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Call me maybe, lip dub réalisé par les soldats américains de la base militaire de la province de Kunar en Afghanistan

Publié le 03 juin 2013 par Laurejaum

MS明朝
Cette reprise de Call me maybe (Carly Rae Jepsen) par les soldats d’une base militaire américaine dans la province de Kunar, en Afghanistan, a été filmée et diffusée sur youtube dans le but déclaré de « remonter le moral des troupes et celui des familles des soldats ». Elle a été vue 2 128 696 fois depuis le 19 août 2012, date de sa publication. Sorti en septembre 2011 au Canada, le titre Call me maybe s’est imposé comme le tube de l’été suivant à travers le monde. La réalisation de ce lip dub par les militaires de la province de Kunar a probablement des origines multiples. En premier lieu, il s’agirait de s’amuser et de faire corps. En second lieu, se dégage une intention claire de transmettre un message aux civils américains, et plus largement au reste du monde : « le moral est bon », « nous sommes des hommes comme les autres et non pas des brutes ou des tortionnaires », « nous aussi aimons la musique pop et la drague légère », et enfin : « voici notre quotidien ». La dimension humoristique du clip ne va pas à l’encontre d’une conscience aigüe de la « dignité » et du « maintien » exigés par l’uniforme de l’armée américaine. Les gestes chorégraphiques sont pensés pour faire sourire, tout en restant « de bon ton » au regard de la fierté nationale. Ainsi, pas de débordements sexistes ni de strip-tease, mais une simple rigolade sur fond de vie quotidienne des soldats : entraînements, veille téléphonique, guet à vue, rondes d’hélicoptères, lancé d’explosifs, musculation, prise d’assaut virtuelle… Seules quelques références à la culture pop viennent s’ajouter à ce tableau d’une journée type sur la base de Kunar : le moonwalk de Michael Jackson, quelques gestes robotiques à la Daft Punk, une esquisse de madison, un wesh de type hip hop, et bien sûr le live final, en plein soleil, sur les toits de la base afghane. La dimension mobilisatrice de cet objet s’explique en partie par sa provenance directe de la base militaire : ce dernier n’a pas été relayé par des dispositifs d’art officiel, du moins dans les premiers temps. D’où l’absence de suspicion d’une quelconque tromperie politique. Observons en outre l’oxymore inhérent au lip dub, l’authenticité rendue à ces militaires s’expliquant par une initiative située à l’extrême opposé de ce qu’ils sont « censés faire » dans un tel contexte[1]. Il s’agit bien là d’une injonction d’empathie de ces soldats à l’égard de leurs familles et du reste du monde. Cette dernière semble fructueuse auprès d’un grand nombre d’internautes, en témoignent la quantité de commentaires encourageants ajoutés sur la page youtube. Si elle ne remet pas en cause mon scepticisme sur le bien fondé d’une lutte armée contre le problème taliban, une telle injonction me mobilise – au sens de mettre en mouvement -, dans la mesure où le film me rapproche de manière effective du quotidien de soldats américains lambda en Afghanistan. J’évoquerais donc une mobilisation ambivalente, le lip dub occultant bien entendu la réalité du conflit armé. Dépeints dans leur environnement familier et selon un registre humoristique, ces hommes me présentent une certaine « consistance » de leur expérience militaire et de leurs singularités en tant qu’individus. Ainsi, ils complexifient mon appréhension de l’intervention militaire américaine en Afghanistan par une simple plongée dans leur réalité quotidienne. En résulte un désir d’investigation sur le vécu des soldats américains en Afghanistan, ainsi que la volonté de donner la parole à ces mêmes soldats : comment évolue leur sentiment à l’égard de l’action militaire dont il sont partie prenante ?  
Laure Jaumouillé

[1] Ce qui nous attache et les rend attachants.

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