Dans la technique du dessin, il y a un
art de manier la gomme – comme, entre autres, Giacometti l’a superbement montré
– qui consiste à blanchir dans l’éclair d’un seul geste telle ou telle autre
partie du travail. Presque violemment, dans la masse des traits de crayon, sans
se préoccuper de la figure en train de se construire. Ces coups de gomme
viennent toujours à point nommé, non pour effacer ou atténuer, ni même pour
introduite quelque effet de sfumato,
mais bien plutôt pour ouvrir des trouées nécessaires par où faire entrer l’air
et la lumière au sein de la matière opaque
et grise de la mine de plomb, sans quoi le dessin risquerait
d’étouffer ; autrement dit, pour ménager des circulations et des couloirs
– des issues, par où l’on peut à tout moment reprendre son souffle et laisser
en cette brèche une place nouvelle pour le doute. Ainsi l’écriture poétique
peut-elle également blanchir la
langue et se veiner de pareils filons de lumière en dégageant devant elle ces
espaces de silence qui l’ajourent jusqu’en sa profondeur, en l’allégeant
d’autant de ce dont la narration ou le discours la plombent. (D’ailleurs, il
n’est pas dit qu’en ces creux, ou en ces « jours », la langue ne
s’agite pas davantage qu’à l’épreuve des mots…)
Gérard Titus-Carmel, Le Huitième Pli ou
Le travail de beauté, Galilée, 2013, p. 54-55.
[choix de Ludovic Degroote]