« L'esprit reçoit des
myriades d'impressions, banales, fantastiques, évanescentes ou gravées avec
acuité de l'acier. De toutes parts elles arrivent – une pluie sans fin
d'innombrables atomes ; et tandis qu'ils tombent, qu’ils s'incarnent dans la
vie de lundi ou de mardi, l'accent ne se marque plus au même endroit ; hier
l'instant important se situait là, pas ici ; de sorte que si l'écrivain était
un homme libre et pas un esclave, s'il pouvait écrire ce qu'il veut écrire et
non pas ce qu'il doit écrire, s'il pouvait fonder son ouvrage sur son propre
sentiment et non pas sur la convention, il n'y aurait ni intrigue ni comédie ni
tragédie ni histoire d'amour ni catastrophe au sens convenu de ces mots.
[...]
La vie n'est pas une série de lanternes de voitures disposées symétriquement ;
la vie est un halo lumineux, une enveloppe semi-transparente qui nous entoure
du commencement à la fin de notre état d'être conscient. N'est-ce pas la tâche
du romancier de nous rendre sensible ce fluide élément changeant, inconnu et
sans limites précises, si aberrant et complexe qu'il se puisse montrer, en y
mêlant aussi peu que possible l'étranger et l'extérieur ? »
Virginia Woolf, L’Art du Roman,
préface d’Agnès Desarthe, traduction de l’anglais de Rose Celli,
Signatures/Points, 2009, p. 12.