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Vinyl is not dead

Publié le 29 mai 2013 par Swann

Tu as été à la Fnac récemment ? Ça ne t’a donc pas échappé, les vinyles ont retrouvé leurs places dans les rayons. Des vieux, des tout récents, des 33T, des 45 aussi. Bref, les grandes enseignes ont compris que le microsillon n’a pas dit son dernier mot… Enquête. (à lire aussi sur FameUs Mag).

Dans les bacs à vinyles des magasins, Elvis Presley, Motörhead et Bob Dylan font le bonheur des diggers. Non, nous ne sommes pas aux rayons loisirs d’un Mammouth en 1986 mais dans les allées de la Fnac en 2013. La preuve ? On y trouve aussi des 33T de Lana Del Rey, C2C ou encore Granville. Aujourd’hui, le vinyle revient en force et à part une poignée de fétichistes de la galette noire, pas grand monde ne l’avait vu venir. Une anecdote : en 2010, un stagiaire dans une grande enseigne de l’Oregon commande par erreur une centaine d’albums classiques rock en vinyle. Le magasin se retrouve avec plusieurs cartons mais, au lieu de les renvoyer, il organise une grosse opération spéciale vinyle. Le stock s’écoule en moins d’une journée. « On assiste à un fort regain d’intérêt pour le vinyle. Sur les cinq dernières années, les ventes ont augmenté de manière exponentielle, non seulement aux Etats-Unis, mais aussi au Royaume-Uni et en France », constate JD Beauvallet, rédacteur en chef des Inrockuptibles. On note ainsi une hausse de 20 % en France en 2012 alors que les ventes d’albums cds, elles, ont continué de s’effondrer (-14%). Mais pourquoi diable ce vinyle à qui on promettait une mort certaine il y a vingt ans suscite à nouveau l’intérêt, non seulement des collectionneurs mais également des jeunes générations ?
Retour vers le passé, en 1982 précisément. Sony et Philips lancent le Compact Disc, un disque optique sur lequel on peut stocker des données numériques. Plus petit, plus pratique, son plus lisse (presque clinique), et beaucoup moins cher. Il est censé gommer tous les défauts que pouvait avoir un disque vinyle (encombrant et grésillant). Le CD inonde rapidement les magasins de distribution, les usines de pressage de vinyles ferment les une après les autres. Les disquaires indépendants disparaissent tandis que les grandes chaînes repensent leurs espaces de façon à adapter leur mobilier aux cds. « Les bacs de vinyles ont été définitivement retirés des Fnac en 1992, plus aucun groupe et ou label ne pressait des albums en vinyle », explique Joe Hume, journaliste et animateur sur OÜI FM. A partir des années 2000, le téléchargement, qu’il soit légal ou non, change le rapport que les amateurs entretiennent avec la musique. Plus besoin de se déplacer pour trouver un album ou un titre. Tout est à disposition en un clic. « Les bibliothèques d’albums ont été remplacées par des bibliothèques de sons, des fichiers, des 0 et des 1 », ajoute l’animateur. Entre un album en fichier zippé pour presque rien (voire rien du tout) et un disque au boîtier de plastique interchangeable à 20 euros, le choix est vite fait. « Avec le MP3, on n’a plus besoin des cds puisqu’on a tout en ligne et surtout on a le plus important : le son…Si on veut des informations supplémentaires, il suffit d’aller les chercher sur Internet », déclare Vincent Palmer de Rock&Folk. Pour contrer le phénomène du téléchargement sur Internet, les majors du disque mettent en place des stratégies de ventes agressives pour baisser le prix du cd. Vingt euros la première semaine, puis quinze, puis neuf… « On a tellement dévalué l’objet cd qu’il n’avait plus aucune valeur », estime David Godevais président du Club Action des Labels Indépendants Français.

Parallèlement, dans une industrie musicale bouleversée, le vinyle continue de survivre grâce à des labels hyperspécialisés qui pressent encore des 33 et 45T. Pour Melik, gérant de la boutique Heartbeat Vinyl dans le 11ème arrondissement de Paris, le microsillon « n’a jamais disparu, il y en a toujours eu, mais en quantités très réduites. Il a été sauvé par des mouvances comme le reggae, le hip hop et l’électro ». Fin des années 1990, la « French Touch » et le boom des DJs remettent en selle le vinyle, même s’il est encore très difficile de trouver ces fameuses galettes noires.

Le cd était le premier pas vers la dématérialisation, le téléchargement l’a franchement accéléré. « C’est pratique, on stocke tout dans un disque dur qu’on peut transporter partout, mais finalement, qu’est ce qu’on possède pour de vrai ? » s’interroge Melik. Une question que Bruce Willis s’est aussi posé. En septembre dernier, il envisageait d’attaquer Apple car il ne pouvait léguer sa bibliothèque iTunes à ses enfants. On ne peut pas transmettre ce qu’on ne touche pas. Logique. Pour JD Beauvallet, « cette ère du tout virtuel a forcé le retour vers l’objet. L’être humain a besoin de toucher, de posséder… Et pour un fan de musique, le vinyle reste et restera le support roi ». Une pochette en grand format, parfois véritable objet d’art, des liners-notes, un côté édition limitée, une odeur particulière. Morrissey a même parlé d’un doux parfum de banane au sujet des vinyles de Roxy Music. Joe Hume le décrit comme un objet sexy. Pour la rock critic Isabelle Chelley, c’est un artefact. Un mélomane décrira toujours sa collection de vinyle avec tendresse et amour, contrairement à ses cds. « Ils m’évoquent un sous-bok et me donnent envie de poser mes verres dessus », dédaigne la journaliste. Mais surtout, plus que l’objet, c’est le son qui est nettement supérieur à celui du disque numérique. Plus chaleureux, plus rond, plus de variations dans les notes, pas de saturation dans les aigües, et un format (vingt minutes par face) qui favorise une écoute attentive de la musique quand le cd ou le mp3 ne sert finalement que de fond sonore. Indéniablement, le vinyle a ses arguments pour séduire.
Des arguments que les anciennes générations connaissent bien, mais que les plus jeunes découvrent aujourd’hui. « Ce sont des gamins ayant grandi avec le digital qui vont aujourd’hui chez le disquaire », affirme Melik. Des garçons, mais aussi de plus en plus des filles s’intéressent désormais aux vinyles et non pas comme simples objets de déco. « Avant une fille dans une boutique de vinyle, c’était une curiosité, aujourd’hui, elles représentent la moitié de la clientèle. Et lorsqu’un phénomène touche aussi bien les femmes que les hommes, c’est que c’est un phénomène parti pour durer », explique Isabelle Chelley.

Bastien, 20 ans et collectionneur débutant, raconte être tombé dans le bac à 33T après avoir téléchargé par hasard les albums de Led Zeppelin et des Rolling Stones. « Je voulais écouter la musique de mes parents. Je fouinais dans les brocantes pour retrouver ces vieux albums et les avoir dans ma chambre pour de vrai. » Des jeunes comme Bastien, il y en a beaucoup qui passent à la Fabrique des Balades Sonores, disquaire parisien ouvert il y a tout juste un an. « Il y a un gamin de dix-sept ans qui vient tous les lundis dans ma boutique, et il ne veut que du vinyle », explique Toma Changeur, son propriétaire. Il accueille ses clients en leur offrant du café ou du thé. Ici, si l’on trouve des vinyles, des cds, même des cassettes audio (!) et des créations extramusicales, les clients viennent principalement pour les microsillons. « Sur quatre albums vendus, trois sont des vinyles. Ils représentent environ 70% du chiffre d’affaires de la boutique. » Les indépendants comme les Balades Sonores ont été des artisans du sauvetage de la galette noire. « Il y a quelques années, on ne trouvait des vinyles que dans des boutiques d’occasions tenues par des vieux garçons poussiéreux. Aujourd’hui beaucoup de disquaires tenus par des jeunes ouvrent et ils vendent des vinyles à des prix abordables », constate Isabelle Chelley. D’après David Godevais, un nouveau disquaire s’installe tous les trois mois à Paris. « En cinq ans, le nombre a doublé, on avoisine les 400 boutiques dans toute la France alors qu’elles étaient moins de 200 et on ne parle que des boutiques qui vendent des nouveautés. » Une journée spéciale leur est même dédiée : le Disquaire Day qui se tient chaque printemps depuis 2011 (et depuis 2007 aux Etats-Unis et Grande-Bretagne). « Il s’agit du plus gros évènement de la musique enregistrée, des artistes sortent même des vinyles en éditions limitées spécialement pour l’occasion et certains disquaires font un chiffre d’affaire plus important qu’à Noël », déclare le président du Calif et organisateur de cette grande fête du disque.
Les enseignes comme la Fnac et Virgin, conscientes de ce regain d’intérêt, essaient de surfer sur cette mode en réorganisant leurs magasins : réduction des espaces dédiées aux cds, augmentation des rayons vinyles, et les nouveautés sont bien mises en évidence. Bien évidemment, rien à voir avec les rangées fastueuses des années 80, mais la tendance est là.

Plus que les disquaires, c’est la filière indépendante toute entière qui a fait un travail remarquable pour continuer à faire vivre la culture vinyle, du groupe autoproduit aux labels indépendants. Ces labels s’appellent Fargo Records, Born Bad Records, Cooler Than Cucumbers et pressent des cds ET des vinyles. « Il y a même des petits labels qui ne font que des rééditions, des beaux objets, avec un vrai vinyle en 180 grammes. Ils font de très belles choses qu’on ne peut pas télécharger, du matériel qu’on a envie d’avoir », explique Isabelle Chelley. Ils permettent ainsi aux jeunes générations de ne pas oublier les très vieux groupes, voire de les redécouvrir. L’exemple le plus frappant est celui de Sixto Rodriguez, songwriter américain des années 60 ressorti de l’ombre en 2012 grâce au film Searching For Sugar Man. Une major a publié l’album de la bande-son du film et un petit label américain les albums originaux (Coming From Reality et Cold Fact). Résultat : « Les vinyles se vendent deux fois mieux que la bande originale », déclare Matthieu, vendeur à la Fnac. Ce n’est guère étonnant pour Toma Changeur, car « les gens veulent être plus près de ce qu’était Sixto Rodriguez à l’époque. »

D’autres labels font même le choix de n’éditer que des 45T, comme Croque Macadam, un micro-label parisien monté par Alex Gimenez. Il considère que le vinyle « est comme une photographie, représentatif d’une époque donnée ». Une vision que Joe Hume partage, et il ajoute : « Il y a une dimension sentimentale très forte et la volonté chez les groupes de laisser une marque tangible. » Cette volonté de laisser une trace devient de plus en plus importante chez les groupes. Des artistes décident ainsi de distribuer leurs musiques sur les trois supports : cd, mp3 et vinyle. Aux Etats-Unis, Jack White, en pionnier, lançait déjà le mouvement en 2003 avec Elephant, mouvement dans lequel s’engouffrera une myriade de groupes plus ou moins confidentiels. Avec 33 000 vinyles pour Blunderbuss, le rockeur a réalisé la meilleure vente vinyle de l’année 2012. My Bloody Valentine a vendu 20 000 vinyles en une semaine seulement avec MBV (et 30 000 cds). D’autres vont plus loin en éditant leurs albums seulement en vinyle et en digital, comme Arnaud Rebotini dernièrement. Joseph D’Anvers souhaite lui aussi recourir à ce système de double édition pour ses prochains disques. Mais il se heurte au refus de son label Atmosphériques. « Sortir un vinyle aujourd’hui c’est un peu un acte militant, mais je suis persuadé que c’est l’avenir. Les cds ne se vendent plus, on doit trouver une autre alternative ». Une alternative que les majors commencent doucement à prendre en compte, elles qui vendaient des cds comme on vend de la viande sous cellophane. Universal crée en 2011 par exemple la collection Back to Black et réédite des classiques rock en vinyle pour un prix moyen de 20 euros (deux fois plus cher qu’en boutique d’occasions), Warner Music vient de créer un département vinyle et deale des exclusivités avec la Fnac, histoire de créer le buzz. Ainsi, le 33T de Granville, nouveau groupe indie-pop à la mode, n’était disponible que dans l’enseigne. Gros coup marketing.

Incontestablement, le vinyle a de nouveau sa place dans le paysage musical. Mais, les ventes restent encore faibles, elles ne représentent qu’entre 2 et 5% des ventes d’albums physiques. Impossible de savoir réellement combien de vinyles sont vendus, car le Syndicat national de l’édition Phonographique ne comptabilise que les ventes d’albums réalisées par les Fnac et Virgin. « La majorité des vinyles sont vendus en marge de ces gros réseaux », explique David Godevais. Il faut chercher du côté de MPO, l’unique usine à presser des vinyles en France – à Averton, en Mayenne – pour avoir un ordre de grandeur. Fredi, directeur commercial du département vinyle, estime « que 5,5 millions de vinyles ont été pressés en 2012, soit un million de plus qu’en 2011. Nos ventes augmentent, mais le vinyle reste une niche ». Cher à fabriquer, le vinyle est aussi cher à acheter. Son coût de revient se situe entre 2 et 4 euros. En magasin, son prix varie entre 15 et 20 euros, voire 30 euros pour certaines rééditions. Et « les prix ne cesse d’augmenter parce que les majors comptent aujourd’hui sur le vinyle pour compenser les pertes dues à l’effondrement du cd », confie Toma Changeur. Drôle d’histoire, ces mêmes majors qui ont coulé le vinyle il y a vingt ans se tournent vers lui pour essayer de se sauver… Alors increvable, le vinyle ? « J’ai tendance à penser qu’il résistera à tout », déclare Joe Hume. « Il y aura toujours des personnes qui achèteront des vinyles, c’est lui qui enterrera le cd peut-être même le MP3 ! » Des personnes comme Jason. Ce garçon d’une trentaine d’années un peu geek sur les bords, adorateur de galette noire, est un grand habitué de la Fabrique des Balades Sonores. C’est le sourire aux lèvres qu’il sort du magasin avec dans son sac à vinyle… une cassette audio de Ty Segall. Alors ? Bientôt le retour de la K7 ?

Sabine Bouchoul


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