau se mette tout seul à penser en prose, avec une cadence et un son à la manière de ? Je demande cela pour une amie, hein, dont les excursions à Monoprix se sont mises à dérouler intérieurement des phrases interminables de descriptions à la Marcel. « Ce bocal de marrons du Jura, luisants mordorés dans leur provinciale torpeur du hors saison, tout en haut de la poussiéreuse étagère des conserves, elle-même reléguée derrière l’étal massif du fromager, et prolongée, infamie intense, par l’assortiment incompréhensible des produits ménagers, lessives sous toutes leurs incarnations terrestres et célestes, et mystérieux adoucissants, sur les bocaux desquels furent plaquées d’aveuglantes photos de petits enfants tous gagnés d’une inexplicable hilarité[…] ». Non ? C’est pour une amie.
  • c’est beau, et c’est même drôle, et traite en fil rouge et avec une grande finesse d’une de mes passions ardentes, le snobisme, infini d’origines et de manifestations.
Néanmoins, Proust a la réputation d’être une sorte de bouillon interminable d’ennui, délié en phrases gigantesques. Ma foi, je dois bien vous dire que j’ai peiné comme l’équivalent littéraire de l’âne bâté pour entrer à peu près correctement dans ce bouquin, et en particulier dans la première partie, Combray.
C’est si convulsionné, si particulièrement minutieux, si bizarrement articulé que l’on dirait, pendant les premiers moments, une véritable langue étrangère. 
Combray est vertical comme un mur d’escalade, mais cela en vaut la peine.
C’est bien sûr dans Combray que l’on trouve la page de la justement célèbre madeleine, qui était au programme de mon bac de français, un texte si admirable qu’alors j’entendis d’indécrottables philistins de seize ans vocaliser spontanément leur appréciation, avec cet air tout vulnérable des gens habituellement peu impressionnés par les arts.
C’est aussi dans Combray que l’on rencontre mon personnage préféré, la cuisinière Françoise. Cette vieille druidesse mafflue, apparemment immortelle, conjugue une sorte de splendide cruauté primitive avec une grande sagesse du monde et des choses. Elle est incroyable, méchante, vulnérable, et si j’ai bien compris, présente dans tous les tomes de "La Recherche".
Après Combray suit Un Amour de Swann, puis Noms de pays: le nom (et sur ce titre, sérieusement: pardon?!), et je ne vais pas vous spoileriser, mais les pièces s’imbriquent surprisement bien entre les différentes parties, qui semblent parfois n’être que de jolies divagations au fil de l’eau. 
Comme les Cylons, l’homme Proust a un plan. Et ce plan, si j’en crois les quelques paroles journalistico-écrivaines qui sont parvenues jusqu’à moi ces temps-ci, se déplie sur l’ensemble des sept tomes. Qui comprennent au total plus de caractères que la Bible, paraît-il.
Pas de montagne impossible à gravir.
Je vais donc sans doute continuer vers A l’ombre des jeunes filles en fleur, qui est plein d’indécence et peuplé d’invertis. J’aime bien l’indécence Belle Epoque, c’est moins fatiguant que les trucs à la Stendhal où on a l’impression qu’il ne s’est rien passé, hormis un échange épistolaire plein de rougissements et de mouvements de sourcils, tellement les allusions sont fines et les périphrases baroques. Et puis boom, à la page suivante madame se retrouve enceinte du fruit de l’illégitime amour.
A lire ?

Oui. Mais accrochez-vos ceintures, et ne vous laissez pas impressionner par les pages et les pages du début, où le petit narrateur fait un total fromage parce que sa mère ne veut pas lui faire un bisou. Cela, encore une fois, en vaut la peine, en particulier la partie centrale, Un amour de Swann, où le susnommé Swann continue d’aimer une femme, Odette,  qui ne l’aime plus. 
C’est tragique et très réel, et pour une fois personne ne se jette sous un train : le déchirement est tout intérieur.

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