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Mai 68 aux enchères

Publié le 21 avril 2008 par Savatier

 Alors que la BNF expose des œuvres d’Honoré Daumier, qui éleva la caricature, notamment politique, au niveau de l’art, diverses manifestations s’organisent autour de la célébration de Mai 68. Y eut-il un « art de Mai » ? Deux ventes publiques se sont chargées de répondre à cette question. La première, organisée à Drouot par l’Etude Camard et associés le 5 avril dernier, proposait aux enchères 228 lots d’affiches (adjugés de 100 à 3900 €). L’autre, qui aura lieu le 23 avril chez Artcurial, intitulée Mai 68 en mouvement s’intéresse à la fois aux affiches, tracts, revues, photographies, œuvres d’artistes (Alechinsky, Matta, etc.) et livres, autour de divers mouvements (Situationnisme, Lettrisme, Cobra, Happening et Fluxus). Elle comprend 618 lots. Les catalogues, disponibles en format électronique sur les sites Internet des deux maisons de vente, satisferont les curieux grâce à une assez abondante iconographie.

Ce n’était pas la première fois, en mai 68, que les murs de Paris et des villes de province se couvraient d’affiches. Cependant, aucune période de l’histoire ne connut une telle effervescence créatrice, dont précisément les affiches furent le support principal. Réalisées en particulier aux Arts déco et à l’Ecole des Beaux-arts, toutes ne furent pas placardées sur les murs. Pressentant qu’elles témoigneraient d’un mouvement esthétique autant que politique ou flairant la (future) bonne affaire, collectionneurs et petits malins se rendaient régulièrement dans les ateliers pour en retirer et… les conserver chez eux.

Si l’on exclut quelques très rares lithographies d’artistes comme Miro, qui en réalisèrent

pour être vendues au profit des étudiants, la quasi-totalité de la production fut tirée en sérigraphie. Cette technique rapide et peu coûteuse, déjà utilisée par Andy Warhol outre-Atlantique, restait quasi inconnue en France. C’est Guy de Rougemont qui l’introduisit à « l’Atelier populaire, ex-Ecole des Beaux-arts », a priori vers la mi-mai. Le stock d’encre et de papier fut mis à contribution, mais la fabrication fut si intense qu’il fallut aussi utiliser des moyens de fortune, ce qui explique la mauvaise qualité de certains supports et l’emploi de couleurs parfois inattendues.

Quelques peintres de renom (notamment issus de la Figuration narrative) comme Guy Fromager ou Eduardo Arroyo apportèrent leur concours, mais la plupart des affiches restèrent anonymes. Le « style 68 » se caractérise par une grande simplicité : l’utilisation de la mono ou de la bichromie, des dessins assez basiques, en aplats, souvent agrémentés de textes courts et percutants. Si l’humour et la dérision y avaient leur part, d’autres se limitaient à des messages factuels, sans compter quelques slogans imbéciles comme le célèbre « CRS-SS » ou la comparaison du général de Gaulle à Hitler. Certaines affiches, enfin, ne reproduisaient que des textes bruts, se rapprochant ainsi des graffitis dont étaient couverts les murs.

Les thématiques abordées concernaient essentiellement la critique de la police, des media, du pouvoir en place, de la bourgeoisie et du capitalisme, ainsi qu’un certain nombre de revendications sociales. Rares étaient les messages délibérément utopiques auxquels on aurait pu s’attendre ; quant aux affiches évoquant la liberté sexuelle et la libération des femmes, on peine à en trouver dans une production pourtant très abondante. Il serait intéressant d’analyser les causes de cette absence. Une lithographie, choisie par Artcurial pour la couverture de son catalogue, fournit peut-être un élément de réponse : intitulée Mai, elle représente une femme nue aux formes généreuses, le mot « Mai » figurant la pilosité de son sexe mais cette femme est… dépourvue de tête. La révolution n’était pourtant pas qu’une affaire d’hommes.

Si Mai 68 contribua à faire évoluer la société en favorisant la régression de la censure, donc une plus grande liberté d’expression des artistes, notamment dans le domaine de l’érotisme, force est de constater que les préoccupations politiques l’emportaient – à tout le moins sur les affiches – sur le souci de la liberté des mœurs.

Avec le recul dont nous disposons, certains slogans lancés par les acteurs du mouvement ne manquent pas d’ironie, sinon de cruauté, tel « Contre le vedettariat » ou « Vaincre le capitalisme » qui

résonnent comme un rappel à quelques ex-soixante-huitards hyper-médiatisés ou capitaines d’industrie…

Les artistes qui dessinèrent et tirèrent leurs affiches dans les « ateliers libres » ne se doutaient sans doute pas qu’elles finiraient, quarante ans plus tard dans des musées ou des collections. Ils faisaient de l’art supposé éphémère. Mais ce qu’ils n’avaient certainement pas imaginé, c’est que cet art deviendrait, sous le feu des enchères, un objet de spéculation.


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