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Des alternatives démocratiques

Par Alaindependant
mercredi 22 mai 2013

Faisant état de réflexions approfondies afin d'élaborer des alternatives à la « démocratie représentative délégataire », Christian Maurel fait « remarquer que, tant au niveau des principes que des possibles et des modes d’action, la question des partis politiques, de leur place et de leur fonction, n’a quasiment jamais été abordée dans les échanges collectifs de l’atelier. Cela signifie-t-il que, dans leur forme actuelle, les partis politiques auraient fait leur temps et qu’ils ne seraient d’aucune utilité dans les alternatives démocratiques avancées ? »

C'est là ce qui apparaît en une sorte de conclusion de toute une élaboration conséquente que, à mon avis, il convient de connaître, sinon de partager largement.

Michel Peyret.

Quelle(s) alternative (s) démocratique (s) à la délégation de pouvoir ?

mardi 14 mai 2013
publié par Christian Maurel


(Principes, possibles, modes d’action)

Nous vivons une grave crise de la démocratie représentative délégataire. Les citoyens se sentent peu ou mal représentés y compris par ceux qu’ils ont pourtant contribué à faire élire. Si, comme le disait Sieyès, « le peuple ne peut parler et ne peut agir que par ses représentants », on peut se demander si ce peuple au sens politique de corps social existe encore ou s’il n’est pas en train d évoluer vers une multitude émiettée dans laquelle les intérêts particuliers priment généralement sur un intérêt général désormais introuvable.

A l’Université Populaire du Pays d’Aix, nous avons fait le pari que la construction d’alternatives démocratiques à la délégation de pouvoir n’était pas que l’affaire de spécialistes du droit politique mais aussi celle de simples citoyens volontairement et librement assemblés. En quelque sorte, nous avons pris le chemin de l’alternative dans la construction d’alternatives, considérant ainsi que les premiers concernés étaient ceux qui n’avaient pas une place de choix dans l’organisation actuelle de la démocratie et que la lumière pouvait venir d’eux, parce que précisément ils étaient ou se sentaient éloignés du pouvoir. Ce travail mensuel commencé en octobre 2012 a donné lieu à des comptes-rendus réguliers. Il prend également la forme d’un abécédaire explicitant les grandes notions, également d’analyses d’expériences qui témoignent que, dans la pratique, les alternatives sont en marche. Il s’agit ici, par cette contribution, de dégager les premiers acquis de la réflexion classés selon trois grandes rubriques : les principes, les possibles et les modes d’action.

I) Les principes.

Nous faisons le choix de commencer par les principes. Ils constituent, en quelque sorte, les éléments structurants d’une science politique embryonnaire. Ils ouvrent sur des possibles alternatifs à ce qui existe et sont appelés à guider la définition de modes d’action. Ces principes concernent les personnes et les pratiques collectives, les deux entrées étant intimement liées. Les voici ici résumés et tels qu’ils ont émergés de la réflexion :

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 s’autoriser individuellement et collectivement à participer activement à la vie de la cité, à produire du droit et à conduire les affaires dans tous les domaines. Est ainsi affirmé le primat de la citoyenneté sur la civilité et le civisme. C’est parce que les individus sont citoyens, c’est-à-dire créent du droit, qu’ils sont les plus à même de le respecter et de le faire respecter (civisme), et de respecter les autres (civilité).

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 mettre l’humain au centre des préoccupations économiques, sociales, environnementales et politiques.

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 comprendre l’histoire qui nous a faits pour en tirer les leçons et ne pas reproduire ses dérives notamment les plus barbares.

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 se connaitre et se transformer soi-même pour comprendre et transformer le monde, et inversement. « Sois le changement que tu voudrais voir advenir » disait Gandhi.

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 changer le monde sans prendre le pouvoir mais en permettant aux individus d’augmenter leur puissance d’agir. Pour cela, passer de la simple protestation à la proposition puis à l’action.

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 passer de la résignation à l’engagement, et trouver les modes d’action qui permettent ce basculement vertueux.

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 se construire une intelligence discutée et partagée des mots : alternative, démocratie, délégation, intérêt général, bien commun, responsabilité, pouvoir, justice, égalité, liberté… (voir l’abécédaire).

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 ne pas aliéner la souveraineté populaire même par le vote démocratique. Le délégant ne se dessaisit pas de ses capacités à penser et à faire, mais autorise que l’on agisse en leur nom.

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 passer de la délégation de pouvoir à la délégation de responsabilité en veillant à ce que cette dernière ne dérive pas vers une prise de pouvoir.

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 penser et mettre en œuvre la démocratie, de la stricte proximité (au pied des immeubles) au mondial (globalité planétaire), le « ici » ne pouvant aller sans le « là-bas ».

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 articuler, dans la pensée et dans les pratiques démocratiques, les approches segmentaires (environnement, cadre de vie, santé, éducation, travail…) et les approches globales (projets de société, droit humains fondamentaux, biens communs…).

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 tendre vers et établir une égalité réelle entre les citoyens (revenu, temps disponible, connaissance, information, compétence au double sens de droit et de capacité à penser, dire et faire…), et ainsi passer d’une société du pouvoir et de la domination de quelques uns à une société de la capacité à penser, à dire et à agir de tous.

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 co-construire le vivre ensemble (définition du politique) par expression, analyse, confrontation des idées plus que des intérêts, proposition et délibération et arbitrage, associant citoyens, techniciens et experts.

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 faire fonctionner la responsabilité démocratique partagée selon une double logique : ascendante dans la définition et la validation des objectifs, projets et programmes ; descendante pour la mise en œuvre et l’évaluation qui vient ainsi éclairer une nouvelle logique ascendante. Ainsi la démocratie se nourrit autant du faire que de la pensée.

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 accompagner tout projet politique d’un volet éducatif et informatif.

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 mettre l’éducation qu’elle soit scolaire ou populaire au service de l’émancipation et pas seulement de l’intégration. L’éducation doit en effet former à la production d’alternatives et à la création de nouveaux droits quand les situations et les règles en cours ne conviennent plus. On fait ainsi le choix d’une démocratie de la connaissance contre « la démocratie des crédules » (Gérald Bronner, PUF, 2013), ce qui renvoie à ce qu’écrivait Condorcet en 1792 dans son rapport sur l’instruction publique : « Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaines auraient été brisées, en vain ces opinions de commandes seraient d’utiles vérités, le genre humain n’en serait pas moins partagé en deux classes : celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves ».

II) Les possibles.

Dans les échanges en atelier, il est apparu que l’idéal, même quand il se présente comme utopique, doit venir bousculer le réel pour pouvoir ouvrir des possibles. « Pour atteindre le possible, il faut viser l’impossible. Ceux qui n’en sont restés qu’au possible n’ont jamais avancé d’un seul pas » disait Bakounine. Ainsi, il s’est dégagé ce qui suit :

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 redonner un statut et une fonction politiques à l’utopie, comme le firent de nombreux penseurs, de Thomas More à Babeuf, au sens de source des possibles, de creuset d’idées directrices et régulatrices au service de pratiques alternatives, même si elles ne sont encore d’aucun temps et ni d’aucun lieu.

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 croire en la possibilité d’alternatives démocratiques tant concrètement qu’intellectuellement et en créer les conditions. Pour cela, faudra-t-il, encore et toujours, employer le mot de démocratie définie comme le pouvoir du peuple, ou créer de nouveaux langages renvoyant à de nouvelles manières de faire société dans lesquelles le peuple deviendrait multitude de subjectivités agissantes et où le pouvoir se transformerait en capacité à coopérer ?

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 penser et faire société autrement en passant d’un pouvoir pyramidal à des modes d’organisation et des manières de faire horizontales, transversales, coopératives.

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 passer ainsi d’une société du « pouvoir sur » (domination et contrainte) à une société du « pouvoir de » (puissance individuelle et collective d’agir).

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 changer de société et ne pas se limiter à changer la société.

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 s’appuyer sur les expériences alternatives de terrain, souvent guidées par une forme d’utopie pragmatiste, pour imaginer des possibles alternatifs à ce qui existe. A titre d’exemples : l’économie sociale et solidaire ; une école de la coopération, du débat contradictoire, du politique, de l’autonomie ; une éducation populaire tout au long de la vie, porteuse de conscience de soi, des autres et du monde, de co-construction des savoirs utiles au bien vivre et à la capacité d’agir pour y parvenir.

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 passer des biens qui aliènent aux liens qui libèrent.

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 passer de la gouvernance qui, comme le disait l’économiste Alain Marchand, n’est souvent que du « néo-despotisme éclairé », à la démocratie réelle.

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 ouvrir des espaces de liberté où chacun puisse s’exprimer, analyser, proposer, délibérer, construire une intelligence collective au service de l’engagement.

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 donner sens à ce qui préoccupe les gens là où ils vivent (approche segmentaire) en lien avec ce qui se pense, est proposé et expérimenté ailleurs dans les autres espaces de la planète.

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 construire les savoirs des possibles démocratiques expérimentés quelque part pour pouvoir ensuite en faire des possibles pour ailleurs. Faut-il créer une « science analytique et critique » des pratiques alternatives ?

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 reconsidérer l’anarchie non comme désordre où règnerait la loi du plus fort mais comme absence de pouvoir et comme forme la plus élaborée et la plus participative de la démocratie.

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 considérer et fertiliser les possibles d’un monde nouveau en gestation dans l’ancien.

III) Les modes d’action.

La construction d’alternatives démocratiques à la délégation de pouvoir ne peut aboutir sans la mise en place, pour y parvenir, d’un processus alternatif à celui qui existe. C’est ce que nous appelons « l’alternative dans l’alternative ». Voici donc les propositions qui se sont dégagées tant sur la configuration des alternatives que sur les manières d’y parvenir.

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 laisser une large place à notre imaginaire social, culturel et politique (ce que l’on rêve, souhaite, projette…) pour pouvoir produire collectivement du sens et des possibles.

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 ne négliger aucun niveau où les alternatives démocratiques peuvent prendre forme et avoir leur efficience (local, régional, national, international, global…).

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 partir de ce qui affecte les gens, les préoccupe, fait problème là où ils vivent, leur permet de faire des propositions et de se mettre en action, pour ensuite passer du particulier (ce qui renvoie aux personnes) et du segmentaire (l’emploi, la sécurité, la santé, l’éducation…) au global (cohérence d’un projet politique et de société). Aller ainsi de la parole individuelle à des propositions collectives, voire universelles.

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 s’appuyer sur les expériences alternatives de terrain dans les différents domaines (économie solidaire, AMAP, jardins partagés, pédagogies actives, mouvements sociaux, collectifs et associations d’habitants, démocraties locales participatives…) pour construire et donner sens à des propositions alternatives étendues. Ainsi la pratique (expériences alternatives) peut et doit nourrir la réflexion théorique (ouverture de possibles) qui à son tour peut et doit inspirer de nouvelles pratiques.

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 mener de front deux démarches :

* élaborer les éléments (principes, possibles, analyse des résistances, règlementations…) d’une alternative (ce qui relève de la pensée).

* construire et conduire les procédures qui produisent et conduisent à l’alternative (ce qui relève de l’action).

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 mettre en place et/ou exiger l’organisation d’Etats Généraux de la transformation sociale et politique qui, à partir de cahiers de doléances, de revendication et de propositions, conduiraient à une assemblée constituante, à une charte/déclaration des biens communs et droits humains fondamentaux, et à une nouvelle législation démocratique ( délégation de responsabilité, instances délibérantes, désignation et conditions de révocabilité, relations responsables mandatés/citoyens…)

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 envisager que l’assemblée constituante puisse représenter les grandes forces du corps social portant leurs doléances et propositions : les entreprises, les services publics, les syndicats, les associations et collectifs d’habitants, les citoyens dans leur diversité. La désignation des responsables mandatés pourrait se faire par tirage au sort sur une liste de personnes volontaires.

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 concevoir et expérimenter un principe qui vaut tant pour l’alternative démocratique que pour le processus y conduisant : les citoyens construisent, délibèrent, arbitrent et décident sur les projets, tant globaux que sectoriels, par vote ou par accord consensuel ; mais on désigne et mandate les responsables de la mise en œuvre par tirage au sort et avec possibilité de révocation. La relation entre les citoyens et les délégués responsables passe ainsi par une mise en tension de deux légitimités : la démocratie délégataire appuyée sur le volontariat et le tirage au sort, la démocratie directe du débat contradictoire et de la proposition collective sanctionnée par le vote.

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 mettre en place les conditions d’une démocratie réelle et active par une auto-éducation politique des citoyens tout au long de la vie, par une facilitation matérielle et intellectuelle (revenu minimum d’autonomie, accès égal à l’information et au savoir, créativité et compétences à s’exprimer et à proposer…), par l’élaboration progressive, appuyée sur l’intelligence et l’expérience, d’une nouvelle « science politique ».

Il est à remarquer que, tant au niveau des principes que des possibles et des modes d’action, la question des partis politiques, de leur place et de leur fonction, n’a quasiment jamais été abordée dans les échanges collectifs de l’atelier. Cela signifie-t-il que, dans leur forme actuelle, les partis politiques auraient fait leur temps et qu’ils ne seraient d’aucune utilité dans les alternatives démocratiques avancées ?


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