« Le punk c’est la manière moderne de jouer le blues
quand on est blanc et qu’on habite une cité industrielle. »
(Gagou, Haine Brigade)
Hier soir, rentrant de réunion politique à Montreuil, je tombai sur Trainspotting, LE film des années 90. La bande son quoi ! Les images ! La claque, renouvelée. Je l’ai vu tant de fois que je me suis permis de faire jouer le côté multitâches de mon cerveau en furetant sur les réseaux sociaux et, là, je me suis rendu compte qu’il faut revenir au punk. Politiquement. A l’image de Gagou, de ce groupe pour moi mythique que sont les Lyonnais de Haine Brigade, le punk est aussi un blues pour ceux dont je suis : les petits blancs de l’Europe du nord industrielle. Certes, j’ai aggloméré bien des choses depuis, de la Méditerranée notamment, de mes origines baltiques… Mais, à la fin, du polar à la musique, tout me ramène à mes racines.
Le roman noir, parce que c’est la crise, se joue dans un état d’urgence. Il parle du monde, maintenant. Et le monde va vite. Tant pis si nous sommes fatigués.
(Jean-François Vilar)
Je puise dans ces racines de quoi m’en émanciper pour nourrir une approche plus conceptuelle. Mais j’ai la nostalgie de la machine, d’où mon goût pour les musiques électroniques brutales. Mais j’aime la pluie et le froid. Mais le ciel Utrillo me ravit de ses nuances de gris. Bref, j’aime le punk, ce blues bruit blanc issu des banlieues prolétaires frappées par la première grande crise de l’après-guerre. Aussi, je me retrouve pleinement dans une esthétique punk telle que Jon Savage la définit : « marginale, internationale, sombre, tribale, aliénée, étrangère, pleine d’humour noir ». J’ose même dire que c’est de cette esthétique que, en sus d’une réaction viscérale à l’injustice du monde, cette esthétique nourrit mon engagement politique. D’autant qu’il y a de la politique dans le punk.
Encore que, dans le punk aussi, il y a cette urgence, cette réaction tripale à l’existant. C’est Noir Désir qui hurle, dans A l’arrière des taxis :
Mon Dieu, mon Dieu, tout assumer
L’odeur du pain et de la rose
Le poids de ta main qui se pose
Comme un témoin du mal d’aimer
Le cri qui gonfle la poitrine
De Lorca à Maïakovski
Des poètes qu’on assassine
Ou qui se tuent pour quoi, pour qui ?
Les rapports entre une partie du punk et le mouvement situationniste alimentent le propos de Joe Strummer que je fais mien :
Pour moi, le punk rock était un mouvement social. Nous essayions de faire politiquement les choses dont nous pensions qu’elles étaient importantes pour notre génération et, avec un peu de chance, inspireraient une autre génération à aller encore plus loin.
Ces mots poursuivent l’analyse que dresse Alexa, chanteuse d’Haine Brigade : « On voulait aussi qu’ils comprennent qu’un punk qui joue du rock ce n’est pas qu’un déjanté qui se bourre la gueule à la bière et qui sniffe de la colle à rustine, mais que c’est aussi quelqu’un qui pense, qui a des idées, qui crée et qui sait avoir l’esprit ouvert. » Il y a donc de la politique dans la partie du punk dont je me revendique, des Redskins à Laid Thénardier en passant par Conflict ou The Clash.
Ils rejoignent tous l’exigence de Guy Debord de « changer le monde » en envisageant le dépassement de toutes les formes artistiques par « un emploi unitaire de tous les moyens de bouleversement de la vie quotidienne ». Avec l’outil actuel de mon action politique, le Parti de Gauche, nous sommes bien dans cette dynamique. A tout le moins, pour être modeste quant à l’organisation à la construction de laquelle je participe, j’entends bien y insuffler une partie des idéaux situationnistes :
- autogestion généralisée, sur des bases égalitaires,
- suppression des rapports marchands,
- abolition du spectacle en tant que rapport social,
- participation des individus,
- réalisation et l’épanouissement de l’individu,
- abolition du travail en tant qu’aliénation et activité séparée de la vie.
Oui, je pense qu’il faut remettre du punk dans la politique. Pour lui rendre son caractère de souffle vital. Il faut, néanmoins, se prémunir d’un risque, celui de considérer l’esthétique comme une finalité en soi. Et, là, je convoque Antonio Gramsci pour dire que, lorsque l’on défend des idées de justice et d’égalité, nous n’avons plus le droit de laisser place au dilettantisme en politique : « Faire de la politique c’est dramatiser les rapports sociaux et humains et la vie elle-même sinon on a affaire à des rhéteurs pleins de sentimentalisme, et non pas à des hommes qui sentent concrètement ». Or, le punk, c’est bel et bien cette dramatisation des rapports sociaux et humains.
——————————————–
Bonus vidéo : Haine Brigade « Solitude Urbaine »