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Trance

Par Thibaut_fleuret @Thibaut_Fleuret

Trance

Danny Boyle fait tout pour décontenancer son spectateur. Entre prises de drogues, attaques de zombies (ou plutôt d’infectés), voyages en Inde ou dans un parc naturel aux Etats-Unis, on ne sait jamais dans quel lieu et avec quels protagonistes, le cinéaste britannique va nous emmener. Trance s’inscrit naturellement dans cette logique avec une géographie et un point de départ toujours différents.

Après quelques échappées internationales qui lui ont permis de connaître un succès aux limites de l’inespéré (quand même, Slumdog Millionaire méritait-il toute cette avalanche de récompenses ?), Danny Boyle revient en Angleterre pour s’immiscer dans le milieu très fermé du commerce d’art. Néanmoins, ce n’est pas la plongée dans cette sphère particulière qui va intéresser le réalisateur. Dès l’introduction, le spectateur va se retrouver au cœur d’un film de genre à base de vol et de voyous. De là à dire que nous sommes devant un thriller pur et dur, il n’y a qu’un pas qu’il ne faut pas toujours franchir. En effet, Trance va davantage s’intéresser à une posture mentale propre à un seul personnage interprété par un James McAvoy qui va livrer une excellente prestation, il faut le signaler, qu’à un enchainement de situations et de rebondissements spectaculaires qui font monter la tension. En un quart d’heure, tout est réglé comme du papier à musique dans une simplicité bien linéaire. Simon va nous montrer de quelle manière il faut agir pour protéger une toile de maitre. Puis, c’est le piège initié par un Vincent Cassel très à l’aise dans la peau du bad guy qui va se refermer sur notre héros. Enfin, pour récupérer le bien volé car, forcément, tout ne va pas se passer selon le plan initial, une psychiatre va devoir entrer en jeu. Commence alors une thérapie où tout le monde va participer mais dont personne ne va sortir indemne. Ni les personnages, ni le spectateur. Et c’est par le cas de ce dernier qu’il faut commencer. Les détracteurs de Danny Boyle sont légions et, à chaque vision de l’un de ses films, ils ne lésinent pas sur les qualificatifs négatifs. Plus que dans le fond – certains diront que, de toute façon, il n’a rien à dire – la faute en revient majoritairement à une réalisation parfois trop nerveuse qui à tendance à piquer les yeux, les oreilles et les connexions neuronales. Finalement, ce métrage était un film naturellement tout tracé pour le cinéaste. Pourtant, cette dernière livraison ne va pas échapper à la querelle. Pire, il va réussir à se mettre tout le monde à dos.

Que l’on apprécie la démarche de Danny Boyle – oui, il y en a quelques-uns – ou non, force est de constater que le réalisateur propose à une réelle patte cinématographique qui fait sens à l’aube de l’intégralité de sa filmographie. Les points communs sont nombreux et, surtout, il arrive à les mettre en place sur des objets aux apparences bien différentes. Ce nouveau projet ne va, bien entendu, pas déroger à la règle. Le spectateur va donc retrouver les éléments inhérents à un cinéma de l’excès et quelques belles pièces formelles sont à signaler. Ainsi, il existe une scénographie tout à fait intéressante à l’intérieur même de certains plans et un jeu sur la colorimétrie agressant sans le moindre doute les rétines mais qui peut arriver à émerveiller. La scène de la fusillade finale dans l’appartement de Vincent Cassel, les moments dans une sorte de bar industriel sombre sont autant de séquences travaillées et non dénuées d’intérêt. Elles ouvrent clairement sur la folie et le mystère de l’ensemble des personnages. Le métrage convoque un certain trouble, cette volonté est claire. Parfois, le réalisateur sait même se faire réellement calme avec la construction de la relation entre le patient et la psychiatre. C’est un véritable miracle tant le cinéaste ne nous avait pas habitué à cela depuis pas mal de temps. Cependant, pour cette dernière donnée, il ne faudrait pas aller trop en vite en besogne. Et paradoxalement une prise de conscience du fait qu’il ne faut pas faire la fine bouche devant un tel cinéma que l’on sait excessif est également à prendre en compte. Ces instants restent rares, peut-être tellement rares qu’ils sont à apprécier à leur juste valeur. C’est à ce moment précis que Trance se fait le plus humain. On se dit alors que le cinéaste va mixer les ambiances, l’introduction étant nerveuse, le début de la thérapie arrivant finalement très vite et que le projet ne va pas virer à l’exercice de style gratuit. Ajoutons à cela une idée de montage ingénieuse par glissement qui montre, certes avec facilité mais néanmoins avec cohérence, le basculement entre deux états, la porosité de deux mondes distincts et un travail sonore efficace au demeurant habituel chez le réalisateur et le spectateur pourrait se dire qu’il est dans le top de Danny Boyle.

Hélas, ces éléments positifs ne sont pas suffisamment nombreux pour emporter globalement l’adhésion. En effet, Trance peut, également, se voir comme un gloubi-boulga foutrement indigeste de ce que peut faire de pire Danny Boyle. Même si des qualités sont présentes la mise en scène, en fait, tourne en rond. Les instants intéressants ne sont qu’à prendre individuellement tant ils ne s’intègrent pas dans l’intégralité du métrage. Le système boylien est complètement cadenassé dans son corps même et c’est peut-être bien la première fois que cela lui arrive. Les termes clippesque, MTV, épileptique ont largement été usités pour qualifier le cinéma du réalisateur britannique. Ici, tout est à son paroxysme. De l’excès, on passe à l’outrage. Pourtant, cela aurait pu être pour le meilleur. C’est, pourtant, tout l’inverse qui se produit. La faute en revient à un scénario indigent et indigne d’une telle production. Creux et auréolé de retournements de situation grotesques (l’explication finale est d’une facilité ridicule), l’histoire n’en finit plus de se replier sur elle-même. Il n’y alors plus de lien pour que la forme puisse se trouver une réelle constitution. Pour que le spectateur arrive à trouver un intérêt, le réalisateur joue alors sur les flash-backs, sur la répétition d’images et sur la contamination entre le mental (la transe en elle-même) et le réel. Or, si tout ceci pourrait trouver une résonance par une imbrication physique du spectateur dans la « thérapie », Trance devenant une transe en quelque sorte, c’est un beau coup d’épée dans l’eau auquel nous assistons. Le sentiment de gratuité, en effet, l’emporte de façon manifeste car les artifices sont d’une lourdeur pachydermique. A un moment, ça va, on a compris, pas besoin de sur-étaler les images, surtout si c’est pour palier à l’absence d’écriture. Par ailleurs, et dans le prolongement de cette possibilité de veine « transcendantale », le métrage aurait pu aller aux confins de l’abstraction, devenir une pure œuvre formelle, malaxer nos codes de représentation cinématographique. Mais là aussi, le bât blesse. Danny Boyle n’est pas un formidable théoricien. L’abstrait n’est pas dénué d’émotion et cela, le réalisateur l’a un peu trop vite oublié. Surtout, il faut que de la beauté se dégage. Ici, mise à part les quelques éléments sus-cités, ce serait davantage une esthétique de la laideur qui s’ouvre sous nos yeux mais qui ne trouve de parangon nulle part. La réalisation n’a, alors, plus aucune signification. Au lieu de penser son projet, il livre, globalement, une accumulation, un catalogue, un listing presque exhaustif de ce qu’il sait faire et qui devient, bien évidemment, dérangeant non seulement pour le spectateur (comment ça, je suis pris pour un crétin ?) mais également pour son instigateur (où est passé le cinéma de Danny Boyle ?).

C’est d’ailleurs à ce seul niveau que le métrage peut réellement déranger tant le reste n’est que fausse provocation. Car oui, Trance veut provoquer son spectateur en le décontenançant par le sujet même mais aussi par certains actes de violence. L’un et l’autre ne sont d’ailleurs pas incompatibles. Qui sait ce qui se passe réellement dans un cerveau humain et ce qu’il peut commander ? A ce titre, si l’on peut retenir une petite scène de torture qui envoie un certain malaise, ce n’est pas au niveau de la plongé dans la psyché humaine qu’il va falloir aller chercher du trouble. Pourtant, quoi de mieux que le cerveau et ses multiples possibilités (ne dit-on pas vulgairement que l’homme ne maitrise que 10 % de son propre organe) pour inverser les tendances, prendre à rebrousse-poil, multiplier les carrefours ? Dans l’absolu, rien. Le nerf du film, la matrice essentielle, l’élément par qui tous les événements sont connectés : voilà ce qu’aurait dû être le poids filmique de ce cerveau. A ce niveau, Trance aurait pu se construire une identité qui, non seulement, questionne mais surtout bastonne les croyances du spectateur. Ce dernier se serait recroquevillé dans son fauteuil de malaise devant tant d’incertitudes. Bien entendu, le cinéaste ne va pas aller chercher plus que le bout de son image vide de sens et de son montage matraqué. On n’ose imaginer ce que, par exemple, David Cronenberg, notamment de la première période, aurait fait d’un tel sujet. Danny Boyle va, alors, proposé d’autres tours pour enrichir les données psychiques d’un film qui, au-delà de sa volonté de complexité apparente, ne fait que jouer sur la simplicité d’aller / retour entre deux stades mais surtout pour rattraper ses manquements. C’est la scène de nu d’une Rosario Dawson étonnement « compréhensive » qui ne sert à rien (elle aura bien une explication mais celle-ci sera d’une bien belle vacuité) et qui est filmée platement, c’est la description d’une passion amoureuse à la violence certaine qui est traité en cinq minutes montre en main au cours d’un discours final que n’aurait pas renié tout un pan du cinéma américain commercial et consensuel et c’est….Et c’est quoi d’autre ? Bah, plus rien.

Tout ça pour ça. Tel pourrait être la tagline de Trance tant le métrage n’a rien a proposer de réellement digeste. A coup sûr, ceux qui dénigrent le cinéma de Danny Boyle vont trouver du grain à moudre sur cette production. Ils auraient bien tort de se priver. Trance est, sans doute, le plus mauvais film du réalisateur anglais.


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