Magazine Amérique latine
Hier, c'était le 22 mai, or le 22 mai n'est pas n'importe quelle date : en 1810, ce fut le jour où se tint un Cabildo Abierto un peu spécial, pour savoir ce qu'il convenait de faire devant la chute de la Junta de Séville intervenue au début de l'année, à cause de l'avancée des troupes impériales dans une Espagne peu à peu conquise par Joseph Bonaparte. Ce Cabildo Abierto fut cette année-là la grande réunion des notables de Buenos Aires et de ses environs qui décida de mettre en place, comme en Espagne, un gouvernement collégial, qu'on appelle Junta, pour remplacer le vice-roi... Lequel avait réussi à s'octroyer une place dans celle-ci, provoquant la colère du peuple que son statut social excluait des délibérations mais qui ne s'en laissait pas compter pour autant (voir mon article du 22 mai 2010 au sujet de cette journée historique).
C'est à quoi fait allusion aujourd'hui le dessin que Miguel Rep, fidèle à sa ligne anti-raciste, publie dans Página/12 (au pied de la page d'accueil du site Internet du quotidien). Beau dessin que je dédie à ces rares Européens que je vois faire la moue lorsque je parle, sur les salons ou dans mes conférences, des racines noires du tango argentin. Que certains Argentins se tiennent encore et toujours dans le déni de cette réalité sociologique et historique de leur propre passé, cela les regarde (et cela ne les grandit pas) mais que nous, Européens, nous ayons le front de nier la présence d'esclaves te donc de descendants d'esclaves sur ces territoires alors que ce sont nos armateurs qui les y ont déportés (ce à quoi nous devons ce patrimoine architecturale que constituent les magnifiques façades des quais de Bordeaux et de Nantes), c'est un comble, dans un pays, la France, qui se veut le berceau des droits de l'homme !
Le petit garçon (1) : Père. C'est quoi, l'Espagne ? C'est quoi, un Cabildo ? C'est quoi, la Révolution ? "Libre", ça veut dire quoi ? (Traduction Denise Anne Clavilier)
En contrebas de la scène, on aperçoit le Cabildo de Buenos Aires, dans son état de 1810, et sans doute ce qui évoque la silhouette de l'église San Ignacio, situé dans l'un des angles de la Manzana de las Luces. Le Cabildo, qui a perdu plusieurs de ses arches, est devenu le Musée de la Révolution de Mai et tout comme la Manzana de las Luces, il fait partie du programme du voyage culturel que je vous propose actuellement avec l'agence française Human Trip (www.humantrip.fr), qui travaille dans l'optique de l'économie durable et équitable (voir mon article du 24 septembre 2012 sur cette partie du séjour).
Pour aller plus loin sur l'événement : lire le communiqué officiel sur la relève de la garde au Cabildo hier, où le Régiment de Patricios mène cette cérémonie du souvenir (c'est en effet ce régiment, qui s'était illustré dans la reconquête de Buenos Aires contre les Britanniques en 1806 et 1807 qui assura la sécurité du Cabildo, sous les ordres de Cornelio de Saavedra, le 22 mai 1810).
(1) Et encore, la scène est largement idéalisée avec cette famille tranquille et oisive parfaitement équilibrée entre père et mère, fils et fille, sans oublier le petit chien... La plupart du temps, les enfants d'esclaves n'avaient aucune relation éducative avec leur père, qui n'était pas toujours connu comme tel et qui vivait rarement avec la mère. On le voit d'ailleurs dans les petites annonces de vente d'esclaves, que les propriétaires faisaient paraître dans la dernière page de La Gazeta del Gobierno de Buenos Aires entre 1810 et 1821. Pour notre sensibilité contemporaine, elles sont terribles, ces petites annonces d'il y a deux cents ans...