Magazine Cinéma

Interview Disiz

Par Bathart

DisizLors du festival Panoramas, Thibaut a pu approcher Disiz, ouais, "celui qui voulait juste un McMorning". Entrevue sous le signe du D.

Comment fait-on pour être rappeur et avoir des cœurs partout ?

Je dirais qu’on a énormément confiance en soi. La symbolique du cœur veut dire beaucoup de choses. Si on prend le cœur, sur la pochette de mon disque, c’est quelque chose qui ressemble plutôt à une cartographie neurologique. Il est animé, il y a beaucoup de choses. Et dans ce cœur, il y a un côté sombre et un côté lumineux. La symbolique du cœur est dans beaucoup de choses. Par exemple, quand tu es amoureux, tu as le cœur qui bat. A l’inverse, quand tu as peur, quand tu vas te battre, tu ne réfléchis plus trop avec ta tête, et ton cœur s’emballe. Pour moi le cœur à une symbolique vraiment très forte. Si on le voit de loin on se dit « c’est le cœur de Hello Kitty » mais c’est pas grave. Alors que si on réfléchit bien à tout ça et même le côté philosophique qu’il y a derrière, tu vois que c’est quelque chose de beaucoup plus complexe. C’est à l’image de mon disque. C’est à dire que si tu regardes vite fait la pochette, tu te dis « Ok Disiz c’est un rappeur gentil, un rappeur marrant », mais si tu rentres dans le disque, que t’écoutes les paroles et que tu vois bien, tu vas voir que c’est travaillé.

Ce n’est pas dur d’être un rappeur et d’afficher autant d’amour ?

Non ! Parce que c’est un amour lucide justement. Tu prends mon dernier album, il y a un morceau qui s’appelle Salauds d’pauvre où il n’y a pas trop d’amour. C’est un constat réel et assez grave sur la société dans laquelle on est.

Il y a ton clip pour le morceau Les Moyens Du Bord qui vient de sortir. On a l’impression qu’il y a d’autres clips qui vont continuer cette histoire, est-ce que c’en est le début ?

 

C’est l’illustration parfaite du morceau. C’est un des premiers titre que j’ai fais avec Moïse quand j’ai voulu reprendre le rap. "Les moyens du bord", c’est une phrase qu’à souvent dit ma mère. C’est pas être résigné, parce que quand tu l’es tu fais rien. Mais faire avec les moyens du bord, c’est un peu comme si tu voyais que ton bateau est mal embarqué et malgré tout rester à flots. C’est la différence entre la résignation et la sérénité. Dans le clip c’est quelqu’un qui s’est complètement retiré de la société civile, qui vit comme un ermite, revient à la civilisation. Pendant longtemps j’étais là dans mon coin en me disant « j’arrête le rap, il y a trop de cynisme partout ça me dégoûte ». C’est baisser les bras que d’avoir un état d’esprit comme celui là. Et j’ai compris qu’il faut se battre, avec les moyens du bord, avec ce qu’on a, et c’est ce que j’aime.

Est-ce que avec extra lucide tu as vraiment voulu faire un album tourné vers le live ? Peut être un reste de Peter Punk où tu fais un peu de rock ?

Oui c’est ça. Disons que l’expérience Peter Punk m’a beaucoup servi. Ça m’a permis de me décoincer dans un sens où dans le rap français il y a un cahier des charges tellement lourd qu’il faut correspondre à ça. Tu peux pas t’autoriser à faire trop de choses. Le fait d’avoir d’osé faire Peter Punk, de faire un disque dont je m’en battais les reins de savoir qui va penser quoi, ça m’a permis d’avoir plus de cartes dans mon jeu et de teinter la musique que je fais aujourd’hui.

C’était hyper risqué comme pari…

Un artiste qui ne prend pas de risques, c’est pas un artiste qui marche justement. A vrai dire je ne sais pas vraiment pourquoi le rap français est si lourd que ça. En tout cas, chaque morceau a été pensé par rapport à la scène. C’est pour ça qu’un morceau comme C’est Ma Tournée est directement transposé pour la scène.

Quelle est ta vision du rap français en gros ?

Il y a énormément de choses dans le rap français. On entend plus parler de certains artistes que d’autres, mais on peut pas le réduire à La Fouine, Booba, Orelsan, moi… c’est plein de choses le rap français. Il y a plein d’artistes, comme Demi Portion qui n’est pas encore extrêmement connu. Il y a Nemir qui est en pleine puissance, il y a Ladea. Il faut faire la différenciation entre le rap qu’on montre, et celui qu’on montre pas. Il est complètement large en France.

Avec Translucide on peut s’attendre à quoi du coup ?

Extra-Lucide était une sorte de plat de résistance, donc Translucide c’est un peu la fin tu vois.

T’as encore des trucs à dire ? Parce qu’on dirait que tu arrives, que t’es en colère…

Ce que j’ai fais sur Translucide, c’est que j’ai forcé le trait sur tout, mais avec maîtrise. Il y a des morceaux qui sont encore plus en colère, et d’autres morceaux qui sont encore plus happy. Tout ça tient dans quelque chose de cohérent. Parce qu’à l’image de ma vie, parfois t’es en colère, parfois t’es cool. Là où ça va pas, et c’est pour ça que j’ai choisi la thématique de la lucidité, c’est quand t’es tout le temps en colère ou quand t’es tout le temps cool. Quand t’es vénère, c’est que rien ne vas autour de toi, et quand tu es happy, c’est que tu vis au pays des Bisounours. Donc la lucidité c’est d’être entre les deux.

Et certains de tes morceaux que tu lâches sur Facebook comme Shadow Boxing, c’est à part complètement ?

Exactement. C’est des morceaux, avec Le Poids Des Gravillons par exemple, que je fais comme ça. J’appelle ça Le Vendredi C’est Sizdi. C’est des trucs à part, Auto-Dance en fait partie.

Auto-Dance est une sacrée trouvaille, parce que c’est un truc que tout le monde fait !

… C’était avant le Harlem Shake (rires). Contrairement au Harlem Shake, il y a un fond, il y a des paroles qui veulent dire quelque chose. Quand t’écoutes ce que je dis dedans, c’est quand même grave ce que je dis (j’ai déjà pensé à m’auto-dead…grâce à Dieu j’me suis autoraisonné) !  En revanche c’est toujours contrasté, et c’est pour ça que je parle de de La Tour, car c’est un peintre que j’aime beaucoup, il a travaillé sur la Clair-obscur. Ces peintures sont majoritairement sombres mais il y a toujours une petite lumière dedans. C’est ça que je veux illustrer. On est dans une époque très compliquée, mais il faut garder une petite étincelle sinon autant aller se foutre en l’air.

Sur les clip de Vendredi C’est Sizdi, on voit souvent ta famille où tes potes, c’est une volonté de ta part ?

C’est voulu. Il y a un côté amateur, mais il y a aussi le côté très travaillé cinématographiquement. Derrière tout ça se cache des réalités économiques. Si tu es que dans l’image, que dans l’ego, et que tu te dis je dois faire que des trucs qui pètent avec des clips à 30 000 € ou 40 000 €, mais comment tu fais ? C’est des barrières que j’avais avant. Depuis j’ai fait exploser tout ça et ça fait un bien fou. C’est pour ça que je parle de la danse, du fait de chanter, même si tu chantes faux. Ça fait du bien de pas tout le temps vouloir paraître beau et propre. Tu peux pas vivre comme ça, c’est pas vrai. C’est ça qui rend ouf, c’est qui fait que des gens sont dépressifs. Donc si t’es un faible d’esprit tu peux vraiment péter un plomb. Et il y en a qui pense aussi a toujours faire attention au regard des autres. Tu peux te permettre des choses, ça arrive que tu ais une crotte de nez qui dépasse (rires). La danse c’est pareil, si tu sais pas danser, tu danses pas. Non ça ne marche pas comme ça pour moi.

En fait, tu te sers de toutes les influences que tu trouves ?

Exactement. C’est comme un peintre, tu as un support tu peins. Tu as de la matière, tu t’en sers. Le seul souci, en ce qui me concerne, c’est l’authenticité.

Mais comment choisis tu les personnes avec qui tu collabores ? Je pense à Grems, Orelsan, Ladea.

Les personnes que tu as cité sont authentiques dans ce qu’elles font. J’ai besoin de ça. Quand tu vois la vision du monde de Ladea, ce qu’elle dit est très loin de ce que je peux dire. Quand j’ai commencé le rap j’étais très vulgaire, je ne le suis plus du tout, ou en tous cas de moins en moins. J’ai pas une vulgarité gratuite aujourd’hui, Ladea est plus vulgaire que moi. Pour autant, j’ai pas de jugement de valeur sur ce qu’elle fait. Pareil avec Orelsan. Il a un côté défonce. Je ne suis pas comme ça. Je suis plutôt cool dans la vie, je bois pas. Mais c’est quelque chose que je respecte parce qu’il le dit bien, il parle de sa réalité à lui, il est sincère avec ça. C’est ça qui m’intéresse. Enlevons les masques !

Et pour Translucide, tu peux nous parler de tes collaborations ?

Haaa ça ! Surprises (rires) !!

A part sur Translucide, il y a des gens avec qui tu aimerais bosser ?

Oui mais ce sont beaucoup de gens morts malheureusement. Marvin Gaye ça serait un rêve, Nina Simone je pleurerais, je tomberais par terre… Et dans les vivants, j’aimerais bien travailler avec Philippe Zdar, Kendrick Lamar…

Brodinski te tente ?

Je ne vois pas bien qui c’est.

C’est un producteur électro qui a pas mal d’influences Rap, Hip Hop. Il était super ami avec DJ Mehdi. D’ailleurs qui était Mehdi pour toi ?

Mehdi c’est le précurseur de ce que beaucoup de gens ont essayé de faire, et moi par exemple. Dans le sens où la folle aventure de Peter Punk que j’ai essayé de faire, c’est à dire me couper carrément du rap et allé dans un truc complètement opposé. C’est blasphématoire pour un rappeur d’essayer de faire du rock. Lui l’a fait à une époque où personne ne s’y attendait. C’est extrêmement ouf ce qu’il a fait, c’est extrêmement dingue, tant artistiquement que sociologiquement. Il vient du rap, il a fait avec Ideal J, Le Combat Continue, qui est un des albums, si ce n’est l’album qui incarne le rap français, au niveau du propos et de la musique. Il a aussi travaillé avec 113, donc il a connu le côté mainstream du rap dans le bon sens du terme. Et là il dit j’arrête et je vais faire de l’électro. Avec tout ce que ça implique derrière. Pour pleins de gens qui ont l’esprit fermé c’est devenu un drogué, c’est devenu un homo, etc. Tu vois tout ce qu’il a du encaisser. Mais il s’en foutait ! Et il a appris la guitare, pleins d’autres trucs. C’était un mec fantastique !

T’as écris un bouquin aussi ?

Oui, deux romans…

T’as pleins de choses a dire en fait !

C’est ça, je suis un bavard

Tu voudrais faire du cinéma ?

Là je fais du théâtre. Je joue Othello.

Tu arrives à gérer ça ?

C’est beaucoup de travail, mais je crois aux vertus du travail, ça paye.

Comment fais tu pour gérer le trac avant de monter sur scène ?

Avant un concert je n’ai plus de stress car je fais du sport, de la boxe anglaise. Je fais deux fois deux rounds avec les mecs qui m’accompagnent, on fait des pompes, des abdos, de la corde a sauter, un peu de cardio, etc. ça fait du bien, ça me relâche. En plus de ça je fais attention à ce que je mange ;

Et pour revenir au théâtre c’est plus dur ?

Ah oui, c’est une concentration ultime. Je dirais que le théâtre est au cinéma, ce que la musique classique est à la variété. Dans le bon sens du terme. C’est à dire que tu ne peux pas compter que sur l’énergie au théâtre. Ça ne suffit pas. Tu dois tout le temps être concentré. Tu dois être autant fort dans ton interprétation quand tu dis ton texte que dans l’écoute de ton texte. Parce que même dans l’écoute tu dois être vrai. Au théâtre tu vois tout, les gens voient tout. T’as pas le droit à l’erreur.

En plus tu commences avec Denis Lavant, ça ne rigole pas !

Pas du tout. Denis Lavant c’est un stradivarius, il est trop fort. Il a calculé son personnage de A à Z. C’est un vrai bonheur de pouvoir jouer avec lui. C’est quelqu’un de bienveillant, qui ne t’impose pas des choses. Quand tu lui demandes, il te répond sans être trop pédant. C’est fantastique. Et puis sa femme, qui met en scène, m’a tellement appris au niveau du jeu et de l’interprétation. Vraiment, je dois beaucoup à ces gens là.

Propos recueillis par Thibaut



Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Bathart 421 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte