« L’art est un acte de violence, il a à voir avec notre subconscient et je ne réfléchis pas au pourquoi de mes films. Mon approche est celle d’un pornocrate qui met en scène ce qui l’excite, mais je ne suis pas quelqu’un de violent ».
En salle depuis mercredi et en compétition à Cannes, « Only God Forgives » n’est pas le dernier film avec Ryan Gosling par le réalisateur de « Drive », mais le dernier film de Nicolas Winding Refn avec Ryan Gosling…
Si « Drive » a eu le succès (surestimé) qu’on lui connait, c’est surtout grâce à son réalisateur, qui a été capable de sublimer un script sympathique au point d’ amener un film d’action à Cannes pour repartir avec le prix de la mise en scène.
Pour la première fois Refn n’écrivait pas le scénario et se concentrait uniquement sur la réalisation, ce qui n’est heureusement pas le cas d’« Only God Forgives ». Retour aux sources donc, avec un budget réduit cette fois pour le cinéaste Danois qui risque de perdre les amateurs de son dernier succès populaire, mais récupérera certainement ses fans de la première heure.
Le film prend lieu à Bangkok et nous conte l’histoire du gérant d’un club de boxe (Julian) qui verra son frère assassiné après que celui-ci ait sauvagement tué une jeune prostituée. La mère arrivera aussitôt, enclenchant une vendetta pour venger la mort de son fils… Du moins c’est ce qui nous est vendu grossièrement sur le papier. Le film est plus subtil et se laisse approcher pour qui le veut, de façon maligne et mystérieuse.
On aura souvent entendu parler de complexe d’Oedipe, de tragédie grecque, d’un combat contre Dieu concernant le film. Et c’est l’idée principale de Refn: le parcours d’un homme qui voulait se confronter au tout-puissant. Car le coupable de la mort du frère (on le sait dés le début) n’est autre qu’un policier intouchable, image du justicier, qui tranchera le bien et le mal. La mère de Julian, Crystal n’aura donc plus qu’une idée en tête: envoyer Julian, ou qui que ce soit pour venger la mort son défunt fils.
Si tout cela parait classique et abordable de prime abord, le film se révèle bien plus chaotique et pesant qu’il n’y paraît. Le réalisateur revient sur son thème le plus cher, à savoir la violence et les êtres qui y sont confrontés plus ou moins malgré eux. S’ajoute un mysticisme déjà présent dans « Valhalla Rising » qu’il avait auparavant raté avec « Inside Job ». Et si l’hommage à Lynch était foireux dans ce dernier, il est ici bien présent et sublimé. Les influences se font ressentir d’une manière forte et semble-t-il, assumées. Aussi on pense à Kubrick, de par le cadrage, et c’est sûrement dû à la présence de Larry Smith, chef opérateur surdoué de « Barry Lindon », « Shining » et « Eyes Wide Shut »… Au niveau de l’éclairage rouge sang, parfois bleu, on pense également à Gaspar Noé, proche du réalisateur qui lui demanda conseil sur comment exploser une tête à coups de pieds dans « Drive ». Mais sous tous ces hommages on retrouve surtout le réalisateur de « Pusher » dans son style le plus brut.
Le film est donc porté par une mise en scène sublime et des comédiens dégageants une aura à l’image de celui-ci. Le Dieu en question est incarné par un comédien aussi magnétique qu’inédit: Vithaya Pansringarm. Justicier mutique comme souvent chez Refn, dont émane une force, une sagesse et un charisme hors du commun qui, entre deux massacres brillera dans un karaoké fantasmé devant ses prosélytes. De cet homme se dégage un karma, une idée de la justice et un rapport peu communs au héros, de qui peut juger ce qui est bien ou mal.
Il sera remis en question par une arriviste, supposée maîtresse du crime dans son pays qui
Si Ryan Gosling n’a lui, rien d’exubérant, il rappelle dans son mutisme le justicier thaïlandais, si bien qu’on en confond le bien et le mal. Protagoniste soumis et impuissant aussi bien au niveau physique que sexuel, Ryan est un ovni. Il ne place pas plus de trois lignes de dialogues, ne semble avoir aucune expression et pourtant il jouit lui aussi d’une aura impressionnante. Comme pour « Drive », le personnage reste souvent muet et on est à nouveau face à ce mystère: pourquoi ça marche? En faisant le moins il dégage le plus et ce charisme de pierre qu’on aimerait détruire, reste irréprochable. Ses expressions faciales sont si rares que le moindre mouvement, au millimètre près laisse paraître une effervescence intérieure bouillonnante.
Il est donc le personnage principal, mais surtout le faire-valoir d’une entreprise qui l’englobe de façon permanente et dont il n’est qu’un spectateur vulnérable, comme nous, contraint de rester jusqu’à la chute.
Ce triangle de personnage s’articule au milieu d’un décor souvent désert, comme les rares dialogues du film recouvert d’une B.O omniprésente.
Toujours signée Cliff Martinez (ancien batteur des Red Hot Chilli Peppers) on est cette fois rassuré car elle ne comprend aucun hit commercial que l’on devra supporter tout l’été à l’image de « Drive ». L’ambiance musicale est un personnage clé du film, apportant à ses images une dimension abyssale et collant parfaitement à l’univers néo-gore, proche des classique du film de genre des années 80.
Voilà donc une œuvre qui ne laissera certainement pas de marbre, de par sa violence et ses choix radicaux, aussi bien au niveau de la mise en scène que sur le plan psychologique. Le film qui devait parler de boxe devient un western tournant au complexe d’Oedipe, puis la recherche d’une idéologie flirtant toujours avec l’expérimental pour finir par nous plonger dans une confusion salvatrice.
Pour celui qui connait la violence, « Only God Forgives » est un sommet de justesse car se battre, comme l’amour, implique la peur, le désir et l’inconnu.
Pour finir, il s’achève sur une dédicace à un autre grand cinéaste présent à Cannes cette année et qui présente son dernier film à la « Quinzaine des réalisateurs » le trop rare Alejandro Jodorowsky, proche du réal qui dit à propos de ce dernier:
« Le cinéma est arrivé à un état décevant, en pleine dégénération industrielle, avec cette pulpe, ce cancer qu’est le cinéma américain qui a infecté la planète entière (…) des tas d’excréments spirituels.Alors quand tout d’un coup, quand on a perdu tout espoir et qu’on voit que tous les films sont éclairés pareils… avec ce dégénéré de Spielberg. Quand dans ce monde là on trouve un artiste qui peut survivre et qui malgré qu’il doit gagner sa vie dans son métier, reste pur, c’est un moment de joie suprême… Ce garçon: Nicolas, m’a sauvé de ma dépression cinématographique. »
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