Auxeméry publie ici un important travail autour de Carl Rakosi, poète américain trop peu traduit en français. En raison de l'importance et de la longueur des trois ensembles qui composent ce dossier, Poezibao les propose en fichier PDF, facilement enregistrables ou imprimables, et que l'on ouvre d'un simple clic.
Carl Rakosi, mort centenaire, fut le dernier représentant de
ce groupement de poètes connu sous l’appellation d’Objectivistes, et si son
œuvre, parmi ceux-ci, est une des plus minces, elle n’en est peut-être pas la
moins dense ; de plus, cet homme a montré qu’au regard de ces
dénominations passées dans le domaine historique et des maîtres qui l’ont
formé, il avait su conserver un esprit critique aiguisé, voire mordant. Un
esprit libre, essentiellement, et parfaitement conscient des enjeux, ainsi que
de ses propres éventuelles faiblesses ou vertus d’écrivain. Un maître de
l’épigramme, avant tout – un œil d’une pénétrante vivacité, accordé à une voix
sans grain, très précise, très saine, de cette grande santé qui se communique.
Bref, un esprit sachant peser ce qui importe, sachant chiffrer et
déchiffrer : adepte d’une facture à la ligne claire, et doué de cette
vertu simple qui consiste à ne pas perdre son temps aux complaisances.
Né à Berlin en 1903, il passa néanmoins une partie de son enfance en Hongrie
jusqu’en 1910, auprès d’une mère dont le souvenir ne lui fut pas très
agréable ; son père et sa belle-mère avaient émigré aux États-Unis :
celui-là exerça la profession d’horloger-bijoutier, d’abord à Chicago, puis
dans une petite ville de l’Indiana. Malgré la modestie de ses revenus, la
famille parvint à envoyer le jeune garçon à l’Université (Chicago, puis
Wisconsin-Madison), où il commença à écrire, en alternant études (en
psychologie, en particulier) et activité professionnelle (dans l’assistance
sociale). Fatigué de voir son patronyme d’origine écorché par les gosiers de
ses nouveaux compatriotes, il prit le nom de Callman Rawley (permettant une
intégration et une recherche d’emploi plus faciles, selon lui), gardant
l’ancien nom, celui du Vieux Monde, pour ses rares publications. Pendant un
temps, il fut psychologue et enseignant, mais revint à l’assistance sociale
jusqu’à sa retraite.
Cette remarquable biographie offre l’avantage d’une franche (et d’autant plus
intense, s’il se peut) banalité, mais aussi d’une représentativité
singulière : elle décrit l’itinéraire d’un homme du commun de
l’immigration dans le (prétendu) melting
pot américain ; elle offre le substrat idéalement plat pour le destin d’un
poète discret, et cependant profondément engagé. Elle illustre assez ce qu’on
pourrait appeler le conflit des nécessités, auquel tout un chacun peut être
soumis : celle de l’expression et de la réalisation personnelles (et plus
généralement de la culture) et celle de l’action dans la communauté (et plus
précisément, de l’engagement politique). Elle est également celle d’un homme de
qualité, que le souci de la futilité ne tarauda jamais. Celle d’un poète
extrêmement rigoureux, sous ses airs de légèreté : il suffit d’avoir en
mémoire ce salut à l’ami disparu, George Oppen : « Adieu, gentle
friend. » Tout Rakosi est dans cette adresse – peu de mots, densité
maximale.
[Auxeméry, avril 2013]
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