L'autre jour, j'évoquais avec une amie
l'émission sur Antenne 2, reprenant la fameuse expérience de Milgram, dans laquelle on demandait à des gens d'envoyer des décharges électriques de plus en plus fortes à une personne ne répondant
pas correctement aux questions posées. Comme dans l'expérience de Milgram, l'expérience, reproduite cette fois sous la forme d'un jeu télévisé, a amplement montré que le degré de soumission à
l'autorité (télévisuelle ici, scientifique dans l'expérience de Milgram), était extrêmement élevé et qu'il était très difficile, dans certaines conditons, de refuser d'exécuter les consignes
données par un pouvoir institutionnel, même lorsque l'on ne risque rien à aller contre la volonté de l'autorité donnant les instructions.
Je faisais remarquer à cette amie que Hannah Arendt avait insisté sur la banalité du mal, sur le fait que celui-ci était l'oeuvre non de monstres mais de fonctionnaires obéissants aux ordres.
Ma correspondante émit quelques critiques au sujet de cette émission, faisant valoir qu'e le programme mélangait les concepts, qu'il y en avait plusieurs différents: le pouvoir de la télé,
l'impact et même la toute-puissance des animateurs et des journalistes, la soumission de l'être humain et la difficulté à se révolter lorsqu'on est seul devant un représentant du pouvoir. Elle
insista sur le fait que la différence entre soumission et obéissance n'était pas du tout abordée alors qu'à son sens elle est capitale. Elle me rappela que plusieurs fois, avait
été mentionnée l'attitude au travail, avec pour seule remarque que là, il y avait des syndicalistes pour aider l'individu (à ne pas obéir?). Le raccourci ne lui avait pas paru convaincant. Elle
craignait que beaucoup de personnes ne se soient réveillées le lendemain matin, confortées dans leur idée que désobéir au gouvernement, aux directeurs, aux patrons, à la loi, c'était un
devoir. Elle donnait des exemples d'appel à la désobéissance civile que l'on entend de la part d'intellectuels ou d'homme politiques : Badiou, Mamère, Bové, voyant là un danger de
l'émission. Etant professeur à la retraite, elle soulevait le problème d'un enseignant qui considèrerait de son devoir de désobéir à l'inspection qui représente la loi, concluant que ce maître
là ne pourait être crédible envers ses élèves. Elle doutait de la crédibilité d'un tel maître vis à vis de ses élèves. et elle terminait par cette formule : "Obéir, ce n'est pas se
soumettre!..."
Voilà ci-dessous la réponse que je lui ai faite :
"Je reviens sur le débat très intéressant que tu as soulevé, au sujet de l'émission sur antenne 2 l'autre soir. Tu as en partie raison, mais je préfèrerais la formulation "Obéir, ce
n'est pas forcément se soumettre".
Evidemment, obéir à des ordres (ou à des consignes) qui semblent justes, ou avec lesquelles on n'est pas d'accord mais qui n'enfreignent pas les lois fondamentales relatives au respect de la
dignité humaine, est tout à fait légitime. Obéir à sa hierarchie, même lorsque l'on estime que la directive ne va pas dans le sens que l'on souhaite, mais que la consigne donnée reflète la volonté
de la majorité des citoyens telle qu'elle s'exprime dans une société démocratique, s'impose en principe, si l'on est soi-même un démocrate.
Et de nos jours, trop de gens s'arrogent le droit de dire eux-mêmes le droit en leur nom propre et de décider à quelles lois ils daignent se soumettre. A ce titre, les prétentions d'un José Bové ou
d'un Mamère à se réclamer de la désobéissance civile prônée par Thoreau peuvent paraître ridicules dans la mesure où les lois sont, même indirectement, l'expression de la volonté populaire telle
qu'elle s'est exprimée dans les urnes. Le second de ces deux "rebelles", étant élu démocratiquement par le peuple, il devrait, plus que tout autre citoyen, se soumettre à la volonté
populaire majoritaire, plus légitime en principe que son opinion personnelle, aussi respectable soit-elle par ailleurs...
Mais il faudra toujours, dans des situations exceptionelles, ou dans des circonstances plus ordinaires, en l'absence de référendums soumis à la volonté du peuple pour chaque loi passée par le
gouvernement (ce qui ne serait pas souhaitable au demeurant à mon avis), des Antigones, des "hommes révoltés" qui savent dire non lorsque la démocratie "dérape" ou quand ils estiment que les lois
fondamentales de l'humanité sont bafouées par une mesure particulière ou un ensemble donné de dispositions prises par les autorités.
Si plus de policiers et de fonctionnaires avaient désobéi lors de la rafle du Vel d'hiv', plus de juifs auraient été sauvés. L'une des candidates ayant refusé la première d'envoyer des décharges
électriques au faux candidat du pseudo jeu télévisé était, comme par hasard, une ancienne réfugiée Roumaine ayant subi le régime de Ceucescu. Elle faisait remarquer, pour expliquer son refus, que
les régimes totalitaires avaient pu durer pendant cinquante ans seulement parce que les peuples ne s'étaient pas révoltés, avaient "obéi" précisément, bien que convaincus pour la plupart de
l'injustice profonde du régime.
Combien de scientifiques ou de simples citoyens ont été ainsi envoyés au goulag, persécutés ou privés de leur emploi par les polices politiques suite à des dénonciations ou à des pétitions obtenues
en forçant les collègues ou l'entourage à de fausses déclarations...... Les responsables de crimes contre l'humanité et surtout les exécutants subalternes justifient toujours leur zèle par la
nécessité dans laquelle ils étaient d'obéir aux ordres..
Le problème demeure cependant entier lorqu'il s'agit d'estimer la légitimité du refus d'obéissance à la loi. C'est au cas par cas, en réservant cependant la désobéissance civile à celles des lois
ou injonctions qui portent atteinte à la dignité de l'homme ou aux valeurs fondamentales de notre société.
Mais il y aura toujours des gens pour estimer qu'il n'ont pas à obéir en fonction de convictions qui leur sont personnelles, qu'elles soient religieuses ou idéologiques.
Les cas où la désobéissance civile est justifiée dans une société démocratique feront toujours l'objet de débats contradictoires, chacun ayant de bonnes raisons pour estimer qu'il faut dire non,
que la révolte est nécessaire, ou au contraire pour penser que l'on doit se soumettre à la volonté majoritairement et démocratiquement exprimée.
Pour revenir sur ta formulation, on peut la retenir, mais en la complétant : "Obéir n'est pas forcément se soumettre.
Mais il faut bien constater que beaucoup obéissent par lâcheté, par manque d'esprit critique, parce qu'ils n'osent pas affronter les pressions du groupe ou d'un supérieur hiérarchique, craignent
les représailles ou simplement l'opprobre que va déclencher leur refus d'obtempérer chez l'entourage ou la famille, une partie de leurs connaissances, collègues ou amis.....
Cette amie, ayant reçu mon commentaire, concluait ainsi : "Comme quoi l'on peut désobéir par courage et obéir par manque de volonté ou de personnalité. Mais aussi désobéir par manque de
courage et obéir par réflexion et maîtrise de soi...Chaque cas est à étudier à la loupe."
On ne peut que souscrire, je pense, et ajouter qu'il peut y avoir obéissance /soumission dans d'autres cas que ceux qui ont été évoqués dans l'émission ou auxquels on a tendance à penser
spontanément : On peut se soumettre à une majorité par exemple, lorsque l'on n'ose pas intervenir, dans un amphi ou une réunion de grévistes, contre les solutions proposées par ceux qui sont
les plus radicaux, de peur d'être considéré comme un lâcheur, un jaune, ou pire encore..
Mais il y a bien d'autres exemples à trouver de soumission par lâcheté envers l'autorité, cettte autorité n'ayant pas nécessairement un pouvoir défini par une institution dans une relation
inégale envers un supérieur hiérarchique. On peut être un pleutre et suivre le mouvement alors que l'on a rien à craindre pour son travail, son avancement ou sa sécurité, comme c'était le cas pour
les participants à l'émission......On peut l'être simplement pour ne pas déplaire à la majorité ...........