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Interview | fauve ≠ « un collectif, c’est le bordel »

Publié le 30 mai 2013 par Acrossthedays @AcrossTheDays

Il y a plus d’un mois, on était au Festival Mythos, à l’époque où il y avait du soleil et où l’herbe verdoyait plus sous les verres de bières renversés que sous la pluie. Si on vous a pas encore raconté comment c’était, on en a quand même profité pour rencontrer Fauve, qu’on a plus besoin de vous présenter. Enfin, j’espère. Dans cette interview, ils s’expriment sous la forme d’un collectif, parlant d’une seule voix (et aussi parce que je n’ai pas bien retenu tous les prénoms associés aux voix, my bad).

fauveitw INTERVIEW | FAUVE ≠ UN COLLECTIF, CEST LE BORDEL

Across The Days. Vous dites que vous êtes un CORP, un collectif. Ca marche comment ?

FAUVE. C’est le bordel. (rires) Déjà pour que ça marche, il faut que les décisions soient prises par l’intégralité du collectif : on est une quinzaine dans le collectif et on est cinq membres permanents qui prenons les décisions, on choisit avec qui on travaille et comment. Même si le collectif est assez large, les décisions importantes sont prises à cinq, ce qui est déjà plus restreint. Maintenant dans les cinq, il n’y a pas que des musiciens, y a des gens qui font de la vidéo, de l’image. Dans le fonctionnement, on a tous un droit de regard et un avis sur tout, même si une personne est en charge de l’exécution et de la réalisation d’un domaine. Exemple : y a un mec qui écrit les textes, mais on peut tous dire «Cette phrase je l’aime pas, faut la changer» ou «Tu devrais plutôt parler comme ci, comme ça» : on peut tous contribuer et apporter notre touche aux textes, mais y a une seule personne qui va être en charge de plus l’approfondir et d’écrire. Pour la vidéo, y a une personne qui va être en charge de faire les shootings et les montages, mais on va tous avoir notre avis sur la chose, proposer de changer tel ou tel plan ; mais si on a tous une idée pour un clip, c’est cette personne et pas une autre qui va le réaliser. Pareil pour les instrus… «Pour le prochain morceau, faudrait quelque chose d’un peu aérien» : il y a une personne qui va travailler là dessus. Pour résumer, on décide de tout ensemble, et après y a une personne qui est chargée d’approfondir le truc, et qui revient avec le résultat : ça permet d’avoir un système où on fait pas tout, ensemble, tout le temps, et à quinze, sinon ça serait l’enfer. Ou en tout cas, on serait encore plus lents que maintenant, et on est déjà pas très rapides…

ATD. Sur votre site, vous avez une rubrique ou n’importe qui peut vous envoyer n’importe quoi : vous recevez quoi, et vous le gérez comment ?

. On reçoit pas mal de choses, beaucoup de textes, des photos, des dessins, des propositions de vidéastes qui veulent participer. C’était très facile à gérer il y a encore quelques mois, c’est devenu un peu plus compliqué parce qu’il y a de plus en plus de propositions et qu’on a moins le temps. L’idée c’est de faire quelque chose de collaboratif, pas uniquement participatif : c’est quelqu’un qui nous donne quelque chose, on trouve ça cool et on l’utilise. L’idée c’est que quand quelqu’un propose quelque chose d’intéressant, on travaille ensemble sur un projet. Concrètement, quand on nous envoie un truc cool, on bosse avec la personne en question, c’est tout. C’est comme ça qu’on trouve des relais pour enrichir artistiquement le projet. Par exemple, on est en train de finaliser un clip (celui de Blizzard), on l’a tourné avec un mec, devenu un pote aujourd’hui, qui nous a envoyé des vidéos, qui a seize ans, on a fait le tournage pendant les vacances scolaires pour qu’il soit dispo, il nous a envoyé le truc, on a trouvé ça chanmé, et on lui a dit qu’au prochain clip on voulait bosser avec lui. Y a plein de gens qui participent, qu’on rencontre via internet ou des amis autour de nous qui contribuent. Aujourd’hui on pense à refaire notre site web qui est un peu pourri, on a reçu des propositions de plein de gens donc bientôt on va les appeler pour les rencontrer et imaginer comment on pourrait faire ça ensemble. Mais après y a aussi des gens qui nous proposent des choses qui sont pas du tout raccord avec ce qu’on fait, on se retrouve pas dedans. Chacun peut apporter sa touche : après c’est difficile de répondre à tout le monde, même si on essaie de le faire.

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ATD. Votre logo ≠, il vient d’où ?

. À la base on cherchait à faire quelque chose avec le F de Fauve, et en essayant de le styliser, la barre verticale du F s’est décalée, est tombée, ça donne un signe ≠ qui est assez reconnaissable par tout le monde. Ca collait pas mal à l’espèce d’idée qu’on a que tout le monde est un peu unique et différent.

ATD. Et en quoi vous, vous êtes différents ?

. Quand on parle de nous, on parle en tant qu’individus, pas en tant que Fauve, c’est l’idée un peu simpliste qu’on est tous une infinité de points et de traits de caractère qui vont de la partie la plus sombre de chacun à la partie la plus belle, exaltante et noble, et qu’en tant qu’individu, chaque personne est valorisable. C’est pour ça qu’on essaie de trouver de la beauté de la normalité, la médiocrité. On va pas essayer de mettre sur un piédestal les gens qui ont des choses à montrer mais plutôt essayer de trouver le point de différence qui va rendre la personne lambda un petit peu belle. C’est ce que dit le refrain de Kané : «t’es beau comme une planète, je t’ai dans la peau, je t’ai dans la tête», c’est un truc que tu peux dire à n’importe qui au final. On rejette un peu cette vision manichéenne du monde : «ce mec il est sympa ou c’est un connard», «il est moche ou il est beau». On a tendance à avoir une vision hyper marquée, et c’est quelque chose qu’on essaie de rejeter. On revendique pas Fauve comme étant différent du reste, on se sent pas différent, on y a pas vraiment réfléchi en fait. Mais on a pas l’impression d’avoir une démarche originale. C’est plus le terme unique que différent.

« Fauve n’est pas différent des autres, mais unique, on est tous uniques. »

ATD. Si je dis que Fauve c’est le concept de Breton avec le collectif, l’iconographie de WU LYF, le phrasé d’Arnaud Fleurent-Didier et les thèmes du Klub des Loosers…

fauve INTERVIEW | FAUVE ≠ UN COLLECTIF, CEST LE BORDEL

. Bon, on avoue, c’est une agence de pub qui est derrière, Publicis, et ça brasse beaucoup d’argent et des enjeux énormes. On a concocté une recette qui marche un truc de ouf. (rires) Non, sérieusement c’est pas si con. Breton, pour être sincère, on connaissait pas au moment où on a commencé Fauve. Mais c’est vrai que c’est super proche au niveau de la démarche. Maintenant comment répondre à cette question qui n’en est pas une ? Sur le coup du phrasé de Fleurent-Didier, c’est marrant parce qu’on nous le ressort parfois, et on trouve ça un peu facile parce qu’au final, il a que quelques trucs où il parle, sinon il chante. Et surtout la différence, c’est qu’il fait pas du conversationnel, lui : il raconte une histoire. Il parle mais c’est un conteur, nous on a une approche conversationnelle, dans le sens où on va parler comme on parlerait à un pote, à un médecin ou une amante.

(arrivent des copains, les bises se claquent et les mains se checkent)

Je sais plus ce qu’on disait… Ah si, il nous a posé une question super sympathique : il a dit qu’on pompait tout le monde, mais que des gens qu’on écoute pas en fait. Enfin il a pas dit pomper mais c’est ce qu’il voulait dire ! On va aller l’attacher dans la caravane après. (rires)

ATD. Alors du coup si vous écoutez pas ça, vous écoutez quoi dans la vie ?

. Si pour le coup j’aime bien le Klub des Loosers. On écoutait ça y a cinq ans, et c’est marrant parce qu’on nous l’a dit plusieurs fois, sûrement pour le côté viscéral, l’amour raté, tout ça… Mais le Klub c’est beaucoup plus extrême, c’est hyper noir. J’écoutais ça quand j’étais plus jeune, « Vive la vie », mais ça me foutait super mal à l’aise. (commence à rapper) «Pour son anniversaire, on a jamais ce qu’on veut / moi pour mes 18 ans ans mes parents m’ont offert une paire de pneus / et je n’ai même pas de voiture»

« On pouvait pas faire un EP avec dix titres, ç’aurait été un album. »

ATD. Pourquoi Sainte Anne et 4000 îles sont elles absentes de l’EP ?

. Parce qu’elles sont sur internet ! Non, il y a plusieurs raisons en fait : il fallait faire des choix, et on pouvait pas faire un EP avec 10 titres, sinon ça s’appelle un album. Et puis on voulait mettre des choses nouvelles sur l’EP, parce qu’on allait pas sortir un EP avec les quatre chansons qu’on a données gratuitement sur internet ; c’est se moquer du monde. C’est pas une compile qu’on sort, c’est un EP. Après on a remis Kané et Nuits Fauves, parce que pour être honnête 4000 Iles et Sainte Anne sont les deux chansons les plus extrêmes du spectre : elles sont moins dans ce qu’on a défini comme étant Fauve, et ce qu’on avait besoin de dire. 4000 Iles étant la borne la plus pop, et Sainte Anne la plus « vénère » : les sentiments dessus sont diamétralement opposés. C’était moins cohérent. Alors que les chansons sur l’EP partagent toutes en commun d’avoir une solution, à un moment donné. On a fait les trucs spontanément, et après Sainte Anne, on s’est posés en se demandant « Qu’est ce qu’on recherche ? », c’est pas le tout d’être spontané et viscéral mais faut savoir où tu vas. Du coup on a fait évoluer l’écriture : ça a donné Nuits Fauves. Et là on s’est rendus compte que c’est ça qu’on voulait vraiment faire : avoir des couplets sous forme de constat et des refrains où on se crée nos propres solutions, comme des mantras. C’est une séance chez le psy : tu vides ton sac et après tu te demandes ce que t’en fais. Maintenant on écrit comme ça, mais tu peux imaginer qu’il y ait d’autres chansons comme Sainte Anne plus tard, mais il faudra qu’il y ait une chanson qui réponde à ça. Et là y avait pas de chanson pour lui répondre.

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ATD. Il est pas un peu long d’ailleurs cet EP ? Il dure une demi-heure…

. Si on avait mis Sainte Anne et 4000 îles, il aurait été encore plus long ! C’est pour ça qu’on s’est arrêtés là : au début y avait 8 titres, y en avait d’autres, donc on en a enlevé. On veut faire quelque chose de généreux, on va pas sortir juste une nouvelle chanson quoi. C’est pas non plus excessif, une demi-heure. Après nous on a beaucoup de textes, beaucoup de choses à évacuer, et on voulait pas faire un truc au rabais. Jusqu’à récemment, on était très contraints par le temps, et on voulait faire quelque chose de dense, de consistant, avec un spectre large : textes, instrus, vidéos, photos, tous ces supports. On avait pas le temps de le faire donc sur l’EP on s’est botté le cul pour avancer à ce niveau-là.

Certains nous reprochent de sortir des morceaux au compte-gouttes, de créer la rareté, alors que c’est juste qu’on arrivait pas à suivre au niveau du timing… On taffe tous avec des boulots hyper prenants, donc on s’est dit que pour l’EP ce serait la première fois qu’on allait pouvoir mettre un pied dans cette direction là. On continuera, je pense à faire des trucs denses.

« On a pas envie d’être infantilisés : on sort ce qu’on veut quand on veut comme on veut ! »

ATD. Comment vous en êtes venus à rajouter des monologues à la fin de vos chansons sur l’EP ?

. Ca vient là aussi d’une volonté de faire un truc dense, en fait. Ces monologues auraient pu être des instrus : c’est comme quand on fait des pâtisseries, qui sont juste des petits solos d’images d’une minute et qu’on met en ligne. L’idée c’est juste qu’on veut pas être dans un schéma où il y a des sorties un peu officielles : c’est ni un album, ni un EP. On veut pouvoir sortir ce qu’on veut quand on veut, à la fréquence continue : pouvoir sortir tout le temps des trucs, sans se mettre de contraintes. Parfois y a juste des textes qui sont là, sans instrus, qu’on a pas mis en chanson : autant les sortir, et pareil pour les instrus toutes seules, ou des images pas assez riches pour un clip de 4 minutes… Au-delà du côté suffisamment riche, parfois tu écris des textes ou tu as tout dit en une minute, sans avoir besoin d’en dire plus. On en avait pas mal, des petites capsules en stock, des thèmes qu’on décline pas sur une chanson mais qu’on a quand même envie d’utiliser. C’est pas une chanson, c’est pas une intro, mais on veut s’en servir, et donc on a appelé ça des rags, l’équivalent des pâtisseries en quelque sorte. Rag, ça veut dire lambeau, bribe. Y a toujours cette volonté de pas s’emmerder avec des trucs qu’on nous a dit qu’il fallait faire, ça vient d’un truc idiot : on est trop vieux pour qu’on nous dise quoi faire. Quand t’as entre 25 et 30 ans, t’es adulte, et c’est con, mais y en a qui taffaient depuis cinq ans dans des bureaux, t’as pas envie, même si tu changes de travail (et c’est ce qui est en train de se passer), de retomber dans une situation où t’es infantilisé. Donc on a eu envie de faire ces rags, et on l’a fait.

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ATD. Oui, ça se comprend. Je vais commencer les questions plus courtes parce que le temps presse un peu… Il s’est passé quoi avec @lapin_blanc, qui a fait la parodie Insomnie ?

. Ouais c’est un mec qui a fait une parodie, qui l’a postée…et après on en a parlé ensemble sur Twitter, voilà, c’est tout ! Nous on est super preneurs de gens qui s’approprient la chose… Lui c’était sur un mode parodique, donc c’est pas forcément sympa. C’était un peu agressif son truc… Après on l’a appelé Laurent Gerra, il a pas trop aimé. Mais franchement le gars a l’air plutôt cool, et sur la forme le truc est réussi, ça reprend bien deux-trois codes qu’on peut avoir. Quant au fond, je comprends qu’on trouve ça marrant mais c’est un peu facile. On en a juste parlé rapidement entre nous, mais c’était super drôle que quelqu’un fasse ça, on était vraiment sur le cul. Le mec a du passer du temps à faire ça quand même. Donc bravo à lui.

« Notre avenir ? On veut juste faire le maximum possible. »

ATD. C’est quoi le futur de Fauve ?

. Pour le moment il est vraiment à court terme, on a pas mal de trucs à faire, on est en train de boucler un clip qu’on va bientôt mettre en ligne. On a encore plein de travail à faire sur le live parce qu’on a pas une expérience incroyable du live : on a fait qu’une douzaine de dates. D’ailleurs tu vas voir, quand tu viendras au concert tout à l’heure, ça va être pourri, faut que tu sois conscient de ça. (NDLR : Non. C’était super bien, et j’en reparlerai bientôt) Donc ça va passer par faire plus de dates, aller sur la route, rencontrer les gens… Et puis tous ce qu’on utilise en live c’est des trucs qu’on a bricolé dans nos chambres, configurés n’importe comment. Maintenant, sans avoir anticipé le truc, on est obligés de rendre ça plus carré. C’est super difficle de se projeter, y a six mois on aurait jamais, jamais, jamais imaginé que ce qui se passe en ce moment puisse se passer, et du coup ça sera peut-être complètement différent dans six mois. On est dans un rythme tellement bizarre qu’on peut absolument pas savoir. On est pas mal dans l’urgence. A moyen terme, les envies qu’on a, c’est juste de sortir de Paris, d’aller faire des concerts, de rencontrer des gens, faire un album, continuer à écrire des chansons, faire des vidéos, développer le CORP, ce qu’on voudrait faire à côté. L’avenir est super simple : on veut faire le maximum de trucs. On voudrait jouer absolument partout, être en mouvement tout le temps, vivre des trucs ensemble, donc si tu nous proposes de jouer dans le jardin de ta grand-mère, on le fait !

ATD. Pour finir, dites moi quelque chose que personne ne sait sur vous.

. …Ah si ! y a un truc que personne ne sait ! Je (il me semble que c’est Stéphane, NDLR) peux enlever mes chaussettes uniquement avec mes pieds, sans me baisser. C’est super pratique quand t’as mal au dos. Bon, j’ai jamais mal à dos, mais au cas où, on sait jamais.

Sur ces belles paroles, je remercie le groupe pour leur dédicace sur le tote-bag de ma copine, leurs vannes et leur accessibilité, le festival Mythos pour son accueil chaleureux, et Morgane d’avoir permis cette rencontre ensoleillée autour de quelques clopes.


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