Magazine Culture

ZZZe queen of zzze bouchures

Par Jcfvc

On n’avait pas encore tourné à droite vers Hérisson, on roulait encore en direction de la « petite ville » de Louis- Philippe, et c’est la raison pour laquelle Bodin et Zozo pensaient à la bourgade où avaient vécu et souffert l’écrivain et son personnage tragique. Ils savaient que Côtelette se sentait très proche de Bousset, ce fils de sabotier misérable, qui croit échapper à sa condition en faisant des études prometteuses au lycée de Montluçon, mais échoue chez un pauvre parmi les pauvres, le Père Perdrix du roman éponyme.

Une fois de plus, Côtelette ─ à tort bien sûr ─ confondait fiction et réalité, traçait un parallèle entre la descente aux enfers du héros et son propre échec en classe de philo l’année précédente. Certains de ses copains, plus bosseurs ou intelligents que lui, avaient obtenu une bourse pour aller en fac, mais lui, qui avait fait le zouave, s’en était retourné à Moulins pour apprendre à faire la classe et devenir instit. Comme d’habitude, Il refusait de se blâmer pour ce retour à la case départ, mais invoquait plutôt un complot de l’institution : une malédiction de classe s’acharnait sur lui, comme sur tous les prolos qui voulaient faire des études à l’instar des bourgeois. Il était envieux des gars et filles du lycée qui, grâce au pognon des vieux, n’avaient pas été obligés de passer le concours de l’EN, avaient pu continuer leurs études et se la coulaient douce en Fac à Clermont.

Il déplorait de ne pouvoir faire son Rastignac des volcans, avec les étudiantes glamour de la capitale auvergnate. Au lieu de cela, gémissait-il sans cesse, il végétait dans une préfecture la semaine, dans une sous-préfecture merdique certains week-ends, à ravasser[1] dans la campagne avec une bande de bras cassés, en attendant d’être muté dans un trou paumé en fin d’année.

Il illustrait son ressentiment en évoquant surtout la Josette Boudet, une étudiante en première année d’Anglais dont il était follement amoureux depuis toujours, mais qu’il n’avait jamais pu coincer à Montluçon, et qu’il désespérait de retrouver à Clermont dans un amphi, pour la séduire enfin : « Ca risque pas d’arriver, maintenant que toute cette bande de bigleux de la fac de lettres, qui essaient de ressembler à Sartre, avec leurs lunettes, lui tournent autour, comme autant de coyotes en chaleur ! Elle préfère les rupins, c’est une snob ! » C’est ainsi qu’il expliquait pourquoi, alors qu’il était encore au cours complémentaire et elle au lycée de filles, elle lui avait posé plusieurs lapins et lui avait préféré un bellâtre gominé du bahut, sapé d’un loden à la mode.

Le père de la fille n’était pas vraiment un notable montluçonnais. Il était petit commerçant, tout comme les parents de Côtelette, mais ce dernier s’en tenait à sa théorie favorite de la grande machination contre les pauvres. Non content de les exploiter honteusement, on brimait leur sexualité.

Comme Bousset, pensait-il, il finirait dans la peau d’un petit fonctionnaire rond-de-cuir, mais pas dans la grande ville, là où tout était encore possible.

Contrairement à ses grands-parents maternels, qui étaient sortis, eux, de leur trou de la Creuse pour devenir citadins, il referait le chemin inverse. La boucle serait bouclée. Tel Baptiste, le héros d’un autre roman de son terroir, écrit par Henri Guillaumin celui-là, il allait retourner ─ lui qui s‘était imaginé professeur ─ à la glèbe qui collait aux sabots des gens de sa classe. Il serait hussard noir de la république, creusant patiemment, dans l’esprit à défricher des petits paysans qu’il aurait à instruire, un sillon à renouveler sans cesse, presque à l’identique, d’une année scolaire sur l’autre.

Les passagers de la voiture commençaient à choper le bourdon. Le chauffeur, craignant que le pessimisme ambiant soit communicatif et plombe définitivement le moral du reste de la bande, fit part de son inquiétude :

─ Ça marine sec dans ta tronche, Côtelette, en ce moment. Pourvu que la Josette Boudet soit pas au bal. Là, ça serait l’achabation[2].

- Y serait foutu de nous faire un infarctus, ou une descente d’organes, renchérit le Pépé, qui n’était jamais avare de diagnostics sauvages ou de pronostics vitaux.

[1] Traîner

[2] La fin des haricots

C’est au cours d’une de ces balades que Côtelette rencontra sa Josette Boudet pour la première fois. Le père de la fillette venait au village chez ses parents. Lui et sa femme connaissaient les bouchers du Pont-Neuf et se mirent à parler avec la Paulette. La belle ─ déjà pimbêche crâneuse ─ resta collée aux jupons de sa mère et refusa d’aller jouer avec Côtelette comme on le lui suggérait. A cette époque, le gamin était encore en pleine phase de latence sexuelle comme le voudrait ce bon vieux Sigmund, mais il n’en avait pas moins remarqué la petite fille aux gestes gracieux, déjà inaccessible en ce qui n’était alors que timidité et désintérêt pour les jeux de garçons.

Depuis ce jour, sans jamais pouvoir obtenir d’elle un sourire, il ne devait cesser de la revoir à Hérisson, puis plus tard, à Montluçon. Devenue adolescente, elle était l’une des premières filles qui osait s’afficher aux manettes d’une mobylette et narguait les gars qui n’en possédaient pas encore. De nombreuses fois, il l’avait attendue à la sortie du lycée de filles. Mais elle passait devant lui sur son bolide sans lui rendre le signe de la main qu’il lui adressait. Au lieu de cela, elle prétendait le plus souvent ne pas le connaître et arrêtait son engin un peu plus loin pour parler et rire avec un rupin du bahut. Il ne la voyait jamais le samedi ou le jeudi sur le boulevard de Courtais, là où il aurait pu éventuellement l’aborder en arpentant l’artère principale de Montluçon. Les copains, qui en avaient marre d’entendre parler de cette fille, disaient l’avoir vue au bras d’un brun costaud plus âgé qu’eux, au physique de maître-nageur, le genre de rival que redoutait le plus Côtelette. Cela l’avait calmé provisoirement, sans jamais vraiment le guérir de cette passion dévorante pour jeune Werther des bouchures.

On était arrivé dans son fief. À sa demande de désormais régional de l’étape, les deux véhicules s’étaient garés devant la petite baraque de son enfance qui semblait inhabitée maintenant et ne deviendrait jamais la guinguette qu’il décrivait lorsqu’il racontait à la bande les dimanches passés au bord de l’eau. Il s’interrogea à voix haute : « Peut-être que la Josette va être au bal. »

C’est exactement ce qu’avait redouté Zozo en chemin :

─ Tu vas pas nous bassiner encore avec ta Josette. Elle est à Clermont, en train de se faire tripoter les méninges, ou pire encore… par un boutonneux qui se prend pour un ex- y s’tend-sa-liste … ou quelque chose comme ça. Un gars de Saint-Germain-des-Près à Paris, pas un plouc de Saint-Germain-des-fossés[1], qui s’rait pas assez bien pour ta princesse. C’est pas pour toi ceux gonzesses. Faut te faire une raison. T’es pu d’ son monde. Pour la bagatelle, y t’faut des pilières de parquet–salons. Pour te caser, trouve-toi une normalienne qui veuille bien de ton physique. Ca va pas être fastoche, vu ta carrure. On te ferait une radio rien qu’en allumant une lampe de poche derrière ton dos.

[1] Ville de l’Allier, près de Vichy

All is fair in love and war

Dès les premiers accents du bandonéon, ils se dirigèrent vers l’arène car le Pépé et quelques autres ne voulaient surtout pas rater la première série de tangos, afin de planter d’entrée de jeu quelques banderilles, qu’ils espéraient décisives.

Pinoche, qui voulait être parmi les premiers à en découdre avec l’adversaire, risqua ce commentaire footballistique : « C’est comme au foot, l’entame du match conditionne le reste de la rencontre. »

Et, de fait, le Thierry Roland de service n’avait pas cru si bien dire. Le début fut décisif, pour le malheureux Côtelette en tout cas. Le fiasco fut total.

Pour le fils du boucher en effet, le bal tourna en choc de deux cultures, en rencontre internationale qui s’avéra catastrophique pour son classement au grand prix du meilleur étalon de la bande. Sur le chemin du retour, et à de nombreuses reprises, il fut question du derby hérissonnais, perdu en raison de la félonie du buteur britannique et de la frivolité des supportrices françaises. Le grand arbitre qui fait tourner la roulette russe des préférences féminines siffla la fin du match avant même qu’il eût commencé.

La Josette Boudet de Côtelette était là, à l’entrée. Elle ressemblait déjà à une étudiante avec son fuseau, un chemisier discret et élégant, ses taches de rousseur sur sa peau de brune et ce bandeau sur une chevelure à la garçonne qui lui donnait un air de Jean Seberg sur les bords. Une représentante du deuxième sexe beaucoup plus mignonne que la Simone. Un castor plus Bovarien que Beauvoirien. Une Audrey Hepburn plus rembourrée que l’actrice, qui aurait été délurée par cette première année de fac à Clermont. Il n’aurait rien pu dire de son corps, sinon qu’il était parfait et correspondait à son idéal de femme, sans formes avantageuses à la Sofia Loren, ni défaut majeur. De la poitrine et du bassin, mais rien à voir avec les vaches laitières italiennes ou amerloques qui avaient la faveur des mâles de l’époque. Une démarche sans pareille.

Côtelette, qui se prenait parfois pour un connaisseur en bifteck, à l’instar de son père, la décrivit ainsi un jour qu’il était sommé de dire pourquoi cette satanée Josette hantait ses rêves, en quoi sa façon de marcher était si bandante :

« C’est un mélange subtil de tricotage de gambettes innocent et de tortillage des fessiers, sans ostentation, mais suggestif. Un bel arrondi de la cuisse. De quoi alimenter en morceaux de choix et pour de nombreuses nuits, l’appétit d’un honnête homme du vingtième siècle. Mais pas une cularde non plus. »

Les primaires n’y trouveraient pas leur compte et continueraient à se demander ce qui excitait tant Côtelette dans la description qu’il en donnait :

« Ouais, bon… Elle a un beau p’tit cul quoi, pas de quoi en chier une pendule. Un cul, c’est un cul, c’est tout. », avait conclu le Pépé de manière prédictible. »

Mais l’amoureux transi, maintes fois ignoré par l’amazone des mobylettes, ignora cette remarque scabreuse et préféra vanter le visage de sa madone :

« Des pommettes et une bouche à la Françoise Hardy, des lèvres de Joconde coquine, les yeux de la marquise des anges… »

Bref, inutile de la décrire davantage. On aura compris que l’intéressé eût été incapable de dire pourquoi il essayait de saisir la queue de cette comète qui filait à la vitesse d’une météorite dans son ciel de plouc montluçonnais.

Elle était là, à faire la queue, seule. Sans doute était-elle venue pour le week-end avec ses parents et avait-elle consenti à se mêler à la foule des grisettes des champs.

Il ne fallait pas rater cette occasion. Côtelette chopa Dick par le bras et le conduisit jusqu’à hauteur de sa Josette dans la queue. En se rappelant à son bon souvenir, accompagné d’un authentique Angliche, il espérait qu’elle le considèrerait comme l’un des étudiants qu’elle devait fréquenter en fac.

Quelle erreur ! Aussitôt qu’il se fût présenté comme un copain d’enfance qui avait joué avec elle à Hérisson, elle fit celle qui ne se souvenait plus de lui. Puis, une fois qu’elle l’eut enfin identifié parmi la myriade de soupirants qu’elle avait dû faire souffrir, elle le traita comme si ce rappel des jeux innocents de jadis le disqualifiait à tout jamais comme amoureux ou amant potentiel. Enfin, aussitôt qu’il lui eût présenté l’Anglais, qu’il incita du coude à parler pour venir à sa rescousse pensait-il, elle se tourna vers le Rosbif, fut tout sourire, et se mit à jacter avec lui, avec tant d’aisance et de naturel qu’il ne pouvait pas suivre tout ce qui se disait. Il eut rapidement l’impression d’être de trop et retourna avec les autres. La Josette et son répétiteur s’engouffraient dans la salle de bal en bavardant comme s’ils eussent été un couple de longue date.

Pour se rassurer, il préféra penser qu’elle voulait se servir du Grand Breton, comme d’un toutou de service, qui pourrait l’aider à réviser son partiel de conversation orale.

Il déchanta cependant rapidement lorsqu’il les vit ensuite dans la pénombre du parquet-salon, qui s’adonnaient à d’autres formes de bachotage, qui dansaient, presque enlacés déjà. Lui, gauche, essayait de négocier un tango comme une autruche avec un balai dans l’oignon, et elle, toute câline, lui murmurait des mots dans l’oreille, le guidait de la main.

Que pouvait-elle lui trouver ? C’était quand même pas un James Dean, le Dick, avec sa dentition d’outre-manche chevaline et son nez de gradé de l’armée des Indes, fagoté comme un major Thompson qu’aurait oublié son chapeau melon, ainsi que sa canne de snobinard, et se serait rasé la moustache en guidon de vélo.

« Non, la seule chose qui peut l’intéresser, c’est sûr, c’est qu’elle peut pratiquer la langue avec lui. », tenta le fils du boucher en guise d’explication.

Les autres, commençaient à se gausser. L’un d’eux remua le couteau dans la plaie : « La langue fourrée ouais, surtout. »

Toujours insensible aux malheurs de ses compagnons, ZZZe king du bocage planta là son ami désespéré, en quête d’une première victime. Il se mit à tourner autour du parquet dans le sens des aiguilles d’une montre, comme tous les autres coyotes en rut. Il y avait bien là, faisant banquette, quelques vahinés des bouchures, alignées comme les têtes de veau dans la boucherie du Pont-Neuf, qui avaient déjà profité de son expertise et qui auraient volontiers consenti à une piqûre de rappel. Mais il était encore trop tôt pour les solutions de facilité. Ce soir-là, il avait décidé de frapper un grand coup, et ne désespérait pas de montrer à Côtelette que sa Josette n’était pas inaccessible, même pour un gars qui n’avait pas dépassé le stade du BEPC et qui travaillait aux chemins de fer. Après tout, l’Angliche n’était pas un intello lui non plus. Son seul talent était de savoir parler sa langue maternelle. Tu parles d’un exploit ! C’est au Kama-Sutra qu’on voit les mecs, pas à la parlotte !

Et, ironie tragique, il avait transporté l’ennemi au cœur même de l’Aumance, dans la bétaillère prêtée généreusement par le boucher, afin que celle-ci servît de cheval de Troie introduit dans la cité médiévale. Il avait involontairement facilité l’assaut de la gente dame du château. Lui le bienfaiteur de l’Anglais, lui qui avait présenté le Rosbif à Josette, Il avait été trahi par une sixième colonne importée par Brioche au cœur du Bourbonnais. Il aurait dû se méfier. Ce bâtard d’Angliche ne se nommait-il pas lui-même fièrement « Dick the Dick » avant d’avoir démontré brillamment que ce surnom lui allait fort bien ?

A partir de ce jour funeste, Côtelette affubla son rival du sobriquet de « Peau d’zob ». Ce surnom gaulois lui sembla en effet désigner la même partie de l’anatomie masculine que celle correspondant à la fois au prénom et surnom de son rival d’Outre-Manche.

Voilà à peu près l’état d’esprit dans lequel se trouvait Côtelette après la bérézina hérissonnaise. Il estimait avoir été cocufié, bien que n’ayant aucune raison d’exiger un droit de préemption sur la marchandise dérobée. On peut s’en douter, sa déculottée magistrale fut commentée dès ce soir-là par quelques troubadours avinés et par toute la bande ensuite pendant plusieurs semaines, avant que l’humiliation subie finisse par s’estomper et qu’il puisse enfin ironiser amèrement sur son sort.

Mais pour l’heure, c’est un Côtelette anéanti qu’ils ramenèrent à Montluçon au petit matin, tel l’empereur du tableau parcourant le champ de sa bataille perdue, un aigle titubant, ridicule, qui aurait porté son bicorne de traviole sur la tronche.

Le coup final fut asséné par Brioche au moment de monter dans les véhicules. Ce dernier, très embarrassé, expliqua que la Josette, en fait, était ─ comment dire ─ venue seule dans la maison de ses parents pour réviser ses partiels et qu’elle allait suivre un stage intensif d’immersion linguistique avec Dick pour répétiteur, ceci pendant la nuit et le dimanche qui suivaient !

Bien avant cet ultime affront, dès que la Josette et ce salaud de Dick eurent disparu dans la pénombre du parquet-salon, Côtelette avait commencé à se consoler en faisant des concours de cul-sec à la buvette avec Tombola, Zozo et quelques autres asticots qui s’emmerdaient comme eux. Une fois bien « parti », il décida de se venger de celle qui le trahissait avec un Rosbif sur de pauvres filles qui faisaient banquette. Il s’en prit de préférence aux plus laides, pensant qu’elles seraient plus faciles à humilier. Il leur demandait de sortir sans même les inviter. Avec celles qui avaient accepté de danser malgré l’offre de sortir sans autre forme de préliminaires, il les palpait dès les premières mesures du frotteur, à la manière des maquignons qu’il avait vus marchander avec son père dans les foires, pour estimer le potentiel d’une génisse cularde en morceaux de choix. Il faillit se prendre quelques baffes et se retrouva seul au milieu de la piste. Ebloui par les cristaux de lumière de la boule tournoyante, ivre de blanc et de jalousie, il s’approcha de l’orchestre, voulut s’emparer du micro pour traiter publiquement l’anglais de couille molle, mais il se fit virer du parquet avant d’avoir pu dire quoi que ce soit.

Une fois dehors, il se dirigea vers la rivière, un peu en aval, en direction de la maison où, enfant, il avait été heureux avec ses parents et leurs amis. Il voulut traverser en sautant sur les pierres qui lui avaient servi autrefois de passage vers une autre rive et qui étaient toujours là, comme semées par un Petit Poucet prévoyant, prêtes à guider les égarés de la vie pour un retour vers un nid de rêves douillets. Mais, dans le noir, avec ses chaussures de bal, il glissa sur un gros galet, gouilla jusqu’aux mollets, pataugea un moment à l’aveuglette et, voulut revenir en arrière. C’est en négociant ce demi-tour périlleux qu’il s’affala de tout son long dans l’eau de sa douce Aumance, devenue cette nuit-là frontière liquide infranchissable entre deux âges, qu’aucun pont entre les deux rives ne saurait enjamber… ou réconcilier. Il y avait le temps de l’enfance et de l’adolescence, celui où la Josette et toutes les filles « bien » étaient encore à sa portée. Et il y avait le monde réel, dans lequel ses icônes féminines semblaient se dissoudre dans les mêmes flonflons de bals champêtres qui l’enfouissaient toujours plus dans le sillon que les adultes avaient tracé pour lui.

Hamlet au bocage

Le jour suivant, avant l’arrivée au troquet où se tenaient les réunions au cours desquelles les points gagnés la veille étaient attribués et les destinations à prendre pour la suite du week-end choisies, tout le monde y était allé de sa blague perfide.

Tombola se demanda s’il ne convenait pas de changer en « roi de la Banquette » le surnom du fils du boucher, ceci pour faire allusion à la bâche magistrale essuyée par « zze » loser d’un soir avec son étudiante en anglais.

Brioche, de son côté, semblait satisfait d’avoir cocufié l’impénitent radoteur par corresse rosbif interposé. Il pronostiqua :

« Y f’ra p’têt’ moins son malin c’te fois. D’habitude la gueule lui ferme pas, mais aujourd’hui, y va p’têt’ moins faire d’abonde à la ramener tout l’temps. On va pas l’entendre c’te fois…»

Il se trompait. Lorsque Côtelette arriva, il se comporta comme si de rien n’était. Mais après un moment, Zozo, comme d’habitude fut sans pitié. Il coupa court aux digressions censées permettre au grand perdant de la veille de noyer le poisson sur sa déculottée hérissonnaise et lui éviter les quolibets : « Le Dick, en ce moment, il est pas en train de lui réciter des passages du Carpentier-Fialip[1], à ta Josette. »

Le fils du boucher, grand seigneur, ou profondément blessé par la remarque, ne releva même pas. Il y eut un silence gêné, puis la conversation porta à nouveau sur l’essentiel, c’est à dire sur la destination qu’il convenait de prendre pour l’après-midi et la soirée.

[1] Manuel d’anglais de l’époque


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Jcfvc 442 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte