Denis Rigal vient de publier Terrestres, aux éditions Le Bruit du temps. On peut lire ici
la note de lecture de ce livre par Henri Droguet.
Plus au nord, le ciel est un mur blanchâtre, un pan de neige sale ou une sorte
d’enduit, un fond préparé pour un tableau à peine esquissé, oublié par l’artiste.
On pourrait, on devrait peut-être, le suppléer : ajouter des silhouettes
humaines, des arbres, des animaux gracieux, un oiseau-lyre, et puis attendre
innocemment le souffle.
Mais c’est ailleurs que nous allons : nous filons empressés aux occidents
irrémédiables, à ce qui reste du brasier passionnel où il nous plaît de situer notre
origine. C’est ce féroce tourbillonnant courroux qui nous engendra et maintenant
s’enroule et aspire, entonnoir de lumière avec au centre une tache immobile et
neutre, un cyclone-cyclope qui nous engloutit. Au-dessous, partis de terre,
ayant traîné dans la boue, des nuages en torches qui lentement s’élèvent,
fuligineux flambeaux éteints.
Ce qui restait de votre sagesse, qu’en
avez-vous sauvé ?
Que la nuit jamais ne tombe : elle monte de la terre abandonnée ;
elle monte, et vous tombez.
○
Des yeux pâles dans le visage mâchuré, un regard sorti de terre, et leurs mains
trop fortes, craignant de briser, qui présentaient des fougères, des feuilles
réduites à leur squelette gravé noir su noir, découvertes au fragile hasard des
clivages ; montraient ces souvenirs d’un temps où n’était personne qui pût
se souvenir, ces preuves qu’ils avaient traversé tout ce sommeil fossile, creusé
l’immense oubli.
Au fond la houille les attendait, luisait d’une clarté muette, comme d’un orage
apaisé, un en-deçà de la lumière, une épaule avant l’aube devinée, un murmure,
comme la nuit murmure, avant le jour, au jour qu’elle a porté.
Ils se retournaient dans leur histoire, imaginaient des voix, l’écho de voix
dans des futaies inconnaissables, des pas, une longue attente ; ils peuplaient
de figures des contrées aurorales dont il ne reste que leurs rêves ; à
bout de songe, ils s’endormaient.
○
Bleu
Les dunes berçantes, les éperons barrés, arméries et panicauts, et au-delà, d’autres
lointains où toutes couleurs se distillent, s’affinent en un unique bleu
tremblé, une profondeur transparente qu’il faudra garder présente aux yeux, le
moment venu. Maintenant déjà, elle apaise : le soleil brille ailleurs,
loin derrière ; on voit que sa lumière s’adoucit à traverser cette vapeur,
à baigner cette distance, comme s’il était rêvable qu’un souffle s’élevât, une
fraîcheur, une innocence au bord des continents massifs, des vieilles îles
assaillies et de l’avant-pays dès longtemps renoncé que l’azur indolore dissout
et que le vent disperse.
Denis Rigal, Terrestres, Le Bruit du
Temps, 2013, p 52 à 53.
Bio-bibliographie de Denis Rigal, ext. 1, note
de lecture de Terrestres par
Henri Droguet.