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Gabriel Ringlet : "La mort est le fil rouge de ma vie" (3)

Par Alaindependant
samedi 1 juin 2013

Gabriel Ringlet: "La mort est le fil rouge de ma vie"

2 Prêtre, théologien, journaliste, écrivain, philosophe et universitaire, l’ancien vice-recteur de l’UCL Gabriel Ringlet se définit avant tout comme un « libre-croyant ». C’est en humaniste convaincu qu’il préside aux destinées d’un Prieuré ouvert à toutes les rencontres, à toutes les convictions. Un humaniste obsédé par la mort… donc par la vie.
Philippe Berkenbaum - Photo Emmanuel Laurent

Sommaire

Il y a un important hiatus entre ce que pense la base et ce que dit la hiérarchie ?


G.R. : Il est très grand et il s’aggrave clairement. La hiérarchie de l’Eglise n’a pas confiance dans le monde contemporain, elle jette sur lui un regard pessimiste et croit devoir rappeler sans cesse les balises et resserrer les boulons. Mais elle se trompe. Elle devrait faire confiance à ceux qui se trouvent en première ligne sur le terrain. Prenons les grands enjeux éthiques : quand je vois l’exigence de nos universités, même laïques, les balises éthiques que nous mettons… La peur de l’Eglise officielle est déplacée. Comme le dit admirablement l’archevêque de Poitiers Mgr Rouet, le monde contemporain ne peut entendre qu’une parole à hauteur d’homme. Celle de la hiérarchie est soit trop haut dans les nuages, soit trop bas dans l’enfer où tout va mal. Elle manque cruellement d’humilité : elle devrait admettre qu’il y a beaucoup de vérités en dehors de notre propre chemin catholique ou chrétien.
Est-ce ce qui vous incite à prendre vos distances ?
G.R
. : Jamais un évêque ne m’a rappelé à l’ordre. Comment expliquer que ce que je crois être ma liberté intérieure soit conciliable avec mon engagement ? Cela vient sans doute de l’Université de Louvain, qui a toujours voulu cette liberté. Quand j’ai publié « L’Evangile d’un libre-penseur », le recteur Marcel Crochet l’a présenté à la presse en disant : « Je veux que vous sachiez que mon université se reconnaît dans ce livre ». Je ne pouvais espérer soutien plus fort. Ma carrière dans cette université qui se veut pluraliste et entend dialoguer avec les autres conceptions a conforté ma parole. Mais vous seriez surpris de constater le nombre de collègues curés, de confrères en théologie et de chrétiens de la base qui aspirent à cette ouverture. La réalité du terrain manque de porte-paroles.
Ce manque de confiance en l’homme n’est-il pas partagé aujourd’hui par toutes les religions, où l’on voit surgir intégrisme et fondamentalisme ?
G.R.
: Là réside le plus grand danger. Le philosophe Paul Ricoeur m’a tout appris quand il dit : « Etre croyant – et je pourrais ajouter être non-croyant quand on l’est avec conviction – c’est être habité par une parole ». Plus cette parole est forte, plus il faut la délivrer faiblement. La parole forte peut conduire à la violence. C’est un paradoxe : plus vous adhérez, plus vous devriez être capable de distance par rapport à cette adhésion. Le grand enjeu qui se pose aux églises est qu’elles devraient œuvrer à libérer leurs fidèles plutôt qu’à crisper leurs convictions.
Revenons-en à la religion catholique…
G.R
. : Son système très clérical et très machiste n’est pas sans effet. L’Eglise est parfois capable d’ouverture sur des questions qui ne portent pas sur son organisation, notamment sociales ou de politique étrangère. Mais malheur au ministère des Affaires intérieures : sacerdoce, mariage des prêtres, ordination des femmes… Toutes ces questions que le Vatican déclare fermées. C’est intenable.
Vous qui jetez des ponts vers l’actualité, qu’est ce qui vous marque le plus dans celle du moment ?
G.R.
: J’ai été très marqué par « Le livre des fuites » de Le Clézio, paru en 69, où le héros dit s’être rendu compte au lever que « le monde avait rétréci ». Quelle vision prémonitoire ! Paradoxalement, alors que nous sommes entrés dans le monde de la communication maximale, je pense aussi qu’il s’est rétréci. Il y a beaucoup de repli sur soi. Pas seulement dans les religions, on voit des pays qui se racrapotent, un repli identitaire, tantôt égoïste, tantôt de peur. Face à cela, je ne vois qu’une ouverture, à l’instar de mes amis Christian De Duve (« Génétique du péché originel ») et Amin Maalouf (« Le dérèglement du monde ») : seul l’investissement dans la culture et l’éducation nous permettront de redresser la barre. Là est mon combat fondamental. Une autre grande question qui me tient à cœur est celle de la solidarité. Y compris entre les générations. Jusqu’où allons-nous accepter de partager et de nous montrer solidaires pour que les vies les plus fragiles s’en sortent mieux dans un monde soumis au tout économique ?

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