C’est avec une grande simplicité que nous pénétrons dans ce nouveau film d’Asghar Farhadi, dont il a tant été question ces derniers jours. Sans doute parce que d’emblée le réalisateur introduit une grande proximité dans son propos autant que dans la façon dont il filme les personnages et leurs relations. Installant l’intrigue dans la banlieue parisienne, il brosse un tableau réaliste, qui ne s’enferme dans aucun cliché, d’un quotidien d’une famille qui se recompose.
Il parfait le décor en faisant le choix des conditions climatiques et d’une topographie des scènes simple : la pluie battante, le ciel d’orage qui pèse sur le petit pavillon en marge des voies de RER, le quai en hauteur que complètent une ou deux rues de Paris dans lesquels les commerces de Marie (Bérénice Béjo) et Samir (Tahar Rahim), son nouveau compagnon, se situent.
Dans ces lieux, ce sont des personnages solaires qui vont éclairer l’histoire, chacun détenant une place précise dans cette « famille » qui tente de se reconstruire. C’est Ahmad (Ali Mosaffa), l’ex-mari de Marie qui va nous introduire en même temps que lui aux autres personnages. Le but de son voyage Téhéran-Paris, est la signature des papiers du divorce et sa présence au jugement qui doit avoir lieu le lendemain de son arrivée. Mais son court séjour révèle en réalité outre les rapports tendus et conflictuels entre les différents membres de la famille, une intrigue plus sombre dans laquelle il va essayer de démêler le vrai du faux.
Au fil de la narration, les personnages évoluent dans leurs rôles, le nouveau mari présenté d’emblée comme le méchant, aux yeux de l’ainée de Marie et de l’ex-mari, change de masque. Peu à peu on comprend les humeurs de chacun, la détresse et l’incompréhension de Fouad, le petit garçon, de Samir qu’il traduit en crises de nerfs et en violence verbale. Chacun, avec son vécu et sa compréhension des choses, affronte la situation qui n’est pas aisée. Chacun éprouve les réactions des autres, essaie de composer avec l’animosité, les non-dits, la souffrance latente.
En contrepoint d’une situation familiale difficile à vivre, il y a aussi les raisons secrètes de chacune des personnes, celles qui les poussent à agir de manière inexpliquée. Ainsi, l’histoire ne donnera pas les réponses à certains des choix des personnages ou la clé de leurs comportements : pourquoi Marie n’a-t-elle pas réservé d’hôtel pour son ex-mari ? Pourquoi le fait-elle dormir avec le fils de son futur mari ? Quelle est la raison profonde pour laquelle Lucie, l’aînée de Marie, a-t-elle autant de mal à voir sa mère en compagnie masculine ? Pourquoi le couple n’est-il pas synonyme de bonheur ? Est-ce que Samir aime encore son ex-femme ? Le film laisse la liberté au spectateur de répondre à ces questions.
Insidieusement, la proximité instaurée par la caméra nous fait complices des réactions des acteurs, et témoins de leurs expressions. On redoute la manière dont les choses vont se dérouler, ou les accès d’humeur des uns et des autres (notamment celles de Marie pourtant très douce en apparence).
Portés par des acteurs de tous âges charismatiques, on admire leur jeu et leur talent confirmés pour les adultes, et prometteur pour les enfants. Dans les scènes qui semblent évidentes et risquées, notamment celle où Fouad refusant d’avancer en boudant une fois de plus, pose les questions essentielles à son père sur la vie, la mort et l’amour, on salue la performance juste, le message qui nous parvient intact empreint de l’innocence enfantine qui émane du jeune acteur.
L’intrigue est enlevée, tantôt dramatique tantôt tendre, après avoir posé les éléments principaux, elle bascule dans une série de rebondissements, dans laquelle il devient compliqué d’y voir clair. Cette surenchère, qui parait quelque peu superflue est la seule ombre au tableau. Ce détail mis à part, nous notons la montée en puissance et en tension de l’intrigue, l’épaisseur apportée par des acteurs puissants et pour certains transfigurés (notamment Bérénice Béjo), et l’issue de l’histoire qui questionne directement le spectateur.
Un très beau film.
A voir :
Le passé, un film français d’Asghar Farhadi (2h10)